: Reportage JO 2022 : à Yanqing, Alexis Pinturault rattrapé par sa malédiction olympique
Favori du combiné alpin, le Français a terminé la journée bredouille après sa chute en slalom. La malédiction olympique s’est prolongée dans le décor irréel de Yanginq.
Pour approcher le rêve olympique d’Alexis Pinturault, il faut se lever tôt. Le départ est prévu aux aurores, à une heure où la bulle sanitaire se met à peine en mouvement. Sur les autoroutes qui relient Zhangjiakou, le cœur des Jeux de Pékin, à Yanqing, le site reculé du ski alpin, on ne croise aucun véhicule. Ou presque. Seuls les doux rayons dorés du soleil tiennent compagnie pendant l’heure et demie de route nécessaire pour approcher les pistes alpines, nichées au cœur de montagnes bien plus escarpées que les collines de Zhangjiakou.
Personne ou presque ne semble prendre la route de la piste de descente, qui est pourtant the place to be en ce jeudi 10 février. Et pour cause, Alexis Pinturault s’apprête à y prendre le départ d’un combiné alpin dont il est favori, lui qui court toujours après son précieux : une médaille d’or olympique qui le fuit depuis dix ans.
Bienvenue au Mordor
Après avoir pris la voiture, une navette, et deux télécabines - aux banquettes chauffantes, un vrai luxe -, nous voici enfin au pied des pistes de Yanqing : de longs bandeaux de neige artificielle qui serpentent sur les arêtes de ces reliefs rocheux inhospitaliers. C’est dans ce décor menaçant, plus proche de l'œuvre de Tolkien que des bucoliques forêts alpines, qu’Alexis Pinturault doit mettre fin à sa malédiction olympique et aller chercher le seul titre qui lui manque.
En sortant de la dernière télécabine, on tombe nez à nez avec David Chastan, directeur de l’équipe de France de ski alpin. L’occasion de prendre la température, à une heure du départ : "On est monté à 7h30 pour la reconnaissance. Il y a un peu plus de vent aujourd’hui, il sera dans le dos des skieurs. Les conditions sont bonnes. Alexis va bien, il sent bien la piste, mais la course, ça reste indécis. Tout peut se passer, la journée va être longue", prévient le boss des Bleus, déjà très concentré.
Sur le front de neige coincé entre deux falaises rocheuses, Luc Alphand se réchauffe autour d’un café. L’ancien descendeur a eu le privilège de reconnaître la piste quelques minutes plus tôt, et se veut confiant après avoir eu ses troupes : "J’ai croisé Alexis, je lui ai pris le casque et je lui ai dit : 'come on Alex !' Je le sens bien". Le contingent français à Yanqing est d’ailleurs un peu plus important en ce jour de combiné, beaucoup de journalistes ayant fait le déplacement pour cette grande bataille.
Mais ce contingent compte aussi des alliés francophiles, à l’image de Jade, pékinoise, qui intervient lors du protocole sur le podium après la course : "Je fais les annonces en français, comme le veut la tradition des JO. J’ai vu l’interview de Pinturault ce matin. Je serai très heureuse s’il finit sur le podium. Je crois qu’aucun Chinois ne peut gagner le combiné, donc je suis pour les Français aujourd’hui", confie la jeune femme qui parle un français parfait sans avoir jamais quitté la terre (de l'empire) du Milieu.
Dans l’aire d’arrivée, on retrouve quelques manteaux tricolores de la délégation française. Parmi eux, celui de Nastasia Noens, qui a terminé ses JO la veille en slalom : "Hier, tous les descendeurs étaient là pour moi. Il manque ce public donc c’est important de se soutenir entre nous. Il y a tellement peu de bruit, que sur les skis, on entend leurs encouragements", assure la Niçoise.
Après être allée voir la luge la veille malgré la fatigue, elle a surtout hâte d'assister à la deuxième manche de ce combiné "parce que la première, la descente, on ne voit que la fin, alors qu’en slalom on voit bien le mur final".
Accoudée à la main courante, une figure plus surprenante reçoit une leçon particulière de Julien Lizeroux : Guy Drut, champion olympique de 110 m haies en 1976, aujourd’hui membre du CIO. "C’est la première fois que je suis la totalité des JO d’hiver, je ne connais pas tout. C’est super d’avoir un connaisseur comme Julien pour m’expliquer la course en direct, parce que depuis mon époque, la technique a bien évolué", sourit-il.
Hélas, les sourires français laissent vite place à des rictus crispés. Après une faute en milieu de parcours, Alexis Pinturault vient de passer à côté de sa manche. Le skieur de Courchevel se classe onzième à presque deux secondes de la tête. "C’est pas grave, il y a deux manches, non ?", relativise Guy Drut.
Le Seigneur des Anneaux olympiques
Après un nouveau trajet en télécabine, direction le site de slalom, et une pause déjeuner de trois heures. À table, Carole Montillet et Luc Alphand débriefent autour d’un plat de nouilles. Les deux gloires tricolores s’accordent sur un fait : "Ce n’est pas mort pour la médaille". Pour en avoir le cœur net, il suffit d’aller se positionner en bas du mur de slalom. Les supporters tricolores s’y font plus nombreux, avec des renfort, pas venus du Rohan mais menés par l'Aragorn du biathlon, Martin Fourcade, et plusieurs coachs, dont Vincent Blum.
"Alexis est capable de tout. Et dans un slalom tout peut arriver, on a confiance en lui.. Sachant que c’est l’entraîneur technicien d’Alexis qui a tracé la manche…"
Vincent Blum, entraîneur de l'équipe de Franceà franceinfo: sport
En attendant le Français, onzième partant, ce sont les Autrichiens qu’on entend le plus après le passage canon de Johannes Strolz (futur médaillé d’or). La pression monte dans le camp tricolore, alors que les lisseurs passent sur la piste. En tribunes, le public chinois s’ambiance sur un vieux morceau de David Guetta qui peine à recouvrir le bruit sec des piquets qui claquent sur la neige au passage des skieurs. Au son, on entend les quelques secondes d’écart entre chaque coureur. C’est au tour d’Alexis Pinturault de s’élancer, les Bleus se resserrent.
Incisif, le skieur de Courchevel reprend du temps dès les premiers virages. Avant la chute. "Ah, putain !", lance d’une seule voix le camp tricolore, déçu. La stupéfaction règne, même dans les camps adverses. "Il a pris les risques qu’il fallait. Pour un grand champion comme lui, c’est la gagne ou rien", relativise Guy Drut. Ami des Français, le Suisse Loïc Meillard sort aussi dans la foulée. Déçus, les Bleus quittent l’aire d’arrivée.
"Vu l’écart, il n’y avait plus de question à se poser. Il est parti sur le bon état d’esprit. C’est mieux de sortir comme ça que de faire comme Schwarz qui fait une bonne descente mais se rate sur sa spécialité. Schwarz sera plus déçu que lui. L’important c’est qu’il soit en bonne santé."
David Chastan, directeur de l'équipe de France de ski alpinà franceinfo: sport
Après de longues minutes, Alexis Pinturault apparaît finalement sur le bas de la piste. Toujours aussi professionnel et courtois, le Français répond aux sollicitations médiatiques malgré la déception qui se lit sur son visage. Accompagné de son épouse et attachée de presse Romane, il quitte la zone mixte les yeux rougis par l’émotion après avoir fondu en larmes au bout de ces interviews.
Surtout, le Français tient son bras droit en écharpe. Et quand on lui souhaite bon courage pour la suite des JO, Alexis Pinturault répond d’une petite voix : "Merci", avant de se diriger vers le cabinet médical. Malheureusement pour le skieur de Courchevel et pour la France, sa malédiction aux Jeux n'a pas pris fin à Yanqing, dans ces montagnes dignes du Mordor. Mais il sera encore temps pour lui de devenir le Seigneur des Anneaux olympiques dimanche, en slalom géant.
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