JO 2021 : de Decathlon au marathon, mais qu'est-ce qui fait courir Nicolas Navarro ?
Quand il ne répare pas les vélos, Nicolas Navarro court beaucoup, longtemps et vite. L'athlète de 30 ans prend le départ du marathon olympique, dimanche 8 août, dans les rues de Sapporo.
Ce matin d'avril, tout l'"emmerde". Le vent de face, le soleil dans les yeux, la poussière du terrain voisin. Surtout, ces fichues jambes qui ne tournent pas aussi vite qu'elles le devraient. Lors de son avant-dernier tour de piste sur le stade d'athlétisme d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), Nicolas Navarro laisse même échapper un "putain !" avant d'accélérer à nouveau, façon fusée. Plus de 19 km/h à la montre, soit la vitesse moyenne d'un tramway en ville. "Encore pas assez rapide", ronchonne le coureur français de 30 ans, langue pendue et mains sur les genoux. Pour quelqu'un qui rêve d'accrocher le top 30 du marathon olympique, dimanche 8 août, à partir de minuit (heure française), "il faut faire mieux".
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Nicolas Navarro débarque sur les 42,195 km de macadam de Sapporo avec deux Français (Hassan Chahdi et Morhad Amdouni) et un chrono de classe mondiale – 2h09'17" – obtenu à Valence (Espagne) début décembre. Soit la dixième meilleure performance française de tous les temps et plus de deux minutes sous les minima olympiques, fixés à 2h11'30''. "C'est complètement dingue, savoure l'athlète aixois. C'était inimaginable il y a encore quelque temps. Moi, Nicolas Navarro, je vais faire les Jeux."
"Jusque-là, les JO, c'était à la télé, dans le canapé, avec 'La Marseillaise' en fond sonore. Alors savoir que je vais porter le dossard bleu-blanc-rouge, ça fait quand même super bizarre."
Nicolas Navarroà franceinfo
Encore plus quand on scrute son profil, celui d'un coureur à l'ancienne, un "type" pas issu du moule. Longtemps sans sponsor, Nicolas Navarro achetait ses paires de chaussures avec ses propres sous, "entre 3 000 et 4 000 euros par an", lui qui enfile la chasuble bleue et blanche du Decathlon de Bouc-Bel-Air, près d'Aix-en-Provence, entre deux séances d'entraînement.
Des horaires aménagés pour s'entraîner
On pensait d'ailleurs le trouver au rayon running. Raté. On a vu sa fine silhouette de d'1,70 m pour 55 kg, bombe de dégraissage dans les mains, faire des allers-retours dans l'atelier de réparation des vélos et des skis. "On m'a proposé plusieurs fois de m'occuper des chaussures de running, prévient-il. Mais je n'ai pas envie de penser course à pied 24h/24. Ça m'occupe déjà suffisamment l'esprit comme ça."
A quelques mois des JO de Tokyo, il est marqué en indisponibilité au tableau de service, à la faveur d'un accord avec le directeur du magasin pour qu'il puisse se préparer "sereinement". En temps normal, il travaille 35 heures, en CDI, touche le smic, "entre 1 300 et 1 400 euros le mois". Il bénéficie "juste" d'horaires aménagés, le mardi et le jeudi. "Ces deux jours-là, je termine plus tôt, je prends le bus de 17h06 et je file au stade pour faire une grosse séance de fractionné."
Nicolas Navarro, qui n'a pas le permis de conduire, fait souvent les trajets domicile-travail à la force de ses mollets : 24 km aller-retour, "c'est toujours ça de pris". Margaux, une collègue qui le croise régulièrement en chemin, assure qu'"iI faut vraiment qu'il fasse un temps dégueu pour qu'il accepte de monter dans la voiture". Il y a même des matins où monsieur fait du rab de bitume et passe par la boulangerie prendre des viennoiseries pour l'équipe.
Il est le seul à avoir sa photo punaisée dans la salle de repos, à gauche du planning des formations. On a également cru comprendre que les ordinateurs professionnels servaient "aussi", "en cachette", à diffuser en direct les courses de "Nico". Plus cocasse : des clients traversent parfois tout le magasin "juste pour voir en vrai celui-qui-va-courir-le-marathon-olympique". "Ils n'ont rien à acheter, n'ont pas besoin de renseignement. Ce qu'ils veulent, c'est une photo avec Nicolas, un autographe, lui dire quelques mots, sourit Margaux. On nous demande d'aller le chercher, peu importe qu'il soit occupé."
Dormir, courir, manger
Le coureur au tatouage maori sur la jambe droite a aussi son fan club au stade municipal. Par-dessus la grille, une silhouette, cheveux blonds bouclés, surgit par intermittence. C'est Jackie, 67 ans, la secrétaire du club d'Aix Athlé Provence, "la dame qui garde les licences et qui donne les clés". Quand Nicolas Navarro déboule à sa hauteur, elle s'époumone : "Allez Nicooooo", en tapotant sur les montants en fer de la tribune locale. "J'ai à peine le temps de répondre au téléphone qu'il a déjà fait dix tours", lance-t-elle.
Au club, personne n'arrive à le suivre. Pas même la spécialiste du sprint Muriel Hurtis. "Je suis admirative, c'est un bosseur, je le vois s'entraîner, et il y va à fond à chaque fois, il mérite d'aller loin", juge la championne du monde du relais 4x100 mètres en 2003 qui continue de courir, à 42 ans, "pour le fun".
"Je suis sur des allures bien en-dessous des siennes. Il m'est arrivé plusieurs fois de me décaler pour laisser passer l'avion de chasse."
Muriel Hurtisà franceinfo
Nicolas Navarro, "ultra-réservé" en temps normal, est touché par tant de compliments. "Il y a de la fierté mais c'est de la fierté bien placée. Parce que, franchement, c'est un entraînement de chien qu'il faut fournir pour en arriver là." A commencer par ces tours de piste, "interminables, à en vomir". Avec un pylône électrique, un tableau d'affichage, une benne à ordure, un camion de la ville, et encore un pylône électrique pour décor. Combien de tours aujourd'hui ? "25, peut-être 30, je ne sais même pas", sèche l'athlète.
"C'est clair qu'il y a plus drôle que de tourner en rond autour d'un stade. Tu te demandes ce que tu fous là, parfois."
Nicolas Navarroà franceinfo
Pour les JO, c'est trois mois de préparation "à bloc", au moins 200 km par semaine, parfois 220, et pas de jour sans. "Dormir, courir, manger, dormir, courir, manger. Le soir, c'est lui qui s'endort souvent avant la fin du film", laisse échapper, amusée, sa compagne, Floriane Hot, contrôleuse aérienne dans la vie, qui fait régulièrement le lièvre à vélo pour lui donner le tempo.
Le week-end, c'est "sortie longue", comme on dit dans le milieu. Entre 35 et 40 km, sur les hauteurs de Roquefavour souvent, mais parfois "chez les parents" dans le Var, où sa carrière de sportif de haut niveau a commencé. Au collège du Fenouillet, à La Crau, le petit Nicolas passe souvent la ligne en premier lors des cross. Et puis il y a cette course locale, La Craurrida, organisée chaque année au début de l'été. "Le parcours passait juste derrière notre maison, j'avais 10 ans et j'attendais que les Kényans arrivent. Ils avaient un rythme de dingue, tac, tac, tac, tac… Des machines. On essayait de les suivre le long de la route avec les copains. Bon, on tenait 300 mètres."
"Mais comment fait-il ?"
Jérémy Cabadet, son entraîneur depuis quatre ans, avait repéré de loin cet athlète longiligne "pas vraiment comme tous les autres". "Je trouve aussi qu'il a un sacré mérite de mener le sport et son travail à Decathlon, applaudit le coach. Quand des collègues m'en parlent, ils sont assez admiratifs." Souvent,"l'athlète est juste athlète". Pas Nicolas. "Mais comment fait-il pour s'entraîner après une journée de travail ?" se demande parfois Jérémy Cabadet, qui loue "un profil qui n'existe plus" et qui "force le respect".
Cela sème aussi le doute chez certains. Tout le monde ne croit pas à la sincérité de ses performances. On lui reproche d'avoir progressé trop vite et trop fort, pour quelqu'un qui a véritablement commencé la course à pied en 2012. "Ça pue le dopage", "ahh, EPO, que serais-je sans toi…", "ça tourne pas à l'eau claire dans la région", lit-on ici ou là, sur les forums de course à pied.
Haussement d'épaules de l'intéressé. "Dès qu'il y a performance, c'est tout de suite louche pour certains. Comme j'ai fait du vélo longtemps avant, les gens font l'amalgame", suppose-t-il. Quand ses amis lui envoyaient des captures d'écran ou qu'il allait lire ces commentaires lui-même, "c'était violent". "J'avais envie de répondre, mais pour dire quoi ? Pour que ce soit mal interprété et que ce soit pire après ? Je suis contrôlé, comme tout le monde, je me localise [avec le logiciel Adams pour que les médecins-préleveurs puissent le contrôler] tous les jours depuis janvier 2020, je ne me cache pas." Il dit avoir subi "une dizaine de tests inopinés" en un an. Ce dimanche matin de mars, il est même chez sa belle-famille à Toulouse quand un contrôleur frappe à la porte. Négatif. On se permet quand même de lui poser la question cash. Il répond, main droite levée, en mode "je le jure".
"Non, non, je n'ai jamais rien pris, il n'y a pas de souci là-dessus."
Nicolas Navarroà franceinfo
Nicolas Navarro a désormais 42 km et les caméras du monde entier pour essayer d'effacer "ces rumeurs". A l'entraînement, il s'imagine parfois dans la course olympique. "Je me dis que je suis au Japon, qu'il reste 3 km et que les premiers sont là, juste devant moi. Ça me booste bien." Puis il s'arrête : autour de lui, toujours les deux pylônes électriques, le camion de la ville, la benne à ordure. Et toujours Jackie, les deux mains accrochées à la grille.
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