JO 2016 : Yannick Agnel, l'annonce d'une retraite pleine de dignité
Le sport de très haut niveau est impitoyable. Même pour les immenses champions. Il y a quatre ans, Yannick Agnel, 20 ans, remporte le titre de champion olympique du 200m nage libre. Il entre dans ce cercle très fermé, il confirme l’année suivante à Barcelone avec le titre mondial. A 21 ans, il est parti pour régner sur la natation mondiale. La chute sera lente et cruelle. Une grosse partie de l’histoire s’est terminée ce dimanche dans la piscine olympique de Rio. "Je savais que ça allait être ma dernière course individuelle internationale, souffle-t-il après l'élimination, j’avais à cœur de bien faire les choses et je me suis donné à fond. Je suis triste que ça passe pas".
Beaucoup trop de manques
Quand son camarade en équipe de France, Camille Lacourt, arrive en zone mixte après sa qualification pour les demies du 100m dos, Yannick Agnel est passé depuis quelques minutes. Le contraste est saisissant. Le dossiste passe sans s’arrêter et lance "c’était top, merci" avant de faire demi-tour en rigolant et de s’arrêter pour répondre aux questions. L’humour, un truc qui était plutôt réservé à Yannick Agnel, le nageur à la tête bien faîte. Mais ce lundi, l’heure n’était pas à la blague. Face aux micros, l’ancien pensionnaire du club de Nice est marqué. Son visage, émacié, sur lequel perle encore des gouttes d’eau est fermé.
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Il sait ce qu’il attend. Les questions sur son irrésistible déclin, sur ces quatre ans où il a beaucoup bougé, changé d’entraîneur, pour finalement se poser à Mulhouse, et couru après son niveau. Les mots employés sont forts. "Déçu, extrêmement déçu" sont les premiers. Ils donneront le ton des cinq prochaines minutes, au cours desquelles il ne se montrera toujours digne. "Je me suis donné à fond, vraiment (…) j’ai fait mon maximum (…) c’est dur, c’est dur". Agnel accuse le coup. Mais, il ne craque pas et est encore lucide pour faire son auto-critique. "Il a manqué beaucoup de choses, de la fraîcheur physique, de la constance sur les dernières saisons, de la fraîcheur nerveuse..., énumère-t-il". Son j’en sais rien" qui conclue la tirade sonne comme un aveu d'impuissance.
Chemin de croix
La trajectoire de Yannick Agnel ressemble à une montagne russe. Celle d’un nageur, au sommet très tôt, qui a toujours voulu être maître de sa destinée. Mais que ses choix et les blessures, plus morales que physiques, reçues ont lentement mais sûrement conduit au déclin. Après son titre mondial en 2013, il quitte l’homme qui l’a façonné, Fabrice Pellerin. Il traverse l’Atlantique pour rejoindre Bob Bowman, l’entraîneur qui a fait de l’Américain Michael Phelps, le plus grand nageur de l’histoire. Sur le papier, l’association promet monts et merveilles. Elle se termine un an plus tard après un championnat d’Europe laborieux à Berlin (une médaille de bronze sur le 4x200 m nage libre). Retour en France, à Mulhouse où Lionel Horter tentera de relancer la machine. Mais les contre-performances et les polémiques, à l’image de sa qualification tirée par les cheveux aux JO lors des France à Montpellier, ont rythmé deux années "très difficiles".
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La mort de sa camarade d’entraînement à Nice, Camille Muffat, lors du tournage d’une émission de télé-réalité fait partie des drames qui l’ont touché. Il n’en parlera pas. Les non-dits ne sont pas une habitude pour celui "parle beaucoup quand il y a un micro tendu". Mais on le devine. "Vous ne pouvez pas imaginer à quel point cela a été difficile, vraiment ces quatre dernières années".
"Vous m’aurez retrouvé entre quatre planches"
Et si ? Et s’il était resté à Nice, s’il était resté à Baltimore. Un léger, tout léger (il est quand même champion olympique et champion du monde), sentiment de gâchis flotte dans l’air quand on le regarde. Mais Agnel balaie tout ça d’un revers de la main. "Je n’ai absolument pas de regrets sur ces quatre ans. Je suis content de toutes les décisions que j’ai prises. Elles sont arrivées à point nommé. Si je ne les prenais pas, c’était ma santé qui aurait été en péril. Allez aux Etats-Unis m’a sauvé. Retourner en France a été une décision logique. J’ai rencontré des gens formidables à Nice, aux Etats-Unis, à Mulhouse, je ne remercierai jamais assez Bob (Bowman, ndlr) de m’avoir tiré de ça, puis après Lionel (Horter, ndlr), toute sa famille et tous les gens de Mulhouse qui m’ont accueilli".
Des rires nerveux débutent les réponses. Il se livre sans retenu et concède ses doutes qui l’ont accompagné durant ces deux dernières années. "Je pensais vraiment que ça serait difficile d’accéder aux Jeux, avoue-t-il. Pourtant j’y suis ! J’avais à cœur de montrer qu’en se défonçant, en y croyant jusqu’au bout, on pouvait changer son étoile. Pour moi, c’était déjà une victoire d’être là". Ca sera peut-être la seule de ses derniers jeux. "Ma décision est prise, plus ou moins, il reste encore une course ou deux à nager et puis… On verra par la suite, mais pour moi les JO c’est fini, tranche-t-il. Vu les quatre dernières années, si je me retape quatre ans comme ça, vous allez me retrouver entre quatre planches, donc il vaut mieux pas". Le relais 4x200m nage libre sera son baroud d’honneur. Une belle sortie ? Il y croit. "Je suis un compétiteur, j’ai l’œil du tigre et ça serait cool de repartir avec une médaille, je vais tout faire pour". Camille Lacourt confirme : "c’est un grand champion donc il va réussir à se relever pour le 4x200". "On ne va pas lui jeter des cailloux après tout ce qu’il a fait dans sa carrière", ajoute-t-il. Le Marseillais aura un dernier mot, pas à destination d’Agnel, mais ce dernier pourra peut-être le méditer. "Mon secret pour durer ? Je dois être plus con que les autres". On ne pourra pas reprocher à Agnel de ne pas l’être du tout.
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