"J'ai perdu 18 kilos" : malgré la guerre, les athlètes palestiniens rêvent toujours de participer aux Jeux olympiques de Paris 2024
"C’était un cauchemar. Je n’exagère pas, c’était un cauchemar". Mohammed Hamada, haltérophile palestinien, a réussi à quitter la bande de Gaza fin février pour tenter de participer aux dernières épreuves qualificatives pour Paris 2024. Avec son frère, coach, ils ont laissé derrière eux leur famille et leur pays, pilonné par l’armée israélienne en réponse aux attaques terroristes du Hamas le 7 octobre 2023. L’haltérophile, qui a déjà participé aux JO de Tokyo en 2021, fait partie des rares athlètes palestiniens à encore poursuivre un rêve olympique.
Pour espérer participer à la prochaine compétition qualificative pour Paris 2024, la Coupe du monde d'haltérophilie en Thaïlande début avril, Mohammed Hamada a même risqué sa vie dans le chemin qui l'a mené jusqu'à l'Egypte et Rafah, ville frontalière de la bande de Gaza. "Nous sommes passés à travers le corridor qui mène au sud de la bande de Gaza. Nous avons vu des cadavres sur la route et des soldats de l’occupation nous tiraient dessus. C’est marqué dans mon esprit, et je ne pourrai jamais l’oublier, raconte-t-il. Cela comportait de grands risques, mais je ne l’ai pas fait pour échapper à la mort, à la famine ou à l’extermination à Gaza. Je l’ai fait pour continuer ma carrière professionnelle et montrer la souffrance de mon peuple à travers le monde".
Des entraînements qui ne correspondent qu'à "5% des standards d'un athlète olympique"
Des 26 athlètes qui faisaient partie du programme de préparation pour Paris 2024 mis en place par le comité olympique palestinien, il n’en reste que "huit ou neuf", selon Nader Jayousi, son directeur technique. "Sur la dernière année et demi, nous avions établi un très bon programme, avec des camps d’entraînement. Pour un pays comme la Palestine, c’était nouveau. On commençait à voir de très bons résultats sur des compétitions continentales comme les Jeux asiatiques. On était très optimistes pour obtenir des qualifications olympiques, et puis la guerre a commencé début octobre et tout s’est arrêté depuis. La sécurité est naturellement devenue la priorité numéro une, deux et trois de tout le monde. Les activités sportives sont donc à l’arrêt en Palestine", explique-t-il. Selon le directeur technique du comité palestinien, les espoirs de qualification "directe" pour les Jeux olympiques, via de bons résultats lors des tournois de qualification, ont ainsi été "presque réduits à néant", faute de pouvoir s’entraîner correctement.
"Pendant les 30 premiers jours de la guerre, j’ai essayé de m’entraîner chez moi, mais la situation est devenue de plus en plus difficile car mon quartier s’est fait piéger. La nourriture est devenue rare et l’eau était contaminée, donc je n’ai pas pu continuer à m’entraîner puisque j’ai perdu 18 kilos. C’est forcément un problème pour retrouver mon niveau physique et technique."
Mohammed Hamada, haltérophile palestinienà franceinfo: sport
L’haltérophile va certainement devoir compter sur une invitation pour participer aux Jeux de Paris, et le comité olympique palestinien compte bien demander d’autres "wild-cards" en tir et en aviron par exemple. "On essaye de prendre soin de nos athlètes, mais par rapport aux standards d’entraînement d’un athlète qui vise les JO, ils n’en font que 5%. Normalement, vous devez vous entraîner un nombre d’heures spécifiques, tout votre plan est préparé en détail, vous avez une assistance médicale 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, vous participez à des compétitions bien choisies par rapport à votre plan de préparation… Donc juste faire du running et un peu de musculation pour rester en forme, sans pouvoir s’entraîner, ça a forcément un impact sur votre niveau de performance", déplore Nader Jayousi, qui souligne tout de même que certains pays ont offert leur hospitalité aux athlètes qui ont réussi à quitter la Palestine.
Les JO comme moyen de reconnaissance
Dans ce contexte de guerre, Mohammed Hamada s’accroche à son rêve olympique : "Je vais tout faire pour y parvenir, parce que c’est ce que demandent ma famille, mes amis et mon peuple. Je suis très motivé pour représenter mon pays, parce que j’utilise mon talent pour défendre notre cause et placer notre pays sur la carte du monde du sport, alors que beaucoup de pays ne le reconnaissent pas encore et que nous méritons un Etat", martèle l’haltérophile, qui portait le drapeau de son pays lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques à Tokyo.
La délégation olympique palestinienne a perdu des membres depuis le début du conflit, dont le coach de l’équipe olympique de football, Hani Al-Masdar, et celui de l’équipe nationale d’athlétisme, Bilal Abu Samaan. Envoyer des athlètes aux Jeux olympiques serait également un moyen d’honorer leur mémoire, affirme Nader Jayousi. "C’est très important pour nous d’être représentés, pour montrer notre résilience, notre état d’esprit, malgré tout ce qui est arrivé à la Palestine ces dernières années. Montrer notre drapeau aux JO permet d’envoyer un message au monde entier, aussi bien à ceux qui soutiennent la cause palestinienne qu’à tous les gouvernements qui considèrent que les Palestiniens ne peuvent pas vivre comme n’importe quel peuple, assure le directeur technique. Les occupants veulent que notre identité disparaisse, et nous, nous voulons montrer à nos enfants que l’un des meilleurs moyens de préserver notre identité est de participer aux compétitions sportives".
Malgré ce contexte, Nader Jayousi rêve de voir sa délégation battre le record de cinq athlètes présents, établi lors des Jeux 2021 à Tokyo. Ils pourraient alors être amenés à concourir contre des athlètes israéliens, puisque le Comité international olympique (CIO) n’a pas prévu de prendre des mesures contre Israël, comme il l’a fait contre la Russie. Lors d'une visite à Paris le 8 mars, Pierre-Olivier Beckers-Vieujant, président de la commission de coordination de Paris 2024 pour le CIO, justifiait : "Aujourd’hui, il n’est pas question d’envisager des sanctions contre Israël. La Russie et le comité olympique russe ont bafoué des éléments essentiels de la charte olympique [en plaçant sous son autorité les organisations sportives régionales ukrainiennes de Donetsk, Kherson, Louhansk et Zaporijia] ce qui n’est pas le cas du comité olympique israélien ou palestinien. Ce sont des situations différentes qui ne nous amènent pas à envisager des sanctions contre Israël, son comité olympique, ou le comité olympique palestinien."
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