Tokyo 2020 : Charline Picon prête pour une nouvelle histoire
Qu’est-ce que ça fait d’être la première Française sélectionnée pour les Jeux ? Qu'avez-vous ressenti au moment de l’annonce du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) ?
Charline Picon : "Cela m'a fait extrêmement plaisir ! Disons que cette sélection a été annoncée par le CNOSF à un moment où je ne m'y attendais pas trop. J'étais en pleine compétition à Marseille en Coupe du monde. C'était un moment où j'étais super fatiguée, c'était la première journée de la compétition et ça faisait vraiment longtemps que je n'avais pas fait de la merde comme ça... Donc je rentre à terre complètement déçue, un peu dans le dur mentalement. Je savais déjà que cette annonce allait être faite via ma fédération mais le fait d'être la première Française et d'être annoncée toute seule comme ça c'était vraiment cool. Avec ma maternité il y avait un point d'interrogation sur le temps que j'allais mettre à revenir mais je pense que j'avais fait le boulot par rapport à ma fédération pour ne pas leur laisser de doutes sur la sélection. Je n'étais pas émotionnellement prête à être dans l'euphorie mais c'est toujours une étape importante. On l'a encore vu avec ma pote Aurélie Muller il n'y a pas longtemps, même quand cela paraît acquis sur le papier il faut la valider cette étape et ce n'est pas forcément toujours simple."
Est-ce que ça tronque un peu votre préparation de savoir que vous serez à Tokyo aussi tôt ? On n'a peut-être pas la même pression en compétition, pas le même stress… Ça peut être un avantage comme un inconvénient, non ?
CP : "Le savoir relativement en avance c'était une volonté qu'on avait avec mon entraîneur parce que déjà sur l'Olympiade de Rio, la sélection s'était faite en amont. On est dans une discipline où il n'y a qu'un élu par pays. Moi ça ne me dérange pas et je préfère que la sélection soit tôt pour qu'on soit déjà dans la préparation des Jeux parce qu'il y a aussi pas mal d'investissements matériels, l'étude du plan d'eau... Là je vais y passer plus de 5 semaines cet été. Si tu n'es pas sélectionnée ce n'est déjà pas la même approche et mon adversaire principale à la médaille d'or est déjà sélectionnée depuis l'été dernier. Il y a certains pays où quand tu n'as pas trop de concurrence en interne, pourquoi faire traîner une sélection ? Il n'y a pas trop d'intérêt.
"Je ne vais pas aux Jeux pour aller aux Jeux"
Après j'ai tellement mon objectif en tête que ce n'est pas parce que la sélection est tôt que je vais me relâcher et me dire : "c'est bon". Je ne vais pas aux Jeux pour aller aux Jeux. Quand tu as déjà eu une médaille d'or, tu sais le boulot qu'il faut fournir. On a déjà commencé à bosser sur la planification jusqu'aux JO, tu es déjà dans la préparation et je pense que c'est une bonne chose."
Justement vous étiez en repérage à Enoshima au sud de Tokyo (où se tiendront les épreuves de voile, NDLR) début juillet et vous y retournez en août pour le test event. Comment est-ce que vous évaluez le site, quels seront les pièges à éviter ?
CP. : "J'aurais encore besoin de voir mes trois semaines au mois d'août parce que finalement on n'a pas eu les conditions "classiques" qu'on devrait avoir aux Jeux. C'était très gris mais c'était surtout la direction du vent qui n'était pas encore calée. Pour l'instant je ne le sens pas mal, c'était cool mais j'aimerais bien trouver ces fameuses conditions où je peux me dire "ça me correspond bien" ou "il va encore falloir bosser ça et ça". D'autant que la période "classique" ce serait environ du 15 juillet au 1er septembre et c'est tout. Maintenant on a bien vu qu'à Rio on avait peut-être passé 150 jours sur le site et finalement sur les 4 jours de compétition on en a eu que deux de classique. Il faut s'adapter."
Comment va être composé votre calendrier pour cette année olympique ?
CP : "Vu que j'ai eu une grosse saison et que cet été je passe beaucoup de temps au Japon (8 août au 1er septembre) ce qui prend pas mal de jus, je ne vais pas faire les premiers championnats du monde à Torbole en Italie fin septembre, sur un lac très fermé etc. Avec mon entraîneur on a tout misé sur le plan d'eau du Japon cet été. Pour moi les prochains Mondiaux seront en Nouvelle-Zélande en février. On est dans une discipline où il y a des championnats du monde tous les ans même l'année des Jeux. Et ensuite ça va aller vite parce qu'on va revenir en France avec le décalage horaire, on arrive déjà aux mois de mars-avril avec des compétitions européennes et puis en juin on repart sur le plan d'eau olympique et en juillet les Jeux débutent. Ça va très très vite..."
Par rapport à Rio en 2016, il y a quand même eu un changement massif dans votre vie c’est l’arrivée de votre petite fille. Qu’est-ce que ça change au regard de votre préparation ? Comment est-ce qu’on gère tous ces sacrifices personnels pour garder un haut niveau de performance ?
CP : "Ce n'est pas simple. La première année j'ai décidé de l'emmener partout. Ça s'est très bien passé mais tu te rends compte que c'est chaud, quand tu rentres des courses il faut pouvoir récupérer le soir, enchaîner le lendemain... J'ai réussi à le faire avec notamment l'aide de mes parents mais ça reste un sacré coût financier parce qu'il faut emmener papy, mamie, le bébé, louer un appartement, prendre l'avion... Cette année on a décidé de s'y prendre différemment. Quand je pars en stage ou en régate, je suis juste en mode athlète. Ça me convient bien, c'est plus performant ce qui permet aussi à mon conjoint de renforcer son lien avec notre fille.
"Il y a des balances à trouver quand tu deviens maman et ça met du temps"
Au mois d'août il n'y a pas de crèche, plus la nounou, je suis en train de me dire comment je vais m'entraîner pour la semaine avant de partir au Japon. Tu n'es plus toute seule. En termes d'organisation tu ne peux plus faire les choses "à l'arrache". Et la principale différence pour moi c'est de trouver des moments avec elle où je ne fais pas quelque chose à côté. Ça c'est le point sur lequel j'insiste. Après trouver des temps pour moi de récupération mentale ce n'est pas évident. Parfois tu frôles des moments de fatigue mentale. C'est une charge mentale supplémentaire, quand tu reviens des entraînements ou que tu te remets du décalage horaire et dès le lendemain il faut enchaîner... C'est chaud ! Il y a des balances à trouver et ça met du temps."
Vous avez profité de votre stage au Japon pour faire votre premier vlog et vous avez également lancé votre nouveau site. Cela permet d’entrer un peu plus dans votre quotidien et de découvrir un sport qui reste encore méconnu pour le grand public. C’est important pour vous de partager cela ?
CP : "Garder le contact via les réseaux sociaux, c'est important bien sûr. Le but c'est d'essayer de faire connaître notre sport. Tu as des grands champions dans ces sports-là mais la reconnaissance par le grand public, elle n'existe que pendant les JO. Donc c'est cool de pouvoir créer quelque chose avec nos supporters au quotidien."
Est-ce que vous avez ressenti une ferveur dans le pays, qui arrive doucement ?
CP : "Une ferveur je ne sais pas mais en tout cas les gens - JO ou pas JO - sont respectueux. À Enoshima ça commence à se savoir, il y a beaucoup de bateaux qui sont là cet été, il y a pas mal d'Européens et de personnes de la voile aussi. On a visité une école et on a eu un super accueil aussi. Je pense que tout cela arrive gentiment."
Est-ce que vous ressentez une pression supplémentaire en tant que championne olympique en titre ?
CP : "Une pression supplémentaire non, clairement. C'est une nouvelle histoire, je vais chercher un nouveau titre olympique. De toute façon j'en ai un, maintenant c'est d'aller en chercher un deuxième. Je me suis prouvé à Rio que j'étais capable de tenir une pression monstrueuse pour aller chercher l'or donc je ne pense pas que je puisse avoir plus de pression qu'il y a trois ans. J'étais dans les favorites, j'avais annoncé une médaille d'or et il n'y avait que cela qui m'intéressait. Cela avait été très compliqué sur la fin de la régate mais heureusement je n'ai pas craqué. Tokyo ce sera grosso modo la même chose."
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