Cet article date de plus de quatre ans.

Armand de Rendinger : "Le CIO en état d'urgence olympique"

Les médias le présentent comme consultant international pour le sport et l’olympisme. Consultant associé-fondateur chez Andersen (devenu Accenture), au comité d’organisation des jeux d’Albertville et pour une douzaine de candidatures olympiques, Armand de Rendinger est aujourd’hui "officiellement retiré des affaires" mais il reste en contact avec de nombreux acteurs clés du monde olympique. Et dans ce week-end mouvementé, son téléphone ne refroidit pas.
Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
  (SEL AHMET/SIPA)

Les heures actuelles montrent un CIO sous la pression de nombreux acteurs, fédérations ou même athlètes, qu’il est censé représenter. Une inversion de vapeur inédite ?
ADR : "Absolument. Concernant cette épidémie du Coronavirus, le CIO a toujours dit jusque-là qu’il était trop tôt pour décider, qu’il ne fallait pas « spéculer » selon les mots de son président Thomas Bach. Mais depuis deux semaines, on assiste à une inversion de la pression, des athlètes, de fédérations internationales importantes et même de certains membres éminents qui prennent position sur le sujet, sur un report ou parfois une annulation des jeux de Tokyo.

"les wagons olympiques se détachent peu à peu de la locomotive CIO"

Alors que le CIO travaille sur le sujet depuis longtemps, il donne l’impression par la communication de son président de tergiverser. Face à l’urgence, sanitaire, humaine et économique, il n’a pas pris conscience qu’il y a, à son niveau, ce que j’appelle une urgence olympique. Par exemple, le CIO a organisé, mardi dernier, une visio-conférence avec les fédérations et les Comités Nationaux Olympiques du monde entier, où il a fait le point sur le travail effectué mais aussi sur ce qu’il faut porter comme message. Ainsi Denis Masseglia (Président du CNOSF) affirme ensuite que si « on a passé le pic d’épidémie en mai, on peut envisager les jeux à Tokyo en juillet ». Ceci, au moment où d’énormes événements sportifs sont annulés, crée un décalage entre la réalité, le ressenti des sportifs et leurs institutions censées les guider. Voilà comment les wagons olympiques se détachent peu à peu de la locomotive CIO, parce que les responsables donnent le sentiment d’évoluer hors-sol par rapport à la réalité des sportifs."

Maintien, report, annulation ? Quels sont les avantages et les freins à ces trois hypothèses ?
ADR : "Toutes ces hypothèses sont sur la table travail du CIO, et depuis déjà un moment. Il ne découvre pas la problématique mais il a trop tardé. 

Sur un report de 3 mois à l’automne par exemple se posent les problèmes de la qualité de l’organisation qui pourrait être délivrée ( disponibilité du village olympique et des chambres d’hôtels, des bénévoles, etc.), du climat (saison des typhons), notamment pour les jeux paralympiques, de la préparation des athlètes totalement bouleversée et en plus de la participation de nombreux athlètes professionnels dont les championnats auront repris, comme les basketteurs américains, les handballeurs, les footballeurs, etc. Et sur ces éventuels jeux à l’automne, se pose avant tout la question de la fin de la pandémie. Personne ne peut dire aujourd’hui qu’elle sera maîtrisée partout à cette date. En somme, cette solution qui peut paraître évidente pour beaucoup, ne l’est en fait pas du tout.

Sur un report d’un an, se pose le problème de la disponibilité du village olympique dont les appartements ont été vendus mais aussi un souci de calendrier. Les années impairs sont traditionnellement réservées à l’organisation de championnats du monde de grands sports olympiques, en premier lieu l’athlétisme en août à Eugene (USA). Idem pour les championnats du monde de natation à Fukuoka, au japon fin juillet 2021. Faut-il les maintenir alors qu’ils sont programmés dans les même créneaux ? Faut-il les annuler et compenser le manque à gagner ? On entre ici dans une possible bataille financière, d’images et de pouvoir entre différents acteurs du sport censés tirés dans le même sens. On notera, ces dernières heures, le silence de World Athlétics (ex IAAF) et de la FINA (natation) sur le sujet.

"L’annulation serait un cataclysme sportif"

L’annulation serait un cataclysme sportif que nous n’avons connu qu’en temps de guerre mais pour le CIO, c’est le scénario presque le plus simple à gérer. D’abord parce que financièrement il est très bien assuré et ne perdrait pas grand chose, ensuite parce qu’il éviterait toutes les montagnes de problèmes énoncés plus haut et encore d’autres dont nous n’avons pas conscience à cette heure. Cependant, sur cette hypothèse, le CIO se trouve actuellement sous la pression des japonais qui ont explosé, eux aussi, leur budget et engagé 20 milliards de dollars dans l’affaire. Il y a cependant une tendance au sein du pouvoir japonais de montrer qu’il peut supporter et surmonter toutes les catastrophes, celle de l’annulation des jeux n’étant pas du même niveau que celle de Fukushima par exemple.

Pour le CIO la principale problématique sera encore une fois la communication : comment s’y prendrait-il pour annoncer cela ? Pour l’instant, Thomas Bach laisse peu à peu filtrer l’idée qu’il s’en remet à l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), concernant un report, et au Japon pour une annulation. Cela fait grincer des dents dans le mouvement olympique censé prendre des décisions par lui-même, sans aucune influence extérieure, économique ou politique. Encore une fois on attend des responsables qu’ils assument…"

Si l’on comprend bien, le Coronavirus est porteur d’effets secondaires à long terme pour le CIO et pourrait laisser des traces ?
ADR :
 "C’est évident mais de toute difficulté naissent des opportunités. Je ne crois pas qu’on pourra continuer à gouverner comme on l’a fait jusque-là, de manière très pyramidale, du bureau de Thomas Bach entouré de quelques proches, puis à la commission exécutive, puis aux fédérations, puis à l’assemblée etc. jusqu’aux athlètes à la base. Je crois que cette période ouvre des perspectives pour des femmes et des hommes d’envergure qu’ils soient actuellement membres du CIO ou simples athlètes ou entraîneurs, qu’ils soient de l’ancien ou du nouveau monde.

Il y a deux semaines, au sortir d’une réunion de la commission exécutive du CIO (son gouvernement), Thomas Bach, interrogé par un journaliste sur la question du Coronavirus et d’un report, a répondu que « Ni le mot annulation ni le mot report n’ont été évoqués ce jour ». C’est faux car je peux vous dire que cela a bien été abordé. Des membres importants du CIO, comme Dick Pound, pour dire que le report n’est pas jouable, ou Pierre-Olivier Beckers, pour militer pour un report ont rompu l’unanimisme.

Ce week-end, des athlètes canadiens font même circuler une pétition demandant le report contre l’avis de leur comité olympique. Et ce sont maintenant des mastodontes comme les fédérations américaines de natation et d’athlétisme qui montent au créneau. Le CIO devient une tour de Babel alors qu’il est censé, éduqué et apaisé selon l’UNESCO. Alors oui, ce virus va laisser des traces, en 2021 bien sûr, lors de la réélection ou de l’élection de son - sa - président-e. Mais peut-être avant. Thomas Bach rame mais cela peut toujours être pire. Il ne faudrait pas que quelqu’un du sérail lâche incidemment « En fait, la décision semble déjà prise depuis un moment »".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.