JO de Paris 2024 : on vous raconte l'histoire de la toute première médaille d'or de l'histoire des Jeux olympiques
"L'important, c'est de participer", paraît-il. N'en déplaisent aux pères fondateurs de l'olympisme moderne, les Jeux, c'est (aussi) une histoire de champions, de records et de moments de gloire, comme cette première médaille d'or attribuée lors des Jeux de Paris, au tir à la carabine à air, samedi 27 juillet. Un choix de métal dont l'origine demeure un mystère depuis plus de 120 ans.
Si aujourd'hui la classification or-argent-bronze paraît évidente, à l'époque, elle ne va pas de soi. Une breloque qui brille, c'est beaucoup trop bling-bling pour les pionniers de l'olympisme. En 1896, à Athènes, chaque vainqueur d'épreuve reçoit en effet une médaille d'argent, un rameau d'olivier et un joli diplôme.
Deux explications coexistent pour ce choix un brin mesquin. Pour les uns, l'argent aurait été considéré comme plus noble que l'or, comme le raconte le designer Wojtek Pietranik, concepteur des médailles des Jeux de Sydney, sur le site Olympic-Museum.de. Les autres arguent qu'on n'allait quand même pas vider les caisses des Etats (le CIO de l'époque est fauché comme les blés) pour des sportifs.
Pas de podium pour les braves
"Les prix des Jeux olympiques doivent se distinguer par leur valeur artistique et non par leur valeur intrinsèque", peut-on lire dans le compte-rendu du Congrès de Paris de 1894. Pas d'or pour les braves, donc. Le deuxième se voit décerner un plateau de bronze. Et le troisième ? Rien du tout. On ne parle pas encore de pied du podium : les trois marches seront instituées en 1932 aux Jeux de Los Angeles.
C'est finalement en 1904, à l'occasion des Jeux de Saint-Louis (Etats-Unis) qu'est introduite la classification or-argent-bronze. Par qui ? Sous quelle forme ? Quand ? Mystère, reconnaissent les deux plus grands spécialistes des Jeux de 1904, les historiens américains George R. Matthews et Bill Mallon, contactés par franceinfo.
A l'époque, le CIO, balbutiant, n'exerce qu'une autorité relative sur les organisateurs, ce qui leur laisse une confortable marge de manœuvre pour organiser les Jeux olympiques à leur guise. Déjà, lors des précédents JO à Paris en 1900, des plaques en vermeil sont remises dans certaines épreuves, sans que l'initiative ne marque particulièrement les esprits.
En ce qui concerne la Louisiane, les historiens du CIO supposent que c'est le patron des Jeux, James E. Sullivan, qui se trouve derrière l'instauration des trois breloques pour toutes les épreuves, "sans explication aucune", reconnaît le centre d'études olympiques du CIO, qui a remué la poussière des rapports officiels vieux de plus d'un siècle. Des récompenses à peine supérieures à la couronne de lauriers. "Elles n'étaient même pas en or, sourit Ulf Strom, numismate suédois, spécialiste ès breloques. Les médailles d'or distribuées à Saint-Louis étaient en vermeil, un alliage entre l'argent et l'or. Bon, c'est quand même considéré comme un métal précieux."
Un classement importé d'Amérique
"Le comité d'organisation des Jeux de Saint-Louis avait reçu, en quelque sorte, une délégation de pouvoir du CIO", poursuivent les historiens de l'institution, "à cause de la distance et de la difficulté de communiquer efficacement à l'époque". Doux euphémisme pour dire que Pierre de Coubertin et James E. Sullivan ne pouvaient pas se voir en peinture, le second ayant tenté de chiper la place du premier à la tête du mouvement olympique en s'alliant avec des dignitaires britanniques, comme le raconte l'historien George R. Matthews dans son livre America's First Olympics. Coubertin lui rend bien cette inimitié tenace et ne fera pas le déplacement à Saint-Louis.
Jonathan Becker, un autre fondu de médailles et de métaux précieux, président du Musée olympique de Lake Placid (Colorado), avance même l'hypothèse d'un putsch américain sur l'esprit olympique. "Ce système or-argent-bronze existait déjà au sein de l'Amateur Athletic Union (AAU) depuis les années 1890. Et comme par hasard, tous ses dirigeants se sont retrouvés au comité d'organisation des Jeux de Saint-Louis. Qu'ils aient utilisé le même système de classement me paraîtrait logique."
Histoire d'ajouter à la confusion, les Jeux de Saint-Louis se déroulent au milieu d'une Exposition universelle (comme à Paris quatre ans plus tôt) sur plusieurs mois – du 1er juillet au 23 novembre – avec des épreuves sportives tantôt labellisées olympiques, tantôt AAU. "J'ai même vu passer des médailles de Saint-Louis en 1904 siglées de l'AAU avec la seule barrette en métal accrochée au ruban où figurait la mention 'Olympics'", souligne Jonathan Becker.
Des médailles qui ne rouillent pas
Le baron tentera de se réapproprier le beau rôle par la suite : la première trace du système à trois métaux dans les archives du CIO remonte à 1910, quand "[le baron Coubertin] propose comme prix, trois médailles pour chaque concours, or, argent et bronze" pour l'épreuve d'art des Jeux de Stockholm (à l'époque, peindre un tableau était aussi un sport olympique). Dans ses mémoires, parues en 1931, Coubertin s'acharnera longuement sur les Jeux de 1904, "les pires jamais organisés", où il n'a pourtant jamais mis les pieds.
Quant au système à trois médailles, il demeure depuis 120 ans sans jamais avoir été remis en question. Ou presque. En 2012, un excentrique libraire britannique estimait qu'on pourrait récompenser plus d'athlètes "vu que le nombre et le niveau des participants se sont considérablement élevés". Dix ans plus tard, des scientifiques démontrent, statistiques à l'appui, que la différence entre chaque médaille se joue à 0,1% de la performance d'un athlète (en centièmes de seconde pour l'athlétisme, par exemple). Des écarts infimes qui pourraient justifier une refonte du système de récompense. "Entre 10 et 15% des médailles aux Jeux de Tokyo auraient pu être partagées, selon nos calculs", écrivent Feifei Li et Will G. Hopkins dans leur étude. Consulté à ce sujet, le CIO précise qu'"aucune réforme n'est à l'ordre du jour".
Au risque de décevoir les collectionneurs, les médailles d'or, d'argent et de bronze des Jeux de Saint-Louis ne sont même pas devenues si collectors. Au contraire de la petite médaille, en bronze, remise à tous les participants cette année-là, assure David Convery, qui expertise des objets sportifs pour l'étude Graham Budd Auctions. "Elle se négocie entre 8 000 et 13 000 euros en salles des ventes, quand les mêmes médailles distribuées à tous les compétiteurs, aux Jeux de Paris 1900 et Londres 1908, ne dépassent pas les quelques centaines d'euros." Peut-être que cette année-là, à Saint-Louis, l'important était vraiment de participer.
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