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JO 2022 : cinq questions sur l'affaire de dopage concernant la jeune patineuse russe Kamila Valieva

La prodige de 15 ans, grande favorite chez les femmes, a été contrôlée positive à la trimétazidine en décembre 2021. Le Tribunal arbitral du sport l'a malgré tout autorisée à continuer la compétition, lundi.

Article rédigé par franceinfo: sport avec AFP
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La patineuse russe Kamila Valieva à l'entraînement, le 10 février 2022 sur la patinoire olympique de Pékin.  (ALEXEY FILIPPOV / SPUTNIK / AFP)

Du Capitole à la roche tarpéienne. Couverte de lauriers après un quadruple saut historique, lundi 7 février, lors de la compétition par équipes de patinage artistique, Kamila Valieva se trouve à 15 ans au cœur d'une tempête à Pékin. La cause ? Un contrôle positif à la trimétazidine quelques semaines avant les Jeux olympiques de Pékin. Un temps incertaine, la participation de la favorite pour l'épreuve individuelle à la suite des JO a bel et bien été confirmée par une décision du Tribunal arbitral du sport lundi 14 février. Mais elle n'est pas encore assurée de pouvoir conserver ses médailles glanées en Chine. Franceinfo: sport fait le point sur cette affaire en répondant à cinq questions.

Qui est Kamila Valieva ?

C'est la nouvelle prodige russe en patinage artistique. Championne du monde juniors en 2020, la jeune fille née à Kazan fait des débuts tonitruants dans la cour des grands. Pour son premier hiver avec les seniors, l'adolescente russe est tout simplement invaincue. Elle a remporté ses deux Grands Prix (Skate Canada et la Coupe de Russie), les championnats de Russie,  et été sacrée championne d'Europe mi-janvier. Cerise sur le gâteau : elle a plusieurs fois battu les records du monde dans la discipline.

Pour ses grands débuts olympiques, elle a pris part à la victoire russe lors de la compétition par équipes, tout en signant les premiers quadruples sauts féminins de l'histoire olympique.

Kamila Valieva est issue de la très renommée école Tutberidze, du nom de la coach Eteri Tutberidze. Les deux autres patineuses russes engagées aux Jeux de Pékin, Anna Shcherbakova, championne du monde en titre, et Alexandra Trusova, médaillée de bronze européenne et mondiale, en sont aussi des élèves. Toutes trois sont montées le podium européen il y a moins d'un mois et entendaient bien en faire de même aux JO.

Qu'est-ce qu'on lui reproche ?

L'affaire Valieva a éclaté mercredi, lorsque le Comité international olympique (CIO) a annoncé que la cérémonie des médailles de l'épreuve par équipes de patinage artistique, prévue la veille, avait été reportée pour des raisons "juridiques", sans donner plus de précisions. La presse russe a rapidement révélé que cette décision inhabituelle était liée à un contrôle antidopage positif concernant Kamila Valieva.

L'agence antidopage russe (Rusada), notifiée de ce contrôle positif, a suspendu provisoirement dès mardi la patineuse, titrée la veille avec l'équipe russe à Pékin. Valieva a fait appel dans la foulée et obtenu la levée de sa suspension par Rusada, ce qui lui permet de continuer à participer aux Jeux.

Le CIO avait annoncé qu'il allait faire appel de cette décision devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), sans attendre les motivations de Rusada, car "une décision est nécessaire avant le 15 février", jour du programme court femmes. Finalement, le TAS a confirmé que la patineuse pourrait bien poursuivre ses Jeux.

Quel est le produit dopant évoqué ?

Valieva a été testée positive à la trimétazidine, utilisée pour soulager les angines de poitrine et interdite par l'Agence mondiale antidopage depuis 2014. Sans rapport avec le cocktail de stéroïdes utilisé par les Russes lors du rocambolesque scandale des JO 2014 de Sotchi, ou avec l'EPO impliquée dans les disciplines d'endurance, la trimétazidine est rarement détectée dans un cadre sportif.

Par ailleurs, la réalité de son effet dopant est mise en doute par certains scientifiques. Elle avait été contestée sans succès l'an dernier devant la justice sportive par le lutteur français Zelimkhan Khadjiev.

"Les nombreux effets secondaires de type parkinsoniens ne semblent pas être de nature à favoriser un usage chez les sportifs", soulignait en 2020 le pharmacien et toxicologue Pascal Kintz dans la revue Toxicologie analytique et clinique, évoquant les risques de "troubles de la marche", "de chute" et "d'hallucinations".

Que risque la patineuse ?

Juridiquement, Valieva est une "personne protégée". Cette catégorie, introduite par l'AMA début 2021, englobe les sportifs de moins de 16 ans, ce qui explique pourquoi les instances antidopage n'ont pas immédiatement communiqué sur son contrôle positif.

Ce statut permet à la Russe de risquer une sanction moins sévère, allant d'une réprimande à deux ans de suspension, contre quatre habituellement. Une clémence qui s'est traduite dans la décision du Tribunal arbitral du sport, lundi 14 février, qui a permis à la jeune athlète de continuer à concourir, considérant que la priver d'épreuve avant même d'avoir examiné le fond de l'affaire lui causerait un préjudice "irréparable"Cependant, une autre audience aura lieu, plus tard, à l'issue de laquelle les résultats obtenus depuis son contrôle pourraient toujours, rétroactivement, être annulés.

Par ailleurs, l'encadrement de la patineuse fera l'objet d'une enquête. De son côté, le Comité olympique russe (ROC) a affirmé vendredi que sa jeune vedette avait le droit de continuer à participer aux Jeux de Pékin. Et le TAS lui a donc pour le moment donné raison.

Quelles conséquences pour les Russes ?

Le ROC tremble : sa médaille d'or pourrait-elle lui être retirée ? Rien n'est moins sûr. "Dans cette situation non prévue par les textes, je ne vois pas comment l'équipe pourrait être privée de sa médaille d'or", estime Pierre-Olivier Rocchi, avocat à Paris et spécialiste de l'antidopage. A la différence du règlement de l'athlétisme, qui sanctionne un relais entier si un coureur a été précédemment testé positif, celui de l'Union internationale de patinage ne prévoit de disqualification collective qu'en cas de contrôle pendant la compétition.

Le ROC a déclaré vendredi qu'il n'y avait "aucune raison" d'annuler cette médaille d'or. Son président, Stanislav Pozdnyakov, a même fait part de ses "interrogations sérieuses" quant aux conditions du contrôle positif de Kamila Valieva : "La norme internationale de traitement de l'échantillon A par le laboratoire de l'AMA est de 20 jours après la livraison de l'échantillon. Il est étrange que l'échantillon ait mis près d'un mois pour aller de Saint-Pétersbourg à Stockholm", où se trouve le laboratoire. "Il semblerait que quelqu'un a retenu l'échantillon jusqu'à la fin de la compétition de patinage par équipes" remportée par les Russes, a-t-il affirmé. 

La Russie a été suspendue fin 2020 de toute compétition internationale par le Tribunal arbitral du sport pour deux ans. Cependant, ses sportifs peuvent concourir sous pavillon neutre (le ROC) s'ils n'ont pas été personnellement sanctionnés pour dopage.

Si l'affaire Valieva s'avère n'être qu'une entorse individuelle aux règles antidopage, elle n'aura pas de conséquence supplémentaire pour le sport russe. La décision prise en 2020 visait directement Rusada, pour avoir d'abord orchestré et dissimulé un dopage institutionnalisé, puis manipulé des données informatiques réclamées par l'AMA.

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