: Reportage Paris 2024 : pour les habitants de Marseille, la flamme olympique dans la cité phocéenne, "c'est du niveau du pape"
Sur les épaules de papa, lui-même grimpé sur un plot en béton, en équilibre sur la pointe des pieds. Il fallait au moins ça pour que Nina, 6 ans, puisse entrapercevoir au milieu de la foule le Belem s'amarrer au Vieux-Port de Marseille. Puis, quelques instants plus tard, mercredi 8 mai, les yeux bleus de la fillette se sont écarquillés en grand lorsque le rappeur Jul, enfant de la ville, a tendu la main pour allumer la vasque, chez lui, à domicile. "Tu as vu papa, tu as vu ?!"
C'est ainsi et c'est presque un comble : l'histoire retiendra que les Jeux olympiques de Paris 2024 ont commencé sur le sol français... à Marseille. Assis avec son café à une terrasse du cours Saint-Louis, un client secoue les mains avant de s'esclaffer. "La flamme qui démarre chez nous ? Pour moi, c'est du même niveau que la visite de monsieur le pape en septembre. Ça met le bazar dans la ville, mais c'est pas mal du tout comme palmarès", applaudit "Loulou", de son vrai nom Louis Verteaux, "marseillais depuis cinq générations".
Les salariés autorisés à quitter le travail plus tôt
"On est encore bénis !", enchaîne son voisin de table. Lors de la messe quotidienne de 16h30 à la basilique Notre-Dame de la Garde, le cardinal Jean-Marc Aveline n'a d'ailleurs pas pu s'empêcher de faire référence aux Jeux olympiques dans sa prise de parole.
"Je veux que les enfants voient ça, explique Samira, avant de se faufiler dans la foule massée sur le Vieux-Port. Cette jeune mère de famille est venue avec Ilia, 6 ans, et Jamil, 7 ans.
"On n'a pas les moyens d'acheter des places pour les épreuves. Nos Jeux, c'est donc la flamme."
Samira, venue assister à l'arrivée de la flamme olympique à Marseilleà franceinfo
Exceptionnellement, des boutiques ont autorisé leurs salariés à quitter le travail plus tôt pour essayer d'apercevoir même un petit morceau de la flamme. A l'hôpital Nord, des patients ont demandé aux soignants de brancher les télés des chambres sur les JO. "Ça fait un sujet de conversation qui change du quotidien, sourit Charlotte Arbelot, anesthésiste-réanimatrice. Malgré leur état de santé, il y en a qui voulaient absolument voir l'arrivée du Belem."
Des places pour la parade au marché noir
Pour voir le fameux trois-mâts de très près, il fallait anticiper et sortir le chéquier. Certains hôtels sont pleins depuis six mois. Au "Beauvau", les 35 chambres avec vue imprenable sur le Vieux-Port se sont arrachées. Parmi les clients, des Marseillais. "Une dame qui habite dans le 8e arrondissement s'est offert ce petit plaisir pour profiter au mieux des Jeux dans sa ville", glisse la réceptionniste.
La chambre numéro 702 est, elle, occupée par un couple originaire des Hauts-de Seine. "On a réservé il y a plus d'un an, se souvient Nelly Fonfride. En fait, dès qu'on a su la date, on s'est précipités sur internet. A l'époque, c'était un peu plus de 600 euros les deux nuits." Dernièrement, les prix ont triplé. Mais à ce tarif, une paire de jumelles est offerte par l'établissement pour ne rien rater des festivités.
Les skippeurs autorisés à participer à la parade ont, eux, dû signer un texte pour certifier qu'ils se refusaient à toute activité commerciale. Ces dernières heures, pourtant, il était encore possible de négocier au marché noir les toutes dernières places sur les bateaux autorisés à approcher le Belem. "Elles coûtent 200 euros, 250 euros, glisse Mathieu Sombardier, qui a lui-même été sollicité à plusieurs reprises. J'ai refusé à chaque fois. Mon bateau, c'est avec ma famille et mes amis, et c'est gratuit."
Des "Paris 2024" partout, mais pas au Vélodrome
Mais les JO, c'est aussi Paris qui débarque Marseille. Et "ça, c'est assez désagréable", grince des dents Mourad, responsable de la boutique officielle de l'OM. "Si j'étais dans l'organisation, j'aurais proposé Marseille 2024. Pourquoi il faut toujours ramener la capitale partout ? Ce n'est pas fair-play du tout." Mardi soir, quelques huées ont d'ailleurs coupé l'air du Vieux-Port lorsque le logo "Paris 2024" s'est affiché dans le ciel à l'issue du feu d'artifice.
Marketing oblige, le magasin Monoprix de la Canebière a fini par proposer des tours Eiffel à 6,50 euros pièce, et "c'est bien la première et dernière fois que ça arrive", pouffe une vendeuse en train de remettre de l'ordre dans le rayon. Thierry Duponchel, le chef de réception de l'hôtel Ibis Vieux-Port n'a pas non plus eu d'autre choix que d'apposer "comme tout le monde" le kit autocollants "Paris 2024" sur la devanture de son établissement. "Consigne du groupe Accor auquel on appartient, et qui est partenaire officiel de l'événement, murmure-t-il. Ça fait mal au cœur. A la fin des JO, j'enlève tout !"
Et encore, les habitants ont bien cru que le stade Vélodrome, leur stade Vélodrome, allait lui aussi être affublé du logo officiel. "Il y a une incompréhension, on ne va pas changer le naming de ce stade", avait rassuré Tony Estanguet il y a quelques mois, alors que plusieurs élus locaux s'en étaient ouvertement émus.
"Il faut savoir partager"
Un autre sujet est venu grossir l'ordre du jour des derniers conseils municipaux de Marseille : l'accès aux plages cet été, alors que pas moins de 330 athlètes vont naviguer dans la rade de la cité phocéenne à partir du 28 juillet. "On n'a rien contre les épreuves de voile olympique. Mais nous, dans tout ça ?, interroge Sylvain Ronca, le président de l'association des Nageurs du Prado. Natation, interdite. Kayak, interdit. Paddle, interdit. Plongée, interdite. Si vous calculez, cette surface privatisée représente 20 stades Vélodrome."
Dominique, secrétaire de l'association des Libres nageurs, a, elle aussi, participé aux manifestations pour demander "un peu de souplesse". "Je comprends que les JO exigent des choses, mais il faut savoir partager", raconte celle qui nage tous les jours de l'année "presque sans exception".
"Marseille fière d'accueillir la flamme", martèle une pancarte bleue installée un peu partout dans le centre-ville. "Oui, enfin sans le sponsor Coca-Cola, ça aurait quand même été mieux, grince des dents Eric Akopian, le fondateur de l'association locale Clean my calanques, qui nettoie le littoral marseillais. "Pardon, mais ça fait sept ans qu'on ramasse des déchets, sept ans qu'on ramasse des canettes de Coca." L'association a même fini par refuser de porter la flamme olympique. "C'était absolument impensable pour nous".
L'organisation n'est pas la seule à se rebiffer. Un collectif anti-Jeux, composé notamment de Saccage 2024 ou d'Extinction rébellion, appelait d'ailleurs à une nouvelle mobilisation sur la place des Réformés, mercredi, quelques heures avant l'arrivée de la flamme olympique.
"On a l'impression d'être les oubliés"
A Marseille, tout le monde connaît quelqu'un qui a fui la ville le temps de ce week-end. Il suffit pourtant de prendre le tramway et de s'enfoncer dans les quartiers pour comprendre que les JO ne sont pas un sujet pour tout le monde. Dans le 3e arrondissement de la ville, l'un des plus pauvres, bien malin celui qui trouvera la moindre affiche. "On attend toujours qu'on vienne nous parler des JO, regrette Jimmy Zamani, responsable des jeunes au sein de l'ASCJ, le club de foot du quartier Félix-Pyat. On a vu personne, pas reçu le moindre flyer. Tout le monde parle des JO mais chez nous, il ne s'est rien passé encore. On a l'impression d'être les oubliés."
Les membres de son club ont essayé de faire la promotion des festivités auprès des jeunes du club. "Ces derniers temps, à la fin des entraînements, on a insisté, on leur disait : 'Allez-y, les Jeux, c'est une fois dans votre vie', raconte le bénévole. Entre nous, je n'ai pas senti un énorme enthousiasme. Les JO ne sont pas du tout la priorité de la plupart des familles du quartier." Pour le moment, Jimmy Zamani ne connaît personne au club qui a acheté des places pour l'un des dix matches du tournoi olympique de football programmés à Marseille.
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