JO 2021 : ces athlètes revenus à leur meilleur niveau après avoir vaincu un cancer
Atteints d'un cancer, ces trois athlètes ont repris la compétition de haut niveau, jusqu'à gagner un titre olympique dans le cas de l'Argentin Santiago Lange.
Ils se sont relevés après un cancer. Novlene Williams-Mills, Santiago Lange et Jacob Gibb ont connu la gloire du haut niveau, avant de tomber dans la maladie, pour la vaincre et retrouver leur terrain de jeu préféré. Récit d'un parcours de vie qui a changé ces trois sportifs.
"J'ai pensé qu'il y avait une erreur. Que le médecin s'était trompé de dossier en m'appelant", se souvient Novlene Williams-Mills. En 2012, quelques semaines avant les Jeux olympiques de Londres, l'athlète jamaïcaine apprend qu'elle est atteinte d'un cancer du sein. Le timing ne peut pas être pire pour la spécialiste du 400m.
"Le lendemain de mon diagnostic, je prenais l'avion pour participer aux championnats nationaux de Jamaïque. Quelques jours plus tard, je gagnais le titre sur 400m et me qualifiais pour Londres". La jeune femme de 30 ans comprend réellement ce qu'il lui arrive une semaine plus tard, lors de son premier rendez-vous avec le chirurgien. "J'ai fondu en larmes en me disant 'ce n'est pas possible, ce ne peut pas être vrai'".
Spécialiste de la voile, Santiago Lange avait senti que quelque chose n'allait pas. "Pendant la saison 2014-2015, je savais que quelque chose clochait. Je ne me sentais pas bien, j'attrapais froid dès que je prenais l'avion", se rappelle l'Argentin. Après plusieurs tests, le diagnostic tombe au printemps 2015 : cancer du poumon pour celui qui navigue entre son voilier et son bureau d'ingénieur naval. "La première question que je me suis posé était : 'pourquoi moi ?' Je ne pouvais pas le croire."
Difficile d'admettre sa vulnérabilité
L'annonce du diagnostic laisse place à une période de doutes et d'incertitudes pour Lange, qui a l'impression de "perdre tous ses repères" du jour au lendemain. "La gravité d'une telle maladie et l'inconnue qui va avec (durée de la souffrance, opération, idée de la mort), cela chamboule forcément le mental", explique Sophie Huguet, psychologue du sport.
Jacob Gibb, beach-volleyeur américain, était déjà venu à bout d'un mélanome en 2004. Mais il a vu sa confiance en lui-même "prendre un sérieux coup", après avoir été diagnostiqué d'un cancer des testicules en 2011."Je me croyais invincible. Me rendre compte que je n'avais aucun pouvoir sur ma vie ou ma mort m'a beaucoup affecté", raconte Gibb.
Une nouvelle particulièrement compliquée à digérer pour les athlètes professionnels, dont le corps fait office d'outil de travail, comme le souligne Sophie Huguet. "Les sportifs de haut niveau se reposent sur leur physique. Ils sont habituellement en maîtrise totale de leur corps, mais d'un seul coup celui-ci est défaillant. Il leur est donc extrêmement difficile d'admettre qu'ils sont vulnérables."
Après plusieurs rendez-vous avec son chirurgien, confirmant son diagnostic de cancer du sein, Novlene Williams-Mills se sent envahie d'un sentiment d'injustice. "Je travaillais dur, j'avais une alimentation équilibrée, je ne buvais pas. Je ne faisais rien de tout ça. Et pourtant des cellules cancérigènes se sont développées dans mon corps." Dans une interview à la chaîne américaine ESPN, elle décrit avoir vécu l'annonce de son cancer comme "un coup de poignard dans le dos" : "J'ai eu l'impression de vivre la trahison d'un ami."
Un retour à l'entraînement difficile mais libérateur
Après le diagnostic, vient le temps des opérations et de la récupération. Une période mentalement et physiquement difficile pour les athlètes. "J'étais épuisée et j'avais horriblement mal dès que je faisais le moindre mouvement", se rappelle Novlene Williams-Mills, après avoir subi quatre opérations dont une double mastectomie. "J'ai pensé que c'était la fin de ma carrière, que je n'allais jamais pouvoir revenir à la compétition."
Pourtant, petit à petit, l'athlète retrouve de la force. Elle se remet à faire de l'exercice en février 2013, un mois après sa dernière opération et retrouve la piste au printemps, quasiment six mois après ses coéquipières. Les premiers entraînements sont poussifs, moins longs et plus espacés dans le temps, mais la spécialiste du 400m s'accroche. "Le corps ne réagit plus comme avant. Pour le retour à l'entraînement, il faut accepter de revenir par étapes, et cela peut être assez douloureux pour des athlètes professionnels", souligne Sophie Huguet.
Une frustration ressentie par Jake Gibb "agacé de devoir rester assis et attendre à rien faire juste après l'opération." Car les athlètes veulent revenir le plus vite possible à leur meilleur niveau, comme Santiago Lange. L'Argentin, qui se fait retirer près de 70% du lobe supérieur de son poumon gauche en septembre 2015, décide de "pousser son corps à ses limites dès sa sortie des soins intensifs".
Il est exténué après ses balades de cinq kilomètres à pied dans Barcelone mais ne lâche pas prise : 30 jours après son opération, le quinquagénaire rentre en Argentine pour se remettre à l'eau avec son équipe. "Au départ, je ne pouvais pas faire de manœuvre sur le voilier, il a fallu s'adapter. J'étais tellement heureux de retrouver des sensations sur l'eau après toute cette souffrance."
Les JO, "principale source de motivation"
Les entraînements s'enchaînent pour l'Argentin, qui garde en tête le calendrier des compétitions à venir. Assuré de participer aux JO de Rio grâce à sa deuxième place lors des championnats du monde de voile en 2014 avec sa partenaire, Santiago Lange l'avoue : cette échéance olympique l'a "beaucoup aidé" à se remettre de cette période difficile. "Je rêvais de remporter une médaille d'or olympique, qui m'échappait depuis 1988 [ses premiers JO]. Avoir ce but ultime à Rio a été ma principale source de motivation."
Jacob Gibb et Novlene Williams-Mills, eux, sont diagnostiqués en pleine campagne de qualification pour les Jeux de Londres. Sans avoir à faire de chimiothérapie, l'Américain a pu pleinement se consacrer à sa préparation juste après son opération, lors de laquelle il se fait retirer un testicule. "Je me suis entraîné sans relâche, parce que j'avais un seul et unique but à atteindre : me qualifier pour jouer à Londres", explique celui qui finira cinquième des Jeux avec son coéquipier, Sean Rosenthal. "Savoir que les JO arrivaient, cela m'a permis de penser à autre chose, de ne pas rester chez moi à imaginer le pire", glisse de son côté la Jamaïcaine, qui se qualifie pour Londres moins d'une semaine après l'annonce de son cancer.
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— #Tokyo2020 (@Tokyo2020) June 17, 2020
Read the story of one man's battle for Olympic gold and to beat cancer: https://t.co/JpvFS5vNTk#Tokyo2020 @PrensaCOA @worldsailing pic.twitter.com/XXY1XgS3Jq
La persévérance et le travail paient. Quelques semaines après l'annonce de son diagnostic, Novlene-Williams Mills remporte le bronze sur le relais 4x400m à Londres. Si monter sur la troisième marche du podium en 2012 a été "une grande réussite" et un "souvenir merveilleux" pour l'athlète, les courses suivant sa rémission ont été encore plus fortes émotionnellement.
Neuf mois après son opération de chirurgie réparatrice, elle remporte le titre sur 400 mètres aux championnats de Jamaïque. "Après la course, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps, non pas pour la performance que je venais de réaliser, puisque c'était un titre que j'avais déjà obtenu par le passé, mais parce que je repensais à tout ce que j'ai vécu pour en arriver là. La boucle était bouclée. C'était un moment tellement incroyable."
Un sentiment de fin de cycle également perçu par Santiago Lange, couronné par l'or olympique en Nacra 17 mois après son opération du poumon : "Gagner la médaille d'or, ça a été un exploit fou vu tout ce que notre équipe avait traversé en un an. On revenait de tellement loin, on avait réussi à inverser le cours des choses. Plus le défi est dur, plus la satisfaction est grande quand on l'atteint", estime l'Argentin, qui remet son titre en jeu à Tokyo.
"Ne plus laisser la place au doute"
Tous ces athlètes ressortent avec une nouvelle force mentale et le sentiment d'avoir été chanceux. "Passer par une période longue et difficile comme un cancer, cela permet d'être plus résilient par la suite", explique Sophie Huguet. "J'ai gagné en mental après cette expérience, estime Novlene Williams-Mills. Sur la piste, je ne laissais plus la place au doute, je vivais chaque compétition à 110%, car même en ayant subi quatre opérations, j'ai pu retourner sur la piste. J'ai eu droit à une seconde chance, alors que beaucoup d'autres n'ont pas cette opportunité-là", s'émerveille encore aujourd'hui l'athlète jamaïcaine.
Santiago Lange, qui assure que l'expérience l'a "rendu plus fort", se dit "chanceux dans sa malchance". "La maladie n'a pas eu de grosses conséquences sur ma vie. Ça a été un caillou sur ma route, mais tout est rapidement rentré dans l'ordre, sourit l'ingénieur naval. Si je n'avais pas été un sportif professionnel, mon cancer n'aurait sûrement pas été détecté si tôt et ma rémission aurait été une toute autre histoire." Cinq ans après son sacre olympique, l'Argentin appréhende les Jeux de Tokyo différemment. "La victoire ou la défaite ne m'importe plus beaucoup aujourd'hui, puisque j'ai déjà gagné le plus gros combat de ma vie : vaincre mon cancer."
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