Tokyo 2020 : François Pervis, l'obsession Japon
Le 4 août prochain, François Pervis rêve d’être à Izu au Japon. Non, le Français ne prépare pas ses prochaines vacances, il aimerait tout simplement être sur la piste qui accueillera les prochains Jeux Olympiques, histoire de boucler la boucle de son aventure japonaise commencée 10 ans plus tôt lors de son premier stage en 2010 : « J’ai eu peur, je partais pour 5 mois dans un pays que je ne connaissais pas. »
La renaissance d'un champion
Sans entraîneur et bloqué par la barrière de la langue, cette première immersion japonaise était une découverte totale : « Je n'étais pas motorisé. Et tous les jours c'était le système D. J'allais m'entraîner dans l'école de keirin, c'est le paradis de la piste. C’était difficile mais il faut savoir sortir de sa zone de confort pour progresser et moi je m'en suis rendu compte là-bas. Ça fait du bien de voir autre chose, de respirer un air différent. »
Quand il évoque ce premier stage en 2010, une anecdote lui revient : « Au bout de quelques semaines j'ai obtenu l'autorisation d'être motorisé, j'avais un scooter. Et je voulais pêcher sur mes jours de repos. Je prends donc mon scooter pour trouver un endroit pour la pêche, je longe la rivière et après un pont je tourne à droite. Mais 100m après, des policiers japonais viennent en face de moi et ils m'arrêtent. Et en fait c'était interdit de tourner à droite. Ils sont surpris de voir un étranger quand j'enlève mon casque et le problème c'est qu'ils ne parlaient pas un mot d'anglais. Je suis obligé de montrer le porte-clef de mon scooter pour qu'ils appellent le magasin. Ils s'expliquent avec lui, moi pendant ce temps je n'arrive toujours pas à m'exprimer avec eux. Je savais juste dire un mot en japonais "Je ne comprends pas". On a été obligé d'aller sur un parking en terre battue pour faire des dessins au doigt par terre. On était à quatre pattes avec des policiers japonais et on dessinait pour que je comprenne qu'il ne fallait pas tourner à droite. Et ça a duré plusieurs heures. »
Tous les jours, le Français devait donc se débrouiller par ses propres moyens en plus des entrainements intenses et difficiles. Quand il est dans l’archipel nippon, il coupe les ponts avec la métropole. Le décalage horaire l’empêche de toute façon d'échanger avec l'entraîneur de l'équipe de France : « Je devais tout le temps m'adapter en fonction de mon calendrier de course mais aussi en fonction de l'occupation et de la disponibilité de la salle de muscu, des pistes mais surtout de la météo. Ça m'a énormément appris sur moi-même. »
C’est aussi en s’ouvrant aux autres que le Mayennais a appris à relativiser. Pour tout remettre dans le contexte, en 2010 il n’était pas encore champion du monde. Mais surtout, François Pervis n'arrêtait pas de se plaindre et de se trouver tout le temps des excuses : « Je pense que le Japon, ça m'a révélé. Je ne serais pas allé au Japon, je n'aurais jamais été champion du monde. Je n'aurais jamais fait tout ça. »
L'après Fukushima, le déclic
Au printemps 2012, il rencontre un collègue pistard qui vient de Fukushima (NDLR : ville théâtre d'une catastrophe nucléaire majeure en mars 2011 suite à un tsunami) : « L’histoire de cet habitant de Fukushima ça m'a vraiment changé. Ce gars qui était obligé de déménager, de laisser tout en plan, sa maison, ses photos de famille, ça m'avait fait quelque chose. Quand il me dit « Écoute François, je ne suis pas mort, je n'ai pas été irradié, ma famille va bien, je n'ai pas à me plaindre, on m'a donné une seconde chance ». Je me suis pris une claque. Et grâce à lui, je me suis posé les bonnes questions. C'est après ça que j'ai repris du plaisir sur le vélo. »
Après cette discussion, le pistard français ne se prend plus la tête avec les à-côté. Au Pays du Soleil-Levant, il ne pense qu’au vélo et l’atmosphère qui règne au Japon rend cela beaucoup plus simple : « Le Japon c'est une expérience humaine extraordinaire. Les gens là-bas sont incroyables, avec une culture qui me plait énormément, remplie de respect. Mon vélo à 10 000 euros je le laisse devant le magasin quand je vais faire des courses, je reviens une heure après il est toujours là. Il m'arrivait de laisser les clés sur mon scooter pour le prêter à un ami et et je savais qu'il n'allait rien se passer. Et de se sentir libre dans sa tête vis-à-vis de ça, ça te fait tellement de bien. De ne pas avoir de pensées négatives envers les gens, de se sentir en sécurité. »
Une sérénité qu’il ne retrouve pas en France : « Humainement, de vivre au Japon ça m'a nourri, personne ne te juge, tout le monde te respecte. Je me suis rendu compte, moi qui vis depuis 20 ans sur Paris, que quand je sors le soir de Saint-Quentin-en-Yvelines et que je prends le RER à 22-23h le soir, bah je baisse les yeux, je regarde par terre et je trace la route. Je psychote, je ne suis pas à l'aise. Au Japon je ne ressens jamais ça, là-bas je n'ai pas peur. »
Pour comprendre à quel point cette expérience nippone lui réussit, il faut regarder son palmarès. Après ce stage en 2012, il devient champion du monde pour la première fois de sa carrière puis il bat deux records du monde après celui de 2013. En 2014, il marque l’histoire de sa discipline en réalisant un triplé inédit, le premier depuis la création des championnats du monde en 1892. Rendez-vous compte qu’en l’espace de 3 ans, François Pervis est passé de « plus grand loser de sa discipline » à « sprinteur le plus médaillé de l’histoire ».
L'immersion aux coutumes japonaises
Et pour y arriver, François Pervis met tout de son côté : « C'est l'entraînement à la dure au Japon. Je n'avais pas accès à la salle de muscu tous les jours. Je devais tout le temps m'adapter, j'étais en perpétuelle réflexion sur l'optimisation de mon entraînement. J'ai créé chez moi un sens de l'optimisation poussé. Chaque jour était un défi que je devais relever et tous les soirs j'avais cette impression du travail bien fait, plus c'était dur et plus j'avais cette fierté d'avoir vaincu ce défi. »
Lors de ses différentes expériences nippones, il s’est toujours émerveillé de la culture japonaise : « Tout le monde se respecte, tu peux t’habiller en costume traditionnel, en personnage de Manga ou encore en chat, personne ne te dévisagera. C’est incroyable d’être immergé dans cette culture. Dans chaque station de Tokyo, dès que je me levais pour me repérer on venait me prêter main forte. En plus du respect, il y a la culture de l’ancien au Japon. J’ai visité beaucoup de temples et assisté à des commémorations. Je me suis habillé plusieurs fois en kimono avec des sandales en bois pour assister à des commémorations. S’habiller comme un local et ne pas être jugé pour autant, c’est génial et tout le monde a cet état d’esprit là. »
Le Français se prête aussi aux jeux des courses nationales : « On arrive la veille de la première course et on se retrouve tout de suite mis en quarantaine. On donne tous nos moyens de communication pour ne pas influencer les paris. » Après une visite du médecin et l’inspection du matériel par les commissaires, les athlètes se retrouvent dans l’enceinte du vélodrome. Pendant plusieurs jours, les athlètes sont enfermés pour ne pas influencer les parieurs. En effet, plusieurs millions d’euros sont mis en jeu : « On passe beaucoup de temps dans les bains chauds. Il y a des télévisions dans les bains pour que l'on puisse regarder les autres compétitions. Le dortoir ? C'est pour 100 coureurs, c'est des chambres de 4. Notre seule occupation ? Regarder des films. Et encore, des vieilles cassettes parce qu'avec le Bluetooth on pourrait communiquer entre nous. Le même refrain pendant 3 jours. Une fois, j'ai regardé 17 films en 3 jours tellement je m’ennuyais. »
François Pervis s’investit tellement dans son immersion japonaise, que les locaux l’ont adopté : « Un Japonais a carrément ouvert un magasin de vélo à Tokyo avec des vélos de ma marque partenaire. Il est fan de moi. Il vend depuis deux ans des vélos à mon nom. Ce sont des vélos labellisés UCI, de très bonne qualité. Toutes les semaines, je reçois des photos sur les réseaux sociaux avec des gens qui achètent mon vélo. On achète des vélos parce qu'on est fan de moi, j'ai du mal à réaliser encore. »
À l’évocation de ce souvenir et d’une possible participation aux prochains JO, il nous répond tout simplement : « Si jamais je vais aux Jeux Olympiques, dans ma tête je suis une machine de guerre. Je vais me battre tous les jours pour Tokyo. Si ce n'était pas là-bas, j'aurais moins la niaque. »
« Tokyo 2020 c’est une obsession de tous les instants. »
Son quotidien est un parcours du combattant depuis qu’il s’entraîne exclusivement en France. Une journée type pour le septuple champion du monde sur piste, c’est 1h30 de voiture pour se faire 30 minutes de massages. Mais surtout des entraînements de musculation sans aide extérieure : « En musculation, je n’ai personne pour me parer, du coup je prends beaucoup de risques. »
Cette autonomie, il l’a retrouvée aussi sur la piste : « Personne ne me prend mes chronos. Je suis obligé de m’entraîner avec les abonnés de Saint-Quentin-en-Yvelines, je dois slalomer entre les abonnés et c'est dangereux.»
Cette indépendance vis-à-vis de l’équipe de France, il a décidé de la prendre depuis quelques mois suite à quelques malentendus : « J’ai quitté le pôle de Saint-Quentin-en-Yvelines parce qu’on m’obligeait à travailler d’une manière qui ne me convenait pas. Les années où je suis champion du monde, je m’entraînais à ma façon et ce n’était plus le cas dernièrement. » Une décision qu’il pourrait cependant être amené à regretter. Pour se qualifier à la prochaine olympiade, le Mayennais doit lors d’un test sur la piste, couvrir un kilomètre en moins d’une minute. Et le premier de ses deux essais s’est révélé être infructueux. Le septuple champion du monde n’est pour l’instant pas au niveau requis. Christophe Manin, le Directeur Technique National de la Fédération, l’affirme dans une interview donnée au magazine Ouest-France : « Son chrono de 1'02''480 n'est pas suffisant pour prétendre à la sélection. » Dans le courant du mois de janvier, François Pervis aura donc une dernière chance de se qualifier. Pour cela, il devra améliorer son temps de deux secondes.
« Si jamais je vais aux Jeux Olympiques dans ma tête je suis une machine de guerre. »
Le défi semble donc plus immense encore pour François Pervis même si sa motivation reste intacte. Car aujourd’hui encore, il reçoit des lettres de fans japonais : « J’ai reçu une lettre d'une petite fille japonaise de 13 ans qui m'a envoyé un message avec des timbres internationaux parce qu'elle voulait un autographe. Elle m'a envoyé une lettre, assez touchante. Les Japonais demandent que je revienne sur les réseaux sociaux. Je reçois une centaine de lettres par an. »
Quand on est 18 fois médaillé mondial et olympique, on a sûrement fait le tour de sa discipline mais comme il le dit si bien : « Mon Graal à moi ça serait d'être médaillé olympique à Tokyo, la cerise sur le gâteau, la plus belle des fins de carrière... »
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