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Japania, la chaîne YouTube qui donne la parole aux Japonais

ÉPISODE 1 / À quelques mois du début des Jeux olympiques de Tokyo, France tv sport part à la rencontre de celles et ceux qui partagent leur passion pour le Japon sur YouTube. Pour ce premier épisode, on a discuté avec Amine de la chaîne Japania. Spécialiste des “micro-trottoirs”, ce Français de 27 ans n’hésite pas à aller questionner les Japonais sur leur société et différents faits d’actualité. Sans oublier de partager avec ses abonnés les meilleurs spots de l’archipel. 行きましょう (Allons-y !) !
Article rédigé par Clément Mariotti Pons
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 12 min
 

La carte d’identité : Amine Habes, 27 ans, originaire de région parisienne. Diplômé d’une école de commerce. Vit à Tokyo depuis près de quatre ans.



Partie 1 : le projet Japania

Comment s’est construit ton aventure au Japon ?

Amine Habes : "Dans mon cursus, j’ai eu la chance de découvrir le Japon grâce à un partenariat avec une université japonaise, celle d'Hiroshima. C'était au printemps 2013, première fois que je mettais les pieds sur l'archipel. Et je me suis pris une claque culturelle... À la base, je me demandais si le pays allait être à la hauteur de mes espérances, j’ai été bercé à la culture manga, aux anime etc. Et au final je n'ai pas du tout été déçu. À la fin de mon échange, j'avais deux ans d'école à finir et je me disais : 'je finis mes études et je viens au Japon trouver un travail'."

Et deux ans plus tard tu revenais, comme prévu...

A. H. : "Oui, en 2015 je venais d'être diplômé et je n'avais qu'une idée en tête, trouver un boulot ici. J'ai fait ma demande de Working Holiday (visa vacances-travail, NDLR) pour avoir un an au Japon et me permettre de trouver un emploi. Et ça s'est bien passé, j'ai réussi à trouver mon travail au bout de quelques semaines. YouTube est arrivé ensuite, j'ai lancé Japania un an après mon installation à Tokyo en juillet 2017. J'avais déjà une petite expérience de créations de vidéos puisque je faisais partie du collectif de l'Alliance Rainbow. Mais une fois sur place, je voulais lancer quelque chose, créer une chaîne sur le Japon, m'investir pour partager tout ce que je voyais. Les gens ne se rendent pas forcément compte de ce que c'est de vivre quotidiennement ici et j'avais envie de leur montrer ça."

Comment as-tu appris le japonais ?

A. H. : "Au départ, j'ai essayé d'apprendre en autodidacte, avec les hiragana et les katakana, les deux syllabaires japonais. Et lors de mon premier passage à Hiroshima, j'ai pu voir que les Japonais avaient beaucoup de mal avec l'anglais et la communication était compliquée. Je pense être passé à côté de pas mal de choses, c’est dommage... Je n'avais pas envie de refaire deux fois la même erreur et je voulais être capable de me débrouiller. J'ai bachoté, j'étais motivé. C'est vraiment en échangeant avec les autres que j'ai fait les plus gros progrès. Ensuite, tu apprends le vocabulaire et voilà. J'aurais pu apprendre plus vite, c'est aussi une question de temps, d'investissement etc."

Tu as aussi appris le montage vidéo tout seul grâce à YouTube ?

A. H. : "Oui, grâce à des tutos. D'ailleurs pour l'anecdote, j'ai appris grâce aux tutos de Laurent Caccia, un vidéaste qui est basé en Corée du Sud et qui, au tout début de sa chaîne, faisait des tutoriels pour un logiciel de montage. Ensuite, on est devenus potes ! En ce qui concerne le tournage, je le fais moi-même et avec l'aide de Pierre, mon binôme, un de mes meilleurs potes avec qui j'étais en école de commerce. On avait ce même objectif de revenir au Japon."

Est-ce qu’aujourd’hui tu vis de tes vidéos sur YouTube, comment ça se passe ?

A. H. : "Non, YouTube c'est vraiment que de la passion. J'ai mon vrai travail à côté, je fais du marketing pour une entreprise étrangère donc je gagne ma vie en dehors de mes vidéos. Je fais l'équivalent de 42-43 heures par semaine donc mon agenda est déjà bien plein mais j'essaie de trouver du temps après le travail, le week-end etc. pour faire des tournages et les montages. Je n'ai pas une vie bridée par le travail, je m'amuse, je voyage, je vois mes potes... C'est juste une question d'organisation."

En deux ans et demi, ta chaîne a presque atteint les 9 millions de pages vues, et tu as 118 000 personnes qui te suivent. Tu serais prêt à tout quitter pour t’investir pleinement sur YouTube ?

A. H. : "Si je réussis à devenir mon propre chef, à développer une activité basée autour de ça et de bien gagner ma vie, je me poserai la question mais honnêtement, pour le moment j'ai la chance d'être dans une entreprise où j'ai pu avoir des responsabilités rapidement. Donc me dire que je vais plaquer ça, je n'y suis pas prêt."

Partie 2 : la vie au Japon

Est-ce qu’il y a quelque chose qui te marque particulièrement depuis que tu es au Japon ?

A. H. : "Je dirais cette bienveillance qui existe sur l’archipel. Une fois que tu parles un peu la langue, que tu fais des efforts d'intégration, beaucoup de Japonais deviennent très avenants et cassent un peu cette distance. Je me rappelle quand je suis allé voyager à Niigata, une ville en province à trois-quatre heures de Tokyo. À peine arrivé, je sors mon téléphone pour trouver mon hôtel et là une personne vient directement me voir pour me demander si j'ai besoin d'aide. C'est en sortant de la capitale que tu découvres un autre Japon où les gens sont radicalement différents. Ils sont beaucoup plus calmes, pas stressés, ont plus de temps... C'est super touchant. C'est toute cette culture de l'omotenashi, ils veulent renvoyer une image du service au Japon. Ils se sentent responsables de l'image que tu vas avoir du pays, de ton expérience. En étant accueillants, ils remplissent leur devoir vis-à-vis de la société en quelque sorte. C'est toujours la société avant l'individu."

C’est une culture qui se développe dès le plus jeune âge...

A. H. : "Oui, l'école prépare à cela, à rentrer dans le moule de la société. Le revers de la médaille, c'est parfois cette absence de réflexion des Japonais qui n'ont pas forcément d'avis sur les choses, pas forcément le même esprit critique que chez nous. Les tests des lycéens et étudiants japonais, ce sont généralement des QCM donc tu n'es pas forcément amené à faire des dissertations et à creuser tes sujets. C'est différent. Et des fois quand dans mes vidéos je leur demande ce qu'ils pensent de tel ou tel événement, ils ne savent pas trop. C'est une petite part d'ombre, comme le tatemae, le masque sur les sentiments et ce qu'on pense vraiment. C'est très difficile pour nous, on est plus francs, on va se dire les choses clairement alors qu'au Japon on va éviter les conflits à tout prix."

Le Japon comptait en 2018 seulement 2% de résidents étrangers (permanents et non-permanents), preuve que l’archipel demeure tout de même fermé. Quel regard tu portes sur ton statut de gaijin ? Est-ce que tu t’es déjà senti ostracisé ?

A. H. : "C’est vrai qu’il y a très peu d'étrangers. Et même parmi ce faible pourcentage, la majorité sont des Asiatiques, des Chinois, des Coréens... Les Français sont hyper minoritaires. Après, personnellement, je n'ai jamais ressenti de racisme. Il y a peut-être une ou deux fois où j'ai entendu l’insulte “kusoyaru kujin” ("enfoiré d'étranger") mais c'est hyper rare. Tu es et resteras toujours un étranger, peu importe ton niveau de langue et à quel point tu auras réussi à t'intégrer dans cette société. Mais ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Les gens sont respectueux, ils vont parfois te traiter positivement parce que tu es étranger justement. Je n’ai pas à me plaindre de ma condition d'étranger au Japon, tu n'as pas ce poids du regard des autres que tu peux avoir en France."

Toi aussi tu as le sentiment tout de même que le pays s’ouvre de plus en plus aux touristes ?

A. H. : "Clairement. La Coupe du monde de rugby, les JO... Beaucoup d'efforts ont été faits par le gouvernement pour faciliter justement l'afflux de touristes. Il y a quelques années, en 2015, il me semble qu'il y avait environ 10 millions de touristes, l'année dernière c'était 30 et l'objectif fin 2020, c'est 40 millions. Donc il faut le maximum pour attirer les touristes. Il y a aussi d’autres raisons : les réseaux sociaux, la culture, le soft power... qui font que ça touche de plus en plus de personnes. La J-pop aussi. Ça se globalise et ce n'est plus une destination inatteignable financièrement parlant."

“Tu es et resteras toujours un étranger, mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose.”

Tu as aussi été l’un des premiers à parler du nanpa. Je pense que beaucoup de Français ne savent pas ce que c’est, tu peux nous expliquer ?

A. H. : "Dans l'imaginaire français, je pense qu'on a cette image du Japon de pays asexualisé, où les hommes ne sont plus attirés par les femmes, où il y a très peu de couples etc. Alors qu'en fait pas du tout ! J'ai été choqué en arrivant de voir à quel point les Japonais pouvaient ne pas être timides, même si je généralise. Ils sont très actifs, il y a énormément de personnes en couples, ils sont libérés sexuellement, peut-être plus qu'en France. Et c'est là-dedans que s'inscrit le nanpa, qui signifie “la drague de rue”. C'est une pratique courante, une fois que tu prends conscience que ça existe et que tu lèves les yeux dans les grands quartiers comme Shibuya ou Shinjuku, tu te rends compte que c'est omniprésent, notamment aux abords des gares. Tu as des gars qui accostent des femmes, qui passent d'une femme à une autre etc. Moi mon objectif, ce n'est pas d'encenser ou de critiquer cette pratique. C'est sûr qu'en France, ça ne passerait pas. On a énormément de stéréotypes sur les Japonais mais c'est parfois aux antipodes de la réalité. Tu as même des spots à nanpa où des femmes viennent exprès pour cela. C'est accepté dans la société japonaise, ça n'a pas forcément une image positive mais c'est toléré."

Partie 3 : le pro des micro-trottoirs

As-tu une vidéo préférée parmi celles que tu as posté sur ta chaîne ?

A. H. : "C’est compliqué… La vidéo du nanpa, c'est exactement ce que j'ai envie de faire, montrer des concepts qu'on a jamais vus sur YouTube, des choses que les Français ne connaissent pas forcément. J'aime bien aller à contre-courant des clichés qu'on peut avoir. Mais je dirais que sur toutes les vidéos où je réussis à avoir des échanges avec des personnes qui ont de la bouteille, j'ai des choses à raconter. Les gens sont loquaces, ont des choses à dire et ça participe clairement à la qualité des vidéos. J'aime aussi beaucoup faire mes vidéos de voyage dans la campagne japonaise, comme celle que j'ai pu faire dans la préfecture d'Ibaraki. Il faut vraiment découvrir le Japon hors Tokyo, c'est un vrai conseil."

Tu as une particularité, ce sont les micro-trottoirs. Comment as-tu eu l'idée d’aller directement interroger les Japonais dans la rue ?

A. H. : "Il y a une phrase de l'illustre Guigui de la chaîne Ichiban Japan qui m'a marqué : 'Les gens quand ils vont voyager, ils vont aller dans les mêmes spots, prendre les mêmes photos. Donc ils vont avoir plus ou moins les mêmes souvenirs. Et ce qui va faire la différence, ce sont les interactions humaines avec les locaux. Et ça c'est vraiment quelque chose de personnel, les autres n'auront jamais la même expérience que toi.' C'est ça que j'ai envie de montrer aux gens. Découvrir la culture japonaise, ça passe par une partie d'aventure et via le témoignage direct des Japonais. C'est un challenge d'aller les voir dans la rue, c'est une forme de nanpa quelque part ! Quand je fais mes interviews, je n'utilise pas le keigo (le registre soutenu, NDLR), j'utilise mon japonais normal et j'essaie d'être très jovial, sympa, de sourire... C'est un travail de mise en confiance, je tente de les faire rire. Je pense aussi que le fait d'être étranger et s'adresser à eux en japonais ça doit faire son petit effet."

Comment choisis-tu les thèmes de tes vidéos ?

A. H. : "La ligne éditoriale, ça reste les micro-trottoirs et le fait d’avoir des interactions avec des Japonais dans mes vidéos. Mais les thèmes sont soit des sujets d'actualité, soit que j'ai envie de traiter, en fonction des rencontres que je fais aussi. Là j'ai rencontré une personne branchée mode, ça peut être intéressant d'aborder ça d'autant que ça n'a pas été fait jusque-là dans le “YouTube game” français. C'est un peu une question de chance aussi."

Justement, tu fais parfaitement la transition avec les autres youtubeurs français sur le Japon. Quelle est ta relation avec eux ?

A. H. : "Parmi ceux avec lesquels je suis vraiment devenu ami, il y a Ichiban Japan, LuccassTV, Louis-San qui passe aussi de temps en temps... Quand on se voit surtout avec Guigui, on ne parle pas forcément YouTube. On se connaissait depuis deux-trois ans et on a fait notre première vidéo ensemble l'année dernière. On ne fait pas des “featuring” pour le principe, on est surtout amis. Je pense avoir des relations saines avec tout le monde, je suis dans ma bulle. Le “YouTube game Japon” est très sain. Je pense à Pandaman, je l'ai rencontré c'est un gars très sympa, Ici-Japon c'est pareil, Louis-San est à fond orienté YouTube et fait très bien ce qu'il fait, Luccass et Ichiban Japan ont un niveau ridicule sur FIFA mais ça ne m'empêche pas d'être leur ami... Il y a aussi ImRodolphe, je suis un très grand fan de son travail, il fait des vidéos d'une qualité exceptionnelle et j'espère que ça va cartonner pour lui."

Pour finir, je crois que tu seras à Tokyo cet été à l’occasion des Jeux olympiques. Est-ce que tu sens une exaltation dans la capitale ?

A. H. : "La perception des JO est à deux vitesses : déjà pour les expatriés, quasiment tous ceux que je connais sont assez réfractaires, ils ont un peu peur de ce qui adviendra du Japon pendant et après les Jeux parce que ça va être un choc culturel de voir cet énorme flot de touristes débarquer et qui ne connaissent pas forcément les us et coutumes du pays. Il y a toujours ce petit risque de détériorer l'image de l'étranger au Japon. Du côté japonais, c'est assez mitigé. Les gens sont excités d'avoir des étrangers qui viennent, d'accueillir cet événement soixante ans après la dernière édition à Tokyo. Mais certains sont aussi inquiets pour fréquenter les endroits dans lesquels ils ont leurs habitudes et qui vont être blindés. Les embouteillages, les trains le matin et le soir... Il y a quelques craintes logistiques mais je dirais que le sentiment qui prime, c’est l'excitation."

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