Portrait JO de Paris 2024 : Keala Kennelly, surfeuse pionnière de la vague olympique de Teahupo'o

En 2005, l’Hawaïenne a marqué l’histoire de sa discipline en devenant la première femme à affronter en surf tracté Teahupo'o, cette vague qui accueille les épreuves olympiques de surf à partir de samedi à Tahiti.
Article rédigé par Charline Martin-Méfort
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5min
L'Américaine Keala Kennelly surfe la vague de Teahupo'o, à Tahiti, le 14 mai 2013. (GREGORY BOISSY / AFP)

Elle est de ceux dont la présence marque un lieu à jamais, des rares qui, à un moment ou un autre, ont fait basculer un site dans une autre dimension. Keala Kennelly n'est pas tahitienne, mais elle est une pionnière de Teahupo'o, cette vague polynésienne qui recevra les épreuves de surf des Jeux olympiques de Paris, du 27 au 30 juillet 2024.

L'histoire du spot polynésien, elle l'a marquée en 2005 en devenant la première femme à surfer cette vague réputée comme l'une des plus dangereuses au monde, en tow-in (tractée par un jet-ski). Cette prouesse lui vaut aujourd'hui l'étiquette de légende. Un titre qui lui va bien. Aujourd'hui à la retraite, elle raconte cette relation paradoxale avec celle qu'elle a su dompter.

Un visage marqué à jamais par la vague

Cette vague, la surfeuse l'a cherchée pendant plusieurs années. Mise au surf par son père alors qu'elle savait à peine marcher, l'Hawaïenne a ensuite gravi les échelons à vitesse grand V, jusqu'à rejoindre l'élite internationale du Championship Tour à seulement 20 ans. La native de Kauai, l'une des principales îles de l'archipel d'Hawaï, a tracé son chemin dans l'excellence.

Bien que détentrice d'un titre de vice-championne du monde, sa plus grande fierté reste sans doute ses victoires arrachées sur la vague du bout du monde. "J'ai remporté trois victoires à Tahiti sur les huit éditions féminines organisées à Teahupo'o entre 1999 et 2006", scande-t-elle. Pourtant, Teahupo'o, elle l'aime autant qu'elle la déteste. "C'est une vague aussi effrayante que belle. Elle fait peur car elle est puissante, le récif est très aiguisé. A la moindre erreur, tu peux te blesser gravement. Et en même temps elle est tellement belle, plantée dans un décor paradisiaque, à côté des montagnes, dans une eau cristalline…"

En 2011, c'est là qu'elle a manqué de perdre la vie. Le pire accident de sa carrière. "Ce jour-là, il y avait la plus grosse houle que je n'avais jamais vue à Teahupo'o", se souvient-elle. Sans avoir peur, elle se lance sur la vague."J'ai voulu faire un ajustement sur ma planche et je suis tombée. Ma tête a touché le fond." Sous l'eau, le reef (qu'on pourrait traduire par "récif" en français) fait l'effet de lames de rasoir. Lorsque Keala Kennelly rejoint enfin la surface, son visage apparaît, déchiqueté. "Je ne me rendais pas compte de l'importance de ma blessure quand je suis remontée."

Elle est conduite dans la foulée à l'hôpital de la presqu'île, à quelques minutes du spot. "IIs ont nettoyé et, quand ils ont découvert l'ampleur de la blessure, ils m'ont transportée à Papeete", la capitale de l'île. Là-bas, les chirurgiens tentent de réparer sa tempe et le côté de sa joue. Elle se réveille avec 40 points de suture. "J'ai énormément de chance, car les médecins ont fait un super travail", déclare-t-elle, le visage marqué à jamais.

Combat féministe

Trois ans après son traumatisme, l'Hawaïenne remet le couvert, comme une "rédemption". Son retour sur la planche prend aussi un air de revanche "vis-à-vis de ceux qui disaient que les femmes ne pouvaient pas surfer Teahupo'o". Son passage dans le monde des pros est en effet aussi associé à un combat féministe.

"Se faire une place en tant que femme a été complexe, surtout pour ma génération et celles d'avant, car les surfeurs et les industries ne nous voyaient pas surfer."

Keala Kennelly, ancienne surfeuse américaine

à franceinfo: sport

Des batailles, elle en a mené bon nombre. Lorsque l'étape à Teahupo'o a été retirée du circuit professionnel féminin en 2006 par la World Surf League (la ligue professionnelle mondiale), qui estimait que les femmes n'étaient pas à l'aise pour la surfer, elle a fait partie de ceux qui ont dénoncé cette décision. "Quelques femmes n'étaient pas à l'aise, c'est vrai, mais en réalité, tout le monde a peur de cette vague."

Après son coming out en 2007, qui a déclenché un déferlement de haine et la perte de certains de ses sponsors, Keala Kennelly est restée déterminée : "J'ai continué à prendre des grosses vagues." Elle a ensuite accueilli à bras ouverts l'équité des prize money, obtenue en 2019. Le choix de Teahupo'o pour les épreuves de surf des Jeux olympiques, elle ne l'avait même pas imaginé.

"Quand ils ont enlevé Teahupo'o du circuit, ça m’a brisé le cœur, car c’est l’une des épreuves que j’ai le plus gagnées. Je pense qu’ils l’ont fait car c’était trop cher et ils ont trouvé l’excuse de dire que les femmes étaient effrayées."

Keala Kennelly, ancienne surfeuse américaine

à franceinfo: sport

Pendant les Jeux, Keala Kennelly ne viendra cependant pas à Tahiti, elle ne regardera peut-être même pas les épreuves à la télévision. Trop difficile pour elle de suivre cet événement planétaire maintenant qu'elle a pris sa retraite sportive, et après avoir évolué pendant sept années aux côtés des meilleurs surfeurs de la planète. "C'est mon rêve qui devient réalité, mais je ne suis plus en compétition pour surfer cette vague olympique."

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