Parité aux JO de Tokyo : derrière les apparences, la société japonaise prisonnière de son carcan sexiste
Les JO de Tokyo auront la particularité d’être les premiers Jeux de l'histoire à respecter le principe de parité. Une nouveauté qui reflète davantage une volonté du CIO que du Japon, connu pour ses archaïsmes de genre.
Les Jeux olympiques de Tokyo (du 23 juillet au 8 août) seront uniques à plus d’un titre. Au-delà de la crise sanitaire et du report d’un an de l’évènement, ces Jeux tokyoïtes auront la particularité d’être les premiers de l'histoire à respecter le principe de l'équilibre entre les sexes. “Près de 49 % des athlètes participants seront des femmes, conformément au quota alloué par le Comité international olympique (CIO)”, indique l’instance.
Sur les 33 sports et les 50 disciplines, 165 hommes et 156 femmes participeront aux Jeux olympiques de Tokyo en juillet prochain. Et parmi les 339 épreuves, dix-huit seront mixtes, soit neuf de plus que lors des Jeux olympiques de Rio en 2016. Les spectateurs découvriront donc le relais 4x400 m, le relais 4x100 m quatre nages, une épreuve par équipe en judo et en tir à l'arc, une épreuve par équipe en triathlon, les doubles mixtes en tennis de table et trois compétitions en tir (pistolet, carabine, trap).
Les @jeuxolympiques de @Tokyo2020 seront les plus égalitaires de l’histoire en termes de parité hommes-femmes. ♀️⚖️ ♂️
— #Tokyo2020 en français (@Tokyo2020fr) March 8, 2021
Découvrez en chiffres l’évolution de la participation féminine de Tokyo 1964 à #Tokyo2020 ! pic.twitter.com/zvruaRxuN3
A l’heure de la parité, le CIO a également décidé d'autoriser, de manière facultative, deux porte-drapeaux par nation pour la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Tokyo 2020. Une "modification des directives protocolaires du CIO" qui permettra à deux athlètes, un homme et une femme, pour chaque Comité national olympique (CNO), de porter ensemble le drapeau lors de cette cérémonie. En parallèle de cette mesure, le CIO a également décidé que chaque délégation présente à Tokyo – soit 206 – devra compter “au moins une athlète femme et un athlète masculin dans leurs équipes olympiques respectives”.
Une volonté depuis plus de 40 ans
Si ce nouveau pas vers l’égalité des sexes est à saluer, il s’agit surtout d'une volonté du CIO. “Présenter les Jeux de Tokyo comme les plus paritaires de l’histoire est une bonne stratégie de communication mais c’est surtout une continuité logique mise en place par le CIO. A chaque JO, le nombre de femmes athlètes augmente. En 2016, on était à 45% de participantes", analyse Estelle Brun, chargée de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) au sein du programme Sport et géopolitique.
Cette même stratégie de l’instance internationale avait permis aux JO de Londres de 2012 d’ouvrir l’intégralité des sports aux hommes et aux femmes, sans distinction. “La boxe a été le dernier sport ouvert aux femmes lors des Jeux de Londres en 2012. Et toujours à Londres, il y a eu cette volonté que dans toutes les équipes, il y ait au moins une femme. Cela aussi a été imposé par le CIO”, détaille Jean-Loup Chappelet, professeur émérite à l'Université de Lausanne et spécialiste des questions olympiques. “Lors des Jeux de Paris en 2024, on sera peut-être à 50%. C'est une progression continue, lancée dans les années quatre-vingt pour suivre l'ère du temps", poursuit le spécialiste.
Paradoxe au pays du sexisme
La quasi parité défendue lors des Jeux de Tokyo contraste toutefois avec le sexisme latent de la société japonaise, et l’absence de considération de la femme. Dans le dernier Rapport mondial sur l'écart entre les sexes, publié le 30 mars 2021, le Japon pointe à une peu glorieuse 120e place (+1 place par rapport à 2020) sur 156. A titre de comparaison, la France est positionnée à la 16e place (-1 par rapport à 2020). “Si le CIO n'avait pas imposé cette parité, les Japonais n'auraient pas fait d'effort en ce sens”, estime Jean-Loup Chappelet. “C’est le Japon qui est un paradoxe depuis longtemps, soulève Christine Levy, chercheuse associée au Centre de recherche sur les civilisations de l'Asie orientale (CRCAO). Il est la troisième puissance mondiale et se retrouve au 120e rang du rapport mondial sur l’écart entre les sexes, alors que du point de vue du développement humain, il est bien placé.”
Ce paradoxe s’est révélé d’autant plus fort après les propos sexistes de l’ancien président du comité d’organisation des Jeux olympiques de Tokyo. Yoshiro Mori a en effet affirmé le 2 février 2021 que “les conseils d’administration avec beaucoup de femmes" prenaient "beaucoup de temps", car elles ont, selon lui, "du mal à finir" leurs interventions. “Ces propos ont d’abord provoqué un scandale à l'étranger. Puis, le Japon s'est révolté dans un deuxième temps”, observe Muriel Jolivet, sociologue vivant au Japon depuis 45 ans et auteure du livre Chronique d’un Japon ordinaire.
“Les déclarations de Mori ont suscité beaucoup de colère et de réactions, ce qui est relativement nouveau pour le Japon", complète la chercheuse au CRCAO, Christine Levy. Les prises de position ont été nombreuses, comme celle de la joueuse de tennis japonaise Naomi Osaka. "C'est la déclaration d'un ignorant", a sèchement fustigé la lauréate du dernier Open d'Australie. Dans la foulée des déclarations de Mori, une pétition appelant à des "sanctions appropriées" a réuni en une semaine près de 150 000 signatures. Là encore, il s’agit d’un fait rare au Japon.
“Ces remarques sexistes ont largement entaché ce sujet de la parité. Même si la condition de la femme s’améliore au Japon, on a encore des stéréotypes sexistes qui perdurent, notamment au sein des instances sportives de gouvernance, dominées encore principalement par des hommes”, remarque Estelle Brun. “Même si dans les chiffres on est presque à 50% de femmes athlètes, on a encore des dirigeants qui continuent à avoir ces pensées sexistes, et qui nourrissent un système patriarcal et inégalitaire”, ajoute la chercheuse.
Plus d’égalité hommes-femmes en héritage?
Bien que le Japon ait du mal à se sortir de ses archaïsmes de genre, les Jeux olympiques pourraient laisser un héritage sur cette question de l’égalité des sexes. “On peut l'espérer, estime la sociologue Muriel Jolivet. Mais pour cela, il faudrait changer les mentalités. Le problème est que la classe politique est composée d’hommes âgés, habitués à être servis, avec peu de femmes dans les parages. Je ne sais pas si la résonance des JO va faire basculer ces piliers, parce qu'en Asie, l'égalité entre hommes et femmes a du mal à entrer dans les mentalités.” “Sur le plan politique non, tranche quant à elle Christine Lévy. Politiquement, la sensibilité par rapport à la question de l'égalité hommes-femmes est très relative et le PLD, le parti politique au pouvoir en particulier, est très antiféministe. En revanche, dans le monde sportif il y aura certainement une influence.”
Pour Estelle Brun, chargée de recherche à l’IRIS au sein du programme Sport et géopolitique, un mouvement est déjà en marche et les Jeux pourraient bel et bien faire bouger les lignes à long terme. “On voit au niveau de la société japonaise qu’il y a un désir de ne plus accepter ce genre de comportement. Seiko Hashimoto, qui remplace Yoshiro Mori, a voulu encore plus se concentrer sur l'engagement de ces Jeux sur le sujet de la parité et sur l'émancipation des femmes au sein du comité, en nommant 12 femmes au conseil d'administration.”
Si cela peut apparaître comme positif, une analyse du journal Le Monde dépeint un tout autre tableau. Il semblerait en effet que le premier ministre Suga aurait “souhaité qu’une femme prenne la relève de Mori, afin de restaurer l’image des Jeux de Tokyo et montrer, que le ‘cercle masculin des décideurs de Tokyo [avait] tiré les leçons de l’affaire Mori’". Le comité d’organisation, et plus largement le Japon, ont-ils vraiment tiré les leçons de cette affaire ? Pour en être certain, il faudra donc attendre le post Jeux olympique.
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