Cet article date de plus de huit ans.

Rio 2016 : Gregory Baugé et François Pervis, les deux leaders de la vitesse, vus par Laurent Gané

Grégory Baugé et François Pervis, les deux locomotives de la vitesse tricolore, vont tenter de remporter un titre olympique en individuel et par équipe qui fuit l’équipe de France depuis les JO de Sydney en 2000. A l’époque, Laurent Gané était dans l’équipe, il est aujourd’hui l’entraîneur des deux pistards, donc le mieux placé pour en parler.
Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
 

Le mental

L’un semble imperturbable, l’autre plus sensible. L’un est mutique, assez avare en interview, compte ses mots, mais ne les pèse pas toujours. L’autre est ce qu’on appelle un bon client. Mais Laurent Gané l’assure, "Grégory Baugé et François Pervis se ressemblent. D’abord parce qu’ils ont le même objectif : l’or olympique". Mais en creusant un peu, le Calédonien estime que "l’un (Pervis, ndlr) est plus guerrier dans le sens où il n’a peur de rien, l’autre (Baugé, ndlr) est plus félin, il se prépare pour mieux attaquer sa proie". Pervis et Baugé, que son entraîneur compare à un félin – normal quand on se fait surnommer le "Tigre" -, ont la même ambition à Rio et ne sont tournés que vers cet objectif.

Le physique

Grégory Baugé est 'une bête'. Un mètre 83 sous la toise pour 93 kg et un imposant tour de cuisse de 68 cm. François Pervis, lui, impressionne moins visuellement. Pourtant, le Mayennais fait quasiment la même taille (1m82) et pèse 86kg. Pas un poids plume, mais le constat est là, Grégory Baugé "dégage" quelque chose. "Greg, c’est la force tranquille, théorise Laurent Gané, on a l’impression qu’il baigne dans la force". François Pervis, lui, a d’autres atouts. "Quand on le regarde en musculation, on dirait qu’il n’a pas de force, mais sur le vélo, il dégage énormément" assure l’entraîneur. L’intéressé est lucide et le reconnaît bien volontiers : "Je ne suis pas très costaud, je suis nul en musculation, en squats je mets à peine plus que les filles. Et puis à côté, il y a Greg qui est une force de la nature. Mais heureusement pour moi, ce n’est pas le physique ‘visuel’ qui compte. J’ai une qualité de pédalage et un transfert de force qui me permet d’aller vite".

L’entraînement

En poste depuis octobre 2014, Laurent Gané a eu le temps de peaufiner l’approche de ses deux stars. Et de personnaliser un peu l’entraînement. "Globalement, ça reste le même entraînement, mais pour la vitesse par équipe, on affine en fonction de la place dans le relais". En tant que lanceur du relais et de la spécificité du départ arrêté, Grégory Baugé n’a pas forcément le même entraînement que François Pervis, deuxième relayeur. Les deux piliers de la vitesse tricolore ont roulé leur bosse sur le circuit, "ils ont plus de dix ans de carrière derrière eux", déclare Gané et donc se connaissent par cœur.

D’où, parfois, un besoin d’autonomie. "Ils la réclament, avoue Gané, mais on est toujours dans l’échange pour voir ce qu’il y a à améliorer, ce que je peux leur apporter. L’objectif étant évidemment la performance et la progression". Pervis est plus catégorique. Son autonomie, il y tient : "C’est individuel comme démarche, le même entraînement ne va pas produire forcément le même effet chez trois coureurs différents. Je ne dois pas m’entraîner comme un tel ou un tel, il doit être basé sur mes qualités, mes défauts, sur ma façon de progresser. Il doit être individualisé, mais cela nous empêche pas de faire des sprints ensemble". En résumé, Laurent Gané est face à deux "gros bosseurs". "Greg a peut-être tendance à être plus nonchalant mais quand il le décide, il bosse énormément", éclaire-t-il.

L’expérience

Dans ce domaine, avantage à Grégory Baugé. A 31 ans, le Guadeloupéen va disputer ses troisièmes Jeux Olympiques. Entre les JO de Pékin et de Londres, il a amassé trois médailles olympiques, trois d’argent (deux en vitesse par équipes, une en vitesse individuelle). Le "Raymond Poulidor de la piste" - quand on parle des Jeux - a en revanche tout gagné au niveau mondial et compte neuf titres de champion du monde (en individuel et par équipes). François Pervis, lui, n’a jamais connu de podiums aux JO. Il les a mêmes vécus dans la peau du remplaçant à Londres, un moment "pas facile à vivre" d’après Bryan Coquard son colocataire durant les JO 2012.

Sa sixième place sur le kilomètre à Athènes (2004) relève plus de l’anecdote pour celui qui mise beaucoup sur cette édition 2016. Plus fort, il s’est construit une réputation sans briller tous les quatre ans, mais tous les ans grâce à ses performances lors des Mondiaux. "Avec ses résultats sur ces deux dernières années, François a réussi à combler son retard", souffle Laurent Gané. Son triplé retentissant à Cali (Colombie) en 2014 sur le kilomètre, le keirin et en vitesse a été confirmé par son doublé (kilomètre, keirin) l’année suivante sur le vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines. Au total, le Mayennais compte 6 titres mondiaux.

L’état d’esprit

Des gagneurs, tous les deux. "Ils n’aiment pas perdre en compétition", assure leur entraîneur, mais ils aiment bien comprendre pourquoi. "Il faut arriver à leur expliquer en apportant des éléments et en pointant du doigt les erreurs qu’ils ont fait. Pour les pratiquer depuis plus d’un an, je peux vous dire qu’ils se ressemblent dans la façon de fonctionner, ils sont tous les deux dans l’analyse". Les deux sont également revanchards par rapport à 2012 : "Greg, parce qu’il sait qu’il est passé à côté de quelque chose à Londres et François parce qu’il a été mis de côté", éclaire Gané. Après les JO de Londres justement, l’heure a été à la remise en questions pour les deux hommes.

Baugé, touché par l’échec, a eu les "jambes coupées" après le départ de Florian Rousseau, à l’époque entraîneur national. Pour François Pervis, Londres a été "un mal pour un bien". Les deux ont dû se remettre en selle, au propre comme au figuré. Les succès de Cali et de Saint-Quentin ont fait du bien. Les deux fonctionnent à la compétition, un moment où ils aiment qu’on "les laisse tranquilles", dixit Gané. En fonction des résultats, en revanche, le ton peut monter. Après Mondiaux de Londres en mars dernier, fiasco pour la piste française (trois médailles seulement et aucun titre), le débrieffing a été houleux. "C’est normal, calme Gané, il fallait comprendre pourquoi. Cela ne me dérange pas que le ton monte, il faut trouver que ce qui n’avait pas fonctionné et on a trouvé".

Le collectif

Entre deux bêtes de compétition, deux ambitieux, la cohabitation n’est pas toujours idéale. Partenaire lors de la vitesse par équipe, Baugé et Pervis seront rivaux en individuelle. Comment faire pour que leur rivalité ne brise pas l’alchimie qui doit être trouvée par équipe ? "C’est toute la difficulté aujourd’hui, estime Gané, il faut regrouper ces deux athlètes hors norme. François, par ses résultats ses deux dernières années, est devenu incontournable. Greg est aussi un pilier. Il y a une rivalité entre les deux. Elle peut exister, elle doit exister, mais il faut leur faire comprendre qu’ils vont devoir allier leur force pour la vitesse par équipe. C’est tout le travail qui est fait en ce moment".

La rivalité a occasionné par le passé une petite gué-guerre qui est désormais de "l’histoire ancienne", assure Pervis. "C’étaient des broutilles, ça remonte à deux ans. Sincèrement, ce n’était pas grand-chose. On se dit bonjour tous les jours, on se bagarre sur les sprints. Ce sont les journalistes qui se frottaient les mains d’avoir du croustillant, mais c’était exagéré. On hallucinait entre nous de lire certaines choses". Du côté de Baugé, le discours est plus ambigu : "L’équipe championne du monde en 2015 et vice-championne olympique (formée par lui, Michael D’Almeida et Kévin Sireau, ndlr) est la meilleure mais je décide de rien".

L'objectif

Les deux hommes ne pensent qu’à une chose : être champion olympique. Et tant pis si quelques nuages accompagnent la préparation bleue. "On est une équipe avec François et Mickael, je vais dans le sens qui va me permettre d’être champion olympique par équipe et en individuel. Si d’autres ne vont pas dans ce sens-là, je n’y peux rien". Du Baugé dans le texte. Pervis, lui, est plus malicieux quand on lui parle d’objectif raisonnable : "j’enlèverai raisonnable, sourit-il, je suis persuadé que j’ai les moyens d’être champion olympique par équipe ou en individuel. Par équipe, il faut que mes collègues de la vitesse soient eux aussi au top de leur forme. J’ai gagné le keirin et la vitesse individuelle aux Mondiaux donc si j’ai réussi à être champion du monde, je ne vois pas pourquoi je ne pourrai pas annoncer que je peux être champion olympique". Si en individuelle, il y aura forcément un déçu – voire deux s’ils se plantent – ils auront d’autres occasions d’assouvir leur ambition.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.