La Suisse déjoue les pronostics
Les Jeux de Sotchi devraient être l’occasion pour la Suisse de remonter dans la hiérarchie. En 2006 à Turin, les Suisses avaient glané 14 breloques dont 5 dorées, à une petite longueur du record historique de Calgary en 1988. En Russie, tout sourit à nos voisins qui scorent dans de nombreux sports.
Viletta et Gisin ont saisi leur chance
« Il n’y a pas qu’une seule raison qui explique cette réussite », analyse Roger Alig, journaliste suisse qui travaille pour la télévision en langue romanche. « Dario Cologna (double vainqueur, en skiathlon et sur le 15 km), c’est normal car il est très fort, même s’il y avait une incertitude par rapport à sa blessure de l’automne. Les autres, ce sont des athlètes qui ont eu beaucoup de problèmes. Sandro Viletta (lauréat du super combiné), par exemple, a eu pendant des années des problèmes de dos. Du coup, il n’avait pas la pression car personne ne s’attendait à une telle performance. Même chose pour Gasparin. C’est la première biathlète suisse qui est partie aux JO il y a quatre ans. Elle a fait une bonne saison avec deux succès mais elle n’était pas candidate à la victoire. Les gens parlaient plutôt de Cologna, Carlo Janka ou Lara Gut ».
Le cas de Dominique Gisin (co-victorieuse de la descente avec Tina Maze) est intéressant. « Elle a subi neuf opérations des genoux dans sa carrière. Elle vient et elle gagne sans ressentir de stress. Depuis la victoire de Cologna le premier jour, la pression est retombée et ça facilite les choses »
Gili : "Cologna a boosté tout le monde"
Gian Gili, directeur sportif de Swiss Olympic, livre une explication : « On a des athlètes qui ont de l’expérience, qui ont connu des hauts et des bas, des blessures et des périodes de méforme mais aussi des victoires », confie-t-il. « Ils ont tous un potentiel et, comme ils sont arrivés ici en bonne santé et forts de bons résultats pour la plupart, le succès est arrivé ».
Puis il pointe l’importance de bien débuter. « Les leaders prennent la pression pour les autres », dit-il. « On sait que s’il n’y a pas de médailles lors des premiers jours, ça peut être difficile pour la suite. En revanche, si on fait des résultats d’entrée, ca crée une dynamique et ça motive tout le monde. L’histoire de Cologna est très belle. Il s’est blessé en novembre et il est revenu pour triompher. Ce gars est une star et quelqu’un de très apprécié par ses compatriotes. Il peut encore faire une ou deux médailles d’ici la fin des JO ».
Le Nordique prend sa part
Hyppolyt Kempf (48 ans), le chef du ski nordique suisse, insiste sur le fait qu’il n’y a pas que le ski alpin qui engrange. « Il y a toujours eu une grande tradition du ski nordique en Suisse, en tous cas depuis les Jeux Olympiques 1988 où j’avais obtenu le titre en combiné », explique-t-il. « On avait alors raté de très peu la médaille de bronze dans les deux relais, hommes et femmes, tandis qu’Andy Grünenfelder avait pris la 3e place sur le 50 km. Nous avons depuis une équipe forte à chaque Olympiade. On a des gens qui savent comment ça se passe dans l’encadrement, et des jeunes skieurs doués et motivés ».
Et de poursuivre, convaincant : « Depuis 10 ans, on a fait de gros progrès sur le biathlon et sur le ski de fond. Les Suisses ont donc toujours des modèles à qui s’identifier. Les performances de Cologna entraînent les jeunes. On a obtenu de bons résultats aux derniers Mondiaux juniors à Val Di Fiemme (5e du relais féminin, 6e du relais masculin). Les jeunes peuvent progresser parce qu’il y a une vraie densité », lâche encore Hyppolyt Kempf. « On n’a pas donné d’objectif quant au nombre de médailles », sourit-il. « C’est monté très vite pour la Suisse. Si on en obtient une ou deux de plus pour le nordique, c’est super. Globalement, je pense qu’on peut battre le record de Vancouver grâce aux nouvelles disciplines et parce qu’il y a un très bon état d’esprit dans le Swiss Team ».
Forts dans les nouvelles disciplines
« L’objectif de départ, c’était 10 médailles », reprend Roger Alig qui se projette plus loin. « Aujourd’hui, on vise plutôt la quinzaine même si on ne peut pas se comparer à de grands pays comme la Norvège, l’Allemagne, les Etats-Unis ou la Russie ». « On est très forts dans les jeunes disciplines », ajoute-t-il. « Iouri Podladtchikov a remporté le snowboard halfpipe quatre ans après sa belle 4e place à Vancouver. On n’a pas seulement les skieurs. On est représentés partout. On a une grande chance en bobsleigh cette semaine. En curling et en ski cross aussi. On avait fait l’or en 2010 grâce à Michael Schmid et on a les deux meilleurs au classement général de la Coupe du monde. On n’est pas seulement fixé, comme les Norvégiens, sur le ski de fond ou le biathlon », commente ce journaliste expérimenté.
Selon lui, cette réussite n’est pas due à un surcroit d’argent soudain. « Il y a eu des moyens financiers supplémentaires mais pas énormément non plus. Pas comme en Allemagne et en Italie. C’est plutôt le savoir faire suisse qui fait la différence. Les athlètes qui rapportent des médailles sont des individualités très fortes et ils sont bien entraînés ».
Les Suisses savent se transcender
Le patron du Swiss Team rappelle d’ailleurs quelques évidences : « On a essayé de faire une bonne préparation. On continue à travailler dur. Le professionnalisme d’aujourd’hui nécessite de s’investir, de trouver des moyens. La Confédération nous soutient mais c’est sans commune mesure avec les grands pays », poursuit Gian Gili. « Après, on bénéficie des compétitions de Coupe du monde que nous organisons l’hiver, dans toutes les disciplines ».
« On a une délégation de 163 athlètes. La Suisse a toujours été une nation de sports d’hiver assez forte. Même dans les sports où on n’a pas trop de chances de médailles comme le hockey, on se bat contre les meilleurs sans trembler. Le ski alpin reste notre point fort mais la luge s’est développée, les nouvelles disciplines plaisent aux jeunes. La Suisse a toujours été excellente dans les nouveaux sports, même aux Jeux d’été. Les jeunes adorent le freestyle comme ils adorent le Mountain Bike. Ils cherchent de nouvelles expériences ».
Aucune garantie pour l’avenir
Roger Alig ne veut toutefois pas s’enflammer. « Tous les Suisses n’ont pas été au rendez-vous, comme Simon Ammann en saut à skis ou Carlo Janka en ski alpin. « Janka aurait pu rapporter une médaille mais il fait une faute sur le dernier saut. C’est toujours comme ça aux Jeux, il y a des surprises positives et négatives ». Cette embellie est-elle partie pour durer ? « Ce n’est pas possible de remplacer comme ça un Ammann, un Cologna, un Cancellara ou un Federer », consent-il. « Il va sûrement y avoir tôt ou tard un trou générationnel, mais ce n’est pas propre à la Suisse ».
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