: Reportage Paris 2024 : entre Miramas et le Kenya, une histoire d’amitié de près de dix ans scellée autour des Jeux olympiques
"À Miramas, on se sent comme à la maison. C’est la famille." Ferdinand Omanyala, sprinteur kényan, spécialiste du 100 m, et Francis Mutuku, secrétaire général du Comité olympique kényan, ne tarissent pas d'éloges au sujet de leur deuxième maison. Arrivés quelques jours avant le Meeting Miramas Métropole disputé le 2 février, les deux hommes ont été accueillis par les bénévoles du club des Bouches-du-Rhône avec de grands sourires et de franches poignées de mains. "Hello, how are you ?", s’exclame une bénévole, avec son accent chantant du Sud, ravie de les accueillir. L’anglais prime, mais quelques mots de français sont glissés ici et là.
"Ici, je me sens chez moi et je suis toujours heureux de revenir. Ils ont de superbes installations de classe mondiale et c’est un endroit calme, loin de la pression, idéal pour s’entraîner", confie Ferdinand Omanyala, détenteur du record d’Afrique du 100 m (9''77) et licencié à l'Athletic club de Miramas depuis l'été 2023. "Nous entretenons des relations de longue date avec Miramas, explique Francis Mutuku, secrétaire général du Comité olympique kényan. La ville est à taille humaine, l’environnement est familial. Les athlètes s’y sentent bien et peuvent s’entraîner dans de bonnes conditions grâce aux infrastructures qui répondent aux normes internationales. Au Kenya, nous n’avons pas d’installation avec un tartan de cette qualité. Miramas donne à nos athlètes les meilleures chances de réaliser de belles performances."
Un choix évident
Petite ville de 27 000 habitants dans les Bouches-du-Rhône, à 60 km de Marseille, Miramas a été choisie par le Kenya pour devenir son camp de base et son centre de préparation pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Si le projet est dans les tuyaux depuis plusieurs mois, les officiels ont ratifié le partenariat vendredi 2 février, quelques heures avant le meeting. Le ministre des Sports kényan, Ababy Namwamba, a fait le déplacement pour l'occasion.
Une officialisation qui ne passe pas inaperçue : des banderoles floquées "Terre de Jeux 2024" souhaitent la bienvenue au Kenya et annoncent le passage de la flamme olympique le 12 mai, l’affiche 2024 du meeting, placardée un peu partout dans la ville, met en avant un athlète kényan et une fresque peinte sur les murs extérieurs de la piscine des Molières, en face du Stadium Miramas Métropole, représente des athlètes valides et handisports, dont l’un d’eux porte les couleurs du Kenya.
Si, de l’extérieur, ce choix peut intriguer, à écouter les locaux et les nouveaux arrivants, il s’est imposé comme une évidence. "On n’a pas donné d’argent, ni pour que les athlètes signent chez nous, ni pour que le Kenya s’installe ici pendant les JO, mais on leur apporte autre chose, des relations humaines. Quand ils viennent à Miramas, on les reçoit à manger chez nous, autour de grillades, sourit Christophe Catoni, président du club d'athlétisme de la ville. Et ils savent que, s’il y a le moindre problème pour aller à Paris lors des Jeux, on est prêts à les monter nous-mêmes." Contrairement à d'autres pays, qui ont fait le choix de scinder leur délégation, celle du Kenya posera toutes ses valises à Miramas. Des stages ont d'ailleurs déjà été réalisés pour les équipes d'athlétisme, de taekwondo et de tir notamment.
Deux hommes à la base du projet
La signature de ce partenariat est surtout le reflet d’une histoire d’amitié construite depuis près de dix ans. À l’origine, deux hommes : Patrice Ouvrier-Buffet, directeur technique de l’Athletic club de Miramas et directeur du meeting, et Daniel Chirchir, ancien athlète kényan. En 2016, l’ancien marathonien, arrivé en France en 2012 et licencié au club de la ville voisine de Salon-de-Provence, demande à Patrice Ouvrier-Buffet s’il accepte d’accueillir l’une des jeunes athlètes qu’il entraînait. "C’était la première fois que l'on pouvait avoir un ou une athlète avec un bon niveau national, alors on a accepté. Mais en tant que petit club, nous ne pouvions pas la rémunérer", se souvient Patrice.
"On a tout de suite balayé la partie financière, complète Daniel Chirchir. On ne voulait pas d’argent. Nous recherchions simplement un club où elle pouvait se licencier pour faire des compétitions." En courant en Europe, les athlètes peuvent gagner un peu d’argent afin d'aider leurs familles. L’expérience s’avère concluante et l’alchimie est immédiate entre les deux hommes. La première pierre est posée. Daniel Chirchir, que l’on surnomme aujourd’hui le "connecteur" pour la gestion du réseau avec les athlètes, renouvelle sa proposition l’année suivante avec deux autres sportifs. À chaque fois, la démarche est la même : ils restent quelques semaines, voire quelques mois, s’entraînent à Miramas avant de concourir, puis rentrent au Kenya.
Un projet de développement de l'athlétisme kényan
La relation franchit une étape supplémentaire quand Patrice Ouvrier-Buffet rencontre, au Kenya, Barnabas Korir, un ancien athlète et responsable des jeunes à la Fédération d'athlétisme. Le discours est rodé : la ville a terminé la construction d’un nouveau stade en 2018 et un meeting s’y tiendra. "Souvent, au Kenya, les agents repèrent les jeunes athlètes prometteurs, les font courir, et quand ils ne sont plus performants, s’en séparent, précise le directeur technique du club. Il n’y a pas de vrai projet de développement derrière. Nous étions les premiers à leur proposer de les aider à développer l’athlétisme chez les jeunes, sans rien en retour. C’est de là que la relation a démarré." Au fil du temps, les liens se tissent entre le club de Miramas et le pays d'Afrique de l'Est.
En 2022, Barnabas Korir se rend à Miramas pour voir de lui-même cette nouvelle terre d'athlétisme en France. "Au départ, on pensait qu’il était venu pour représenter la Fédération. Mais il était aussi membre du Comité olympique kényan. Une fois rentré, il nous avoue être conquis et vouloir faire de Miramas le camp d’entraînement de la délégation kényane pour les Jeux", raconte Patrice Ouvrier-Buffet.
Depuis, plusieurs athlètes kényans ont fait le déplacement chaque année. Des stages sont aussi organisés avec de jeunes athlètes. "Parfois, ils viennent avec leur coach, d’autres fois sans. Dans ces cas-là, nous gérons leurs entraînements et nous formons aussi leurs entraîneurs, qui sont demandeurs sur la partie technique, notamment en saut de haies, sur les sauts en hauteur et longueur, mais aussi sur d'autres disciplines où ils performent moins", poursuit le directeur technique du club. "Ils ont la connaissance technique qu’il nous manque parfois", reconnaît Francis Mutuku.
"Certains de nos athlètes ont, après leur passage à Miramas, battu des records nationaux au Kenya, ce qui prouve leur progrès quand ils bénéficient d’infrastructures et de soutien technique adaptés."
Francis Mutuku, secrétaire général du Comité olympique kenyanà franceinfo: sport
Le soutien de la ville a été un incontournable pour la réalisation de ce projet. Elle a accéléré les travaux prévus sur les installations sportives (rénovation de gymnases, travaux sur la piste extérieure d’athlétisme avec l’ajout de capteurs sous la piste), a créé une équipe dédiée au projet Kenya au sein de ses services et a poussé pour accélérer l’arrivée d’un nouvel hôtel. "Avec les Jeux, nous avons pu moderniser plus rapidement nos infrastructures et l’attractivité de la ville s’est accrue", se réjouit le maire de Miramas, Frédéric Vigouroux (Parti socialiste).
La municipalité a investi plus de 7 millions d'euros sur plusieurs projets de réhabilitation, dont 1,5 million d’euros pour la mise en conformité des infrastructures sportives. "Le coût est largement amorti, tranche l’élu. Ces investissements pour vingt ou trente ans, financés en grande partie par des subventions, ont été un levier pour accélérer les rénovations dans la commune."
Développer ce lien en dehors du sport
La fierté est d'autant plus grande que le Kenya était une délégation courtisée. "D'autres villes nous ont approchés pour qu'on les choisisse comme camp de base, moyennant finances. Mais il n'y avait pas de projet pour l'après-JO", souligne Daniel Chrichir. À la mairie de Miramas, on se félicite de ce projet "atypique", "loin de l’appel d’offres des communes", qui s’inscrit dans un "véritable échange avec le Kenya" et qui a pour objectif de bénéficier à toute la population.
En effet, au-delà du partenariat sportif, Miramas et le Kenya souhaitent développer des projets culturels et éducatifs. "Nous travaillons avec l'Éducation nationale pour organiser des échanges entre des élèves français et kényans, physiquement ou en visio", explique Frédéric Vigouroux. Des interventions d'athlètes kényans ont déjà été réalisées en collège et lycée. Objectif : s'imprégner des parcours de ces athlètes de haut niveau, pratiquer l'anglais, la géographie, ou encore parler d'environnement.
"Ces échanges permettent aussi de faire découvrir à ces enfants l'Afrique telle que nous la connaissons. Et cela vaut mieux que n'importe quel livre."
Francis Mutuku, secrétaire général du Comité olympique kényanà franceinfo: sport
Les deux parties planchent aussi sur des échanges culturels, touristiques et même commerciaux. "J'espère que ce partenariat se perpétuera au-delà des Jeux, car cela nous apporte beaucoup. Et peut-être qu'un jour, si je suis manager, j'emmènerai aussi mes athlètes ici", se projette Ferdinand Omanyala.
Un projet de jumelage entre Miramas et une ville kényane est aussi sur la table. "Dans une ville qui vote pour le Rassemblement national [34 % des voix pour le parti de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle en 2022], j’ai espoir que ce partenariat fasse changer les choses", veut croire le président du club, Christophe Catoni. Dans un avenir plus proche, une médaille olympique d'un athlète kényan passé par Miramas serait "la plus belle des récompenses, confie Daniel Chirchir, les yeux brillants. On travaille pour ça et, si l'on remporte une médaille, nous viendrons la célébrer avec les Miramasséens". Un retour à la maison, en quelque sorte.
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