JO 2018 : Perrine Laffont, bosseuse dans l'âme
Tombée dedans étant petite
Plus qu’un héritage. Une affaire de famille. Perrine Laffont pouvait lire son destin écrit sur le papier. Ou dans le livret de famille d’ailleurs. Pour eux, qui sont très attachés à leurs Pyrénées natales, et qui sont arrivés en force à PyeongChang malgré un long périple, le ski de bosses représente autre chose qu’un simple sport. Dominique Huillet, la matriarche, nous l’explique à sa manière : « Chez nous, c’est de génération en génération, nous affirme-t-elle avec une fierté mesurée mais légitime. Son père a pratiqué le ski de bosses et l’a emmené dans les Pyrénées. Le frère de Perrine était aussi un compétiteur de niveau national et enfin moi, j’ai pris la présidence du club des Monts d’Olmes. C’est donc une passion familiale. C’est une discipline qui laisse la liberté aux jeunes de s’exprimer. Puis c’est à la fois très dur et contraignant, ce qui permet de former d’excellents skieurs. Nous, c’est pour toutes ces raisons que nous avons adopté le ski de bosses. »
« Pépette », comme ses proches la surnomment, ne pouvait en aucun cas y échapper. Mais la jeune femme de 19 ans n’a jamais rechigné. Sur des skis à l’âge de marcher, elle s’est mise en haut de ces drôles de bosses à cinq ans, à peine. « Je suis tombée dedans car c’est de famille […] Je ne me souviens même plus tellement j’étais petite. Mais je sais que cela m’a plus directement ! » Et pour sa mère, en aucun cas il s’agissait de l’influencer : « Non, pas du tout ! Perrine a toujours skié pour le plaisir. Dès le départ […] C’était son choix, quand elle a commencé à enchaîner les podiums, elle se régalait, elle gagnait, c’était parfait. […] En tant que parents, nous n’avons jamais eu la grosse de tête d’en faire une championne. Donc il n’y a pas eu de bourrage de crâne. […] Et aujourd’hui, de la voir tellement épanouie et devenir une femme heureuse en faisant ce qu’elle aime faire, c’est une consécration. » Pas question de forcer le verrou donc, puisque la clef, Perrine Laffont s’en est emparée elle-même. Et pas seulement pour ouvrir la porte d’une belle carrière de skieuse.
Des bosses aux cahiers
Dans sa jeune carrière justement, l’Ariégeoise n’a jamais oublié l’essentiel. Du moins, sa mère était là pour lui rappeler qu’après, la réalité deviendrait bien moins amusante. Donc il fallait anticiper et aller au bout de sa scolarité : « Oh bah je l’ai géré du mieux que j’ai pu… Car je vous avoue que ça a été un calvaire », nous lance-t-elle véhément avant de s’expliquer : « Perrine, l’école ce n’est pas sa tasse de thé. Elle savait qu’elle devait poursuivre ses études mais elle n’aime pas ça. Mais moi c’était le premier objectif car le ski on n’en vit pas malheureusement, donc il fallait se projeter déjà sur une carrière professionnelle après. » La lucidité maternelle, mais aussi le sens du devoir. C’est elle en effet qui allait récupérer tous les cours auprès des professeurs du Lycée de Font Romeu, également ‘complice’ dans l’affaire.
« J’ai coupé les skis et j’ai bossé comme une tarée tous les jours pendant deux mois, j’ai taffé à bloc pour avoir mon BAC. »
Et la principale intéressée, qui passait neuf mois sur la neige et les trois autres la tête dans les cahiers, le confirme : « En terminale S, au début de l’année, je me suis dit : « c’est juste pas possible » en voyant la quantité de travail qui arrivait. Moi j’étais en stage tout le temps. Donc quand je revenais, bah je ne comprenais rien ! » Mal embarquée cette histoire. Et pourtant, « Pépette » s’est arrachée : « Quand j’ai fini la saison 2016, fin mars, j’ai coupé les skis et j’ai bossé comme une tarée tous les jours pendant deux mois, j’ai taffé à bloc pour avoir mon BAC. Et je l’ai eu ! J’ai eu 11,5 de moyenne avec un 16 en SVT dont je suis assez fière (rires) ! » Une vraie bosseuse. Aujourd’hui, la skieuse des Monts d’Olmes va au bout des choses puisqu’elle a entamé un IUT Technique de Commercialisation à Annecy, adaptée sur trois ans : « J’ai cours de début Avril à Juin. Trois mois de l’année au moment où je suis tranquille, où je ne skie plus. » La voilà prévoyante, et sa mère ne peut qu’apprécier : « Nous n’étions pas d’accord sur son orientation. Mais elle m’a prouvé par A plus B que ce choix était intelligent, calculé et que c’était un souhait de sa part […] Maintenant elle doit assumer car à la maison, on peut être un peu durs, mais quand on s’engage, on s’engage jusqu’au bout. » Le message est passé. La petite Laffont est engagée jusqu’au bout, dans tout ce qu’elle entreprend, et encore plus depuis l’hiver 2014 où elle était la plus jeune athlète tricolore à Sochi. Depuis, elle a bien grandi.
Bosseuse précoce devenue patronne
Un tantinet insouciante, géniale pendant un run, et tantôt tétanisée par la pression : ces Jeux Olympiques 2014 lui ont beaucoup appris. Alors qu’elle n’avait que 15 ans, Perrine Laffont, cinquième des qualifications, a craqué face à la pression de l’événement. Mais comment lui en vouloir ? « A Sotchi, je ne savais vraiment pas à quoi m’attendre. Je m’attendais à quelque chose de grand, évidemment, mais pas à ce point-là ! Je n’avais pas mesuré l’ampleur médiatique derrière une athlète […] Evidemment je n’étais pas préparée et c’est ce qui m’a mis la pression pour la finale. » Aujourd’hui, la donne a bien changé. « Pour PyeongChang, c’est totalement différent. J’arrive avec beaucoup plus d’expérience […] Maintenant que j’ai découvert comment ça se passait, je sais ce que c’est, donc je pourrais mieux le gérer et mieux le préparer. » Elle l’a prouvé, déjà, en sortant un run presque parfait lors des qualifications vendredi.
« Avec l’adrénaline, on se fait plaisir. C’est notre plaisir avant tout, on se régale, on aime ça. Je ne pense à rien d’autre. »
De skieuse au talent précoce, Perrine Laffont s’est imposée comme la patronne des Bleus, et des bosses mondiales. Vice-championne du monde la saison dernière, et régulièrement sur le podium en Coupe du monde, la voilà propulsée au rang de favorite pour le titre olympique. Et si les Jeux, « c’est beaucoup de stress », son nouveau statut, elle l’assume : « Depuis, j‘ai déjà eu ce statut de favorite donc face aux médias, je réponds d’une certaine façon pour ne pas avoir plus de pression. Je me décharge le plus possible de cette pression de résultats […] Et avec l’adrénaline, on se fait plaisir. C’est notre plaisir avant tout, on se régale, on aime ça. Je ne pense à rien d’autre. »
Et elle a bien raison. Car ce dimanche, à PyeongChang (A partir de 13h00, heure française), elle s’élancera pour viser l’éternité. Et, quoiqu’il arrive, poursuivre sa métamorphose, tout en restant une vraie bosseuse.
De notre envoyé spécial à PyeongChang.
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