Témoignages "Ça compromet tout mon avenir" : avant les JO de Paris 2024, assignations à résidence et refus d'accréditation se multiplient

Article rédigé par Gaële Joly
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Plusieurs avocats dénoncent des mesures attentatoires aux libertés, photo d'illustration. (MARTIN RICKETT / MAXPPP)
Plus de 4 000 personnes ont été écartées des Jeux de Paris 2024, jugées susceptibles de présenter une menace. Des mesures dénoncées par de nombreux avocats.

À l’approche des JO de Paris, le ministère de l’Intérieur annonce avoir pris 155 mesures administratives de contrôle et de surveillance (Micas) à l'encontre d'individus jugés dangereux. Au total, 4 355 personnes - des athlètes, des entraîneurs ou des agents de sécurité - ont été écartées des Jeux olympiques, susceptibles de présenter une menace. De nombreux avocats dénoncent des mesures arbitraires.

Le 29 juin dernier, Amine est chez lui dans son studio, en banlieue parisienne, quand quatre policiers armés frappent à sa porte pour lui signifier sa mesure administrative de contrôle et de surveillance. Le jeune étudiant de 21 ans n'a plus le droit de quitter sa commune pour une durée de trois mois, le temps des Jeux olympiques et doit pointer tous les matins au commissariat : "Ça a été pour moi un réel cauchemar". Le ministère de l'Intérieur lui reproche d'avoir tenu des propos faisant l'apologie du terrorisme et d'avoir regardé des vidéos de décapitation sur l'application "Rave" qui diffuse des vidéos en direct. Mais, selon Amine, il a été victime d’une usurpation d'identité : "J'ai aussitôt porté plainte au commissariat, mais je ne sais pas si c'est par rapport au nom que je porte ou à mes origines maghrébines, mais personne ne veut me croire".  

"Les policiers se sont excusés"

L'escroc aurait, selon lui, emprunté deux de ses photos de profils sur les réseaux sociaux. Entendu en garde à vue le 16 avril dernier sur cette affaire par la sous-direction antiterroriste, Amine a été relâché au bout de huit heures, sans aucune poursuite : "Les policiers ont compris très rapidement que ce n'était pas moi et se sont excusés pour l'erreur". Son téléphone et son ordinateur ont été fouillés pendant deux mois par la DGSI, avant de lui être restitués. "Pour moi, ça a été un vrai choc, et je pensais en avoir fini avec tout ça, avant de recevoir la Micas", raconte l'homme à franceinfo.

Les conséquences sont lourdes. Depuis trois ans, le jeune homme est stagiaire dans une banque. En parallèle, il poursuit une licence dans une grande université parisienne et vient d'être admis dans une grande école de commerce en alternance, sous réserve de trouver un stage d'apprentissage : "Quand je postule dans des grandes banques d'investissement, je ne peux pas me rendre aux entretiens. Ca compromet tout mon avenir". Y compris ses projets d’été. Amine avait un rêve : partir en août, avec des amis faire le tour de Corse à moto. "J’ai déjà avancé l’argent après avoir économisé pendant un an, raconte-t-il. Mais ce rêve tombe à l'eau d’un coup." Avec son avocat, il a fait une demande d’annulation de sa Micas. L'audience est prévue à 14 heures, mercredi 24 juillet, au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dans le Val-d'Oise.

Un coup de filet extrêmement large

Son conseil, maître Vincent Brenghart, dénonce des mesures attentatoires aux libertés : "Vous avez des personnes qui n'ont jamais été condamnées, qui ont été entendues en garde à vue, mais qui ont bénéficié d'un classement sans suite ou d'une ordonnance de non-lieu. Et malgré tout, le ministère de l'Intérieur estime que ces faits sont caractérisés. C'est très inquiétant parce que ce ne sont pas des mesures qui font intervenir le judiciaire. Et en plus, c'est très difficile d'obtenir gain de cause, puisqu’il y a une présomption de bonne foi qui pèse en faveur du ministère".

"On a une politique qu'on peut tout à fait comprendre de la préservation de l'ordre public, poursuit l'avocate Lucie Simon qui défend de nombreux clients dans cette situation. Mais avec une incidence disproportionnée sur les libertés des personnes, avec un coup de filet extrêmement large". "Depuis l'état d'urgence, analyse Lucie Simon, l'arsenal législatif est très large. Il y a aussi les visites domiciliaires qui sont des perquisitions administratives, ou des refus d'accréditations pour les Jeux olympiques avec des investigations du service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS), qui ne sont même pas rendues publiques."

Refus d’accréditation

Léon a dû faire face à cette situation "kafkaïenne" : écarté des Jeux olympiques sans explication. Le jeune intermittent du spectacle de 33 ans, avait pourtant tout prévu : les billets, la location de l'appartement à Paris, après avoir répondu à une offre d’emploi. Mais 15 jours avant la cérémonie, il apprend qu'il ne pourra pas venir travailler au Grand Palais comme régisseur des épreuves de taekwondo et d'escrime. Son employeur l'informe qu'on lui a refusé son accréditation : "Je me l'explique parce qu'en 2016, j'étais photographe et lors d'une manifestation contre la loi Travail, j'ai été placé en garde à vue. Finalement, j'ai été relaxé, en première instance et en appel. J'ai un casier judiciaire vierge, mais je dois apparaître sur un fichier et cela justifie ce refus d'accréditation."

Des mesures inquiétantes, s'alarme Lucie Simon : "On imagine à quel point les services doivent agir dans la hâte, avec un objectif de risque zéro inatteignable. Donc dès que quelqu'un est sur un fichier, sachant qu'être dans un fichier ne veut rien dire, cela peut suffire à en faire une victime d'une mesure liberticide".

Léon va réclamer une indemnisation pour les semaines de travail perdues. Son employeur a été obligé de le remplacer. Il tente, par ailleurs, de faire retirer son nom de ces mystérieux fichiers : "Ce qui me fait peur, c'est pour la suite. Comment je vais faire pour travailler sur d'autres événements de ce type-là ? Et surtout, j'ai peur des dérives si un parti encore plus autoritaire arrive au pouvoir", conclut-il.

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