JO de Tokyo : la chasse aux sponsors des athlètes plombée par la Covid
Son truc à lui, c'est le skeet, une discipline de tir olympique. Mais à quelques mois des Jeux, Eric Delaunay se mue en chasseur... de sponsors. Une recherche qui s'avère plus compliquée en période de crise sanitaire, alors que de nombreuses entreprises ont subi des pertes de chiffre d’affaires depuis un an. Souvent non-professionnels, beaucoup de sportifs de haut-niveau sont salariés et bénéficient d’emplois du temps aménagés pour s’entraîner, mais leur salaire ne suffit pas à financer leur pratique sportive et les nombreux frais qui en découlent.
Pour Eric Delaunay, employé par le ministère des Sports comme conseiller technique national, une saison coûte entre 35 000 et 40 000 euros, financés à 40% en moyenne par les sponsors : "J’avais une dizaine de sponsors. Trois ou quatre ont arrêté de m’accompagner et des contrats n’ont pas été renouvelés. Un autre m’a demandé à revoir sa participation à la baisse". Une situation que le Normand explique par la crise économique : "Quand les entreprises connaissent une baisse d’activité et sont parfois obligées de licencier, le premier levier pour faire des économies est d’abord de couper les budgets de sponsoring".
Championne d’Europe en relais 4x100 mètres nage libre en 2018, Assia Touati tente de se qualifier pour Tokyo. Une saison lui coûte au minimum 10 000 euros "avec seulement quelques séances de kiné et de préparation mentale. Mais si je veux briller, il faut compter plus", raconte la nageuse qui rêve d'un staff bien plus étoffé pour améliorer ses performances. Mais elle aussi a subi les difficultés de ses partenaires économiques : "J’avais un contrat d’un an avec une entreprise spécialisée dans la diététique, prévu pour m’aider à aller aux Jeux en 2020, mais avec le report, le contrat n’a pas été renouvelé. Et j’avais aussi un autre partenariat avec une concession automobile, qui me mettait une voiture à disposition, mais avec le confinement les ventes de voitures ont chuté et ils ont arrêté le sponsoring. J’ai donc dû m’acheter un véhicule, ce qui n’était pas prévu".
Des difficultés pour trouver de nouveaux partenaires
Pour pallier la perte de sponsors, les athlètes cherchent alors d’autres partenaires, mais la crise économique compliquent les démarches. "J’ai essayé pendant le confinement de trouver d'autres sponsors, en faisant des vidéos de présentation que j’ai publiées sur mon site et que j’ai envoyées à des entreprises, mais ça n’a pas fonctionné", regrette Assia Touati.
Eric Delaunay, spécialiste du skeet, discipline apparentée au ball-trap et très peu médiatisée, fait le même constat : "Les grosses entreprises locales sont très sollicitées par les gros clubs locaux, et mes candidatures de sponsoring n’aboutissent pas forcément". Alors pour Tokyo, il pourra compter sur le soutien des commerçants de sa ville natale, Saint-Lô (Manche), qui se sont fédérés pour l’aider : "Ce sont 121 commerces, qui ont créé des produits à mon effigie comme la baguette Delaunay, la pizza Delaunay, ou le champagne Delaunay, et ils me versent un pourcentage de la vente. Ils organisent aussi des tombolas, et finalement, en récoltant une cinquantaine d’euros par commerce, ça me permet de contrebalancer la perte d’un sponsor".
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Les difficultés rencontrées par les sportifs pour trouver des partenaires affectent d'autant plus les athlètes handisports. Dimitri Jozwicki, sprinteur atteint d’une infirmité motrice cérébrale, laisse maintenant les sponsors venir à lui : "Ça m’est arrivé de démarcher des entreprises, mais j’ai vite compris que ça serait compliqué. Donc maintenant j’attends d’être contacté par des entreprises qui ont envie de sponsoriser des athlètes, mais avec la Covid, ce n’est pas leur priorité. Heureusement, mes sponsors publics me suivent toujours".
Les sponsors seraient-il aussi freinés par les règles du Comité international olympique ? La charte olympique ne tolère "aucune forme de publicité ou de propagande, commerciale ou autre […] sur les tenues, les accessoires ou, plus généralement, sur un quelconque article d’habillement ou d’équipement porté ou utilisé par les concurrents", ce qui n’aide pas les athlètes à convaincre d’éventuels sponsors. "Certains sont à la recherche de visibilité sur les maillots ou les bonnets", explique Assia Touati. "Les marques me demandent si elles auront une visibilité, et je ne peux pas leur répondre positivement", abonde Eric Delaunay.
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Une augmentation de la précarité des athlètes
Président de l’Union nationale des sportifs de haut niveau (UNSHN), Philippe Gonigam a observé une augmentation de la précarité pour les athlètes non-professionnels : "Ils sont rétribués selon leurs résultats, et dédommagés des frais de déplacement. Mais comme de nombreuses compétitions sont annulées, il y a un gros manque à gagner. Puis les sponsors ne s’engagent qu’en échange d’une exposition de leur marque, mais il y a moins d’occasions de les rendre visibles, et ils sont plus frileux". Selon lui, la France compte près de 15 000 sportifs de haut-niveau, dont 5000 sont engagés dans une préparation pour les Jeux, ou pour s’y qualifier, et ils sont de plus en plus nombreux à faire appel à l’UNSHN : "On a été dans l’obligation de mettre en place des actions de solidarité pour certains sportifs lâchés par leurs sponsors et en situation de précarité, avec un fonds de dotations pour récolter des dons, un accompagnement psychologique ou encore un accompagnement à la recherche d’emploi".
Les cagnottes, nouveau moyen de financement
Etudiante en psychologie, Assia Touati est soutenue principalement par ses parents et perçoit quelques aides son club de Toulouse et la fédération. Mais pour pallier la perte de ses sponsors, la nageuse a lancé une campagne de financement participatif : « J’ai mis du temps à me faire à l’idée, c’est dur de demander de l’argent. Mais finalement, la campagne a abouti et a attiré l’oeil d’un mécène prêt à m’épauler ».
En 2016, pour participer aux Jeux de Rio, plus de 120 athlètes internationaux avaient recouru au crowdfunding sur la plateforme Sponsorise.me, et encore davantage sur d’autres plateformes, comme Eric Delaunay. Mais le tireur ne relancera pas de cagnotte cette année : "Ce sont souvent les mêmes personnes qui participent, le cercle proche, la famille, les amis, des connaissances, et je ne veux pas qu’ils se sentent obligés d’y participer à nouveau".
Si beaucoup d’athlètes de haut-niveau peinent à financer leur saison intégralement et ne peuvent vivre de leur pratique sportive, Philippe Gonigam et l’UNSHN poussent maintenant pour une professionnalisation de ces sportifs, "dans une logique de performance pour les JO 2024".
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