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Paris 2024 : pourquoi le sport français doit faire sa mue pour retrouver les sommets

Depuis 1996 et les Jeux Olympiques d’Atlanta, la France n’est plus apparue dans le top 5 du classement des médailles. Paradoxalement, elle reste sur 8 top 10 d’affilée (depuis Séoul en 1988). Dès lors comment comprendre ce constat ? La France est-elle simplement à sa place ? Peut-elle envisager aller plus haut à l’image de la Grande-Bretagne, 36e en 1996 et 2e à Rio 20 ans plus tard ? Dans son ouvrage “JO 2024, participer ou gagner ?”, le journaliste indépendant Ludovic Mauchien livre un examen approfondi du système sportif tricolore, qu’il appelle à faire sa révolution.
Article rédigé par Clément Mariotti Pons
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
 

Pourquoi avoir décidé de vous intéresser au fonctionnement du système sportif français ?
Ludovic Mauchien :
 "Ça a commencé après une discussion lors des JO de Rio avec un ami préparateur physique. Le bilan au bout de la première semaine n'était pas fou. On allait gagner 2-3 médailles à droite à gauche pour continuer à faire illusion. Au final ça ressemblait davantage à du dépannage, à un peu de chance qu'à un véritable travail de fond parfois. C'est là que j'ai commencé à travailler sur le sujet".

Vous vous appuyez souvent sur la comparaison avec la Grande-Bretagne...
LM :
"Oui, si on se remémore les choses, à Londres s'il n'y a pas la natation la France n'est pas dans le top 10. À Rio, s'il n'y a pas la boxe, c'est la même chose. La réflexion de fond c'est de se demander pourquoi n'y a-t-il pas de recette qui fonctionne pour tous les sports et à chaque fois, un peu à la britannique d'où la comparaison avec la Grande-Bretagne dans le livre."

"Le fait que l'administration "gouverne" le sport en France fait que ça crée des barrières au développement"

Quel est votre regard aujourd'hui sur ce système que vous avez passé des mois à décrypter ? Qu'est-ce qui ne fonctionne pas ?
LM : "
Déjà, il ne faut pas tout noircir. L'organisation de notre système remonte aux années 1960, c'est pour cela que je l'appelle "le système De Gaulle". Il a fait ses preuves et continue d'une certaine façon à les faire parce que la France maintient son rang, mais il touche aussi certaines limites. Tout s'use y compris le système, peu importe sa qualité à la base. Aujourd'hui on se retrouve avec les maux de la société française qui sont résumés à travers l'organisation du sport en France et surtout l'organisation du sport à haut niveau. Il y a un certain poids de l'administration. On vit sur des acquis sauf que nos concurrents ont adapté d'autres méthodes et se sont mis à la page. Le fait que l'administration "gouverne" le sport en France fait que ça crée des barrières au développement."

Qu'entendez-vous par "l'administration" ?
LM :
"J'ai le souvenir d'un directeur technique national (DTN) que j'avais interviewé et qui me disait avoir énormément de problèmes à gérer son équipe. Un cadre technique lui avait dit : "tu sais, tu es le 7e DTN que je vois passer, je serai encore là au prochain". Sous-entendu quelle que soit la politique que tu veux mettre en place pour qu'on soit plus performants au niveau international, moi je n'ai pas envie de faire ça, je ne le ferai pas et voilà". Il y a une lourdeur du fonctionnement."

La France a également une spécificité, c'est que les fédérations sont des associations de loi 1901...
LM :
"Oui, il y a cette spécificité de délégation de service public au niveau des fédérations. Elles restent des associations ce qui sous-entend qu'elles sont libres et autonomes, même si elles reçoivent des subventions de la part de l'Etat. Cela signifie aussi et qu'elles ont des comptes à rendre mais pas tant que ça au final. Si en Grande-Bretagne on peut parler de sport britannique, en France on ne peut pas parler de sport français car chacun fait un petit peu ce qu'il veut dans son coin. Chaque président de fédération est maître de son association. Il n'y a pas de directive unique et centralisée à suivre. Après cela fonctionne parfois, les résultats de la boxe en 2016 en témoignent, ils ont bien bossé dans leur coin."

Quelle peut être la piste à suivre ?
LM :
"En Grande-Bretagne, ils ont choisi de mettre à la tête du sport quelqu'un qui n'en n'est pas issu. On oublie le copinage, la personne en question vient du secteur privé. On n'est pas du tout dans ce système de pensée et de logique en France. Il suffit de regarder l'Agence du sport (dirigée par Claude Onesta) que va lancer le ministère. Qui la constitue ? Que des gens qui n'avaient pas de postes. Je veux bien qu'ils soient compétents mais ce n'est pas la logique du recrutement."

"Est-ce que l'on continue à financer des sports qui ne rapportent pas de médailles ou est-ce qu'on ne réserverait pas cet argent aux disciplines qui en ramènent ?"

En France on a le sentiment que le sport pour tous et le sport de haut niveau font partie d’un même ensemble. Ce qui est plutôt bien non ?
LM :
"Il y a une logique et une approche différente, et en soi ce n'est pas forcément critiquable. On a une notion "socialiste" en France où on se dit qu'il faut développer le sport pour tous sans faire de choix. Le problème c'est qu'il n'y a pas de vraie politique mise en place sur le haut niveau. C'est très bien de développer le sport partout dans le pays, ce n'est pas la problématique, mais quand on parle de sport de haut niveau la question qui se pose est : "est-ce que l'on continue à financer des sports qui ne rapportent pas de médailles ou est-ce qu'on ne réserverait pas cet argent aux disciplines qui en ramènent ?".

En Angleterre, ils ont choisi. Et cela fait aussi l'objet de beaucoup de critiques évidemment. Il y a plusieurs agences du sport en Grande-Bretagne. Ce qui est en train de se monter en France est une sorte de copie. Il y a UK Sport - qu'on va appeler l'agence nationale du sport - et puis en dessous il y a les agences nationales (England Sport, Scotland Sport...) qui sont purement chargées du développement du sport de masse. Les rôles sont bien distingués et rien ne se fait sans l'accord de UK Sport. Ce qui se met en place en vue de Paris 2024 c'est un peu ça. Après tout va dépendre des hommes et du fonctionnement."

Vous dites que le système français est plutôt libéral dans son approche avec les fédérations mais qu’en même temps il a des comptes à rendre à l’État, qu’il est un peu assujetti...
LM :
"Oui les fédérations doivent rendre des comptes, des outils existent comme les conventions d'objectifs. Vous la remplissez c'est bien, vous ne la remplissez pas normalement derrière vous avez moins d'argent. Sauf que ça ne se passe jamais comme ça en France. Les critiques ne sont pas suivies d'effets. C'est tout le contraire en Grande-Bretagne, ce qui rend le système d'autant plus dur, c'est sûr. UK Sport a par exemple pris la décision de ne pas s'appuyer sur l'escrime pour les olympiades à venir. Chez nous il n'y a pas cette telle culture du résultat qui permettrait d'aller un petit peu plus loin au niveau international."

"On dit qu'il faut 8 ans pour construire un champion olympique. Paris 2024, c'est dans 5 ans"

Est-il déjà trop tard pour corriger le tir à Tokyo l'année prochaine ?
LM :
"Oui, dans le sens où ce que l'on va mettre en place aujourd'hui n'aura plus aucun impact ni effet. Claude Onesta a d'ailleurs déjà avoué qu'il n'assumerait pas les résultats de Tokyo. Il a été nommé il y a quand même plus d'un an...

Pour Paris 2024, ce n'est pas non plus évident. On dit qu'il faut 8 ans pour construire un champion olympique. Une olympiade d'apprentissage et une d'expérience qui mène à l'or au bout de 8 ans éventuellement. Là on est à 5 ans. La vraie chance du sport français, c'est qu'il ne part pas de zéro non plus. Il y a quand même des bases intéressantes. En 2024, il y aura cet avantage de participer à domicile. Dans les règles du CIO, le pays hôte a un engagé dans chaque sport, donc cela fait beaucoup d'athlètes tricolores engagés. Selon les études menées par la Grande-Bretagne, l'avantage d'être à domicile correspondrait à environ 25% de médailles en plus. C'est ce qui pourrait sauver le bilan français."

Pour terminer, vous avez longtemps été rédacteur en chef d'un magazine couvrant les arts martiaux. Quelle a été votre réaction après l'annonce des sports additionnels - dont ne fait pas partie le karaté ?
LM :
"Il y a deux choses : le fait que le karaté ne soit pas à Paris et il y a surtout le timing de l'annonce. Le COJO aurait pu attendre le calendrier du CIO, soit décembre 2020, pour annoncer les sports en 2024. Là ce qui a été annoncé au mois de février ce sont les sports proposés. Ce qui est choquant c'est de ne même pas mettre le karaté là-dedans. Il est certain qu'il y a une volonté énorme du CIO de rajeunir les sports et de rajeunir le public. Mais le karaté c'est la 14e fédération française en termes de licenciés, toutes fédérations confondues (pas qu'olympiques). C'est un sport qui, quoi qu'on en pense, est assez télégénique, assez visuel et où on a des champions.

Je pense qu'il reste un infime espoir que le karaté soit à Paris en 2024. Mais je vois mal Thomas Bach revenir sur la position du COJO. Imaginons deux secondes les athlètes à Tokyo : ils ne vont même pas vivre pleinement leurs premiers JO car ce sont peut-être leurs derniers. Je vois mal les USA proposer le karaté en 2028. Donc si le karaté doit redevenir olympique, ce ne sera pas demain et il y a de fortes chances que les jeunes se tournent vers d'autres sports."

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