Paris 2024 : "On sait pourquoi on le fait, nos enfants pas forcément"... La difficulté des athlètes à concilier vie de famille et entraînements

Rencontre avec Charline Picon et Sarah Steyaert, qui participent à la voile aux Jeux de Paris, sur le dériveur 49er. Elles racontent comment elles jonglent entre leur vie personnelle et la préparation aux Jeux.
Article rédigé par Jérôme Val
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Charline Picon (à gauche) et Sarah Steyaert (au fond) avec leur bateau, un 49er, à la Marina du Roucas-Blanc à Marseille, où auront lieu les épreuves de voile aux JO cet été. (JEROME VAL / RADIO FRANCE)

Trois mois avant les épreuves de voile olympique qui auront lieu à Marseille, un millier de marins se retrouvent jusqu'au samedi 27 avril à Hyères, dans le Var, pour la Semaine Olympique Française. Parmi les Français engagés : un duo de femmes, Charline Picon et Sarah Steyaert, qui sont aussi mères de famille. 

Charline Picon est déjà double médaillée olympique en planche à voile, avec l'or en 2016 et l'argent en 2021. C'est la seule Française à avoir accompli cet exploit dans cette discipline. Mais la Rochelaise de 39 ans a décidé de changer de support : elle se prépare désormais sur un petit dériveur de moins de 5 mètres, un 49er FX, et s’est associée à Sarah Steyaert, une spécialiste de ce type de bateaux, qui elle aussi a déjà participé à trois Jeux olympiques (Pékin, Londres et Rio), sans jamais ramener de médaille. Les deux femmes, qui habitent toutes les deux dans le secteur de la Rochelle, sont aussi des mères de famille.

Est-ce que le fait d’être devenu maman relativise l’enjeu sportif très élevé que vous vous êtes fixé ?

Charline Picon : Je ne dirais pas ça. Ça fait relativiser quand on rentre à la maison après une déception, parce qu’on a d'autres choses à côté dans la vie. Mais clairement, j'ai envie que la petite Lou soit fière de sa maman. Ça met même un petit un petit coup de pression en plus. Elle a vraiment l'âge de comprendre ce que je fais, de partager avec moi. Je vais souvent dans son école voir les enfants de sa classe. Elle veut voir les médailles. Si j'arrivais à vivre cette médaille avec elle à ce moment-là de sa vie, ça serait vraiment magique.

"Si, demain, il n’y a pas de médaille, il y aura de la déception, forcément, mais la vie ne s'arrête pas à ça."

Sarah Steyaert

à franceinfo

Sarah Steyaert : On relativise tous les jours, il n'y a pas besoin d'être maman pour ça. Ce que l'on vit actuellement, c'est sûr, c'est beaucoup de sacrifices, pour aller aux Jeux olympiques et pour aller atteindre la médaille. Mais moi, je dis souvent que ça reste un jeu, c'est du sport. Si on avait échoué à se qualifier, la vie ne s'arrêtait pas là.

Vous parlez de sacrifices. Quand en plus d’une préparation olympique, il faut aussi gérer une vie de famille, il faut sans doute faire des choix assez marqués ?

Sarah Steyaert : J'ai la chance d'avoir un détachement avec l'Éducation nationale, c'est très confortable. Et après les sacrifices, c'est du quotidien. On est sur une discipline, je pense que c'est vrai dans d'autres sports, mais on est sur une discipline où on ne peut pas rester à La Rochelle à s'entraîner seules et sans confrontation. On est obligé de se déplacer en permanence. Ça fait beaucoup de déplacements, même si c'est en France. Il y a beaucoup de concessions à faire. On sait pourquoi on le fait, nos enfants pas forcément. C'est ça tout le travail pour les amener à comprendre. Mais en même temps, à travers ce projet, on leur fait passer de belles valeurs.

Vos enfants sont encore jeunes, mais est-ce qu’ils vous questionnent sur ce que vous faites, sur vos absences ?

Sarah Steyaert : Charline a dû le vivre pour l'autre préparation olympique. Ma grande (6 ans) est plus en conscience de ce qui se passe et de ce que je fais. Ma petite (3 ans), c’est plus compliqué : "Maman part faire du bateau", même si elle vit ça depuis qu'elle a 10 mois et que ça fait partie de sa vie, il y a des questions : "Pourquoi tu rentres ? Pourquoi tu pleures ? Pourquoi tu es fatiguée ?" Plein de questions sur les émotions qui rendent concret et réel ce qu'elles peuvent vivre en tant qu'enfants. Elles doivent apprendre à gérer.

Charline Picon (en haut) et Sarah Steyaert (en bas) à Marseille le 15 avril dernier lors de la présentation de l'équipe de France. (JEROME VAL / RADIO FRANCE)

Ces Jeux en France vont être forcément particuliers. Est-ce que vous avez envie de les partager un peu plus avec votre famille et vos enfants ?

Charline Picon : Le fait que ça soit en France, ça ne va pas changer grand-chose pour la compétition. Il va falloir qu'on soit dans notre bulle, concentrées, être l'une avec l'autre. On n'a pas forcément eu l'habitude de les avoir sur les compétitions. On sait qu’ils seront là s'il y a besoin. Mais voilà, on sait qu'ils sont là et le but c'est de partager le maximum qu'on pourra, et avec une belle médaille autour du cou, ce serait génial.

Sarah Steyaert : On fera comme d'habitude, il n'y aura pas de contact. En revanche, je trouve ça différent de les savoir vraiment tous proches de nous. Ça apporte un supplément. En tout cas pour moi, ça m'apporte une énergie et une force. Je suis très heureuse de finir sur des Jeux où il y a du partage, même si nous, on sera vraiment dans notre bulle.

"Je suis très contente de savoir qu'ils seront là et que de n'importe où, ils peuvent peut-être nous voir."

Sarah Steyaert

à franceinfo

Charline Picon : C'est vrai que c'est compliqué pour un enfant de se dire : maman ne dort pas avec toi ce soir mais tu as le droit de ne la voir que dix minutes. Eux, ils ne sont pas prêts à ça. J'aurais sans doute des petites vidéos. Ma fille m'envoie des énergies incroyables, elle est dans un délire assez sympa en ce moment (rires).

Est-ce que ce sont vraiment vos derniers Jeux olympiques ?

Sarah Steyaert : C’est sûr. Autant pendant la préparation olympique, on a parlé de Los Angeles 2028, autant là, c’est non. Clairement, je ne me rendais pas compte quand j'ai dit oui, à ce qu'on allait vivre : plein de beaux moments et puis plein de moments Je ne suis pas prête à repartir pour quatre ans. C'est long, donc c'est long aussi pour les enfants.

Charline Picon : Ça commence à être clair dans ma tête, même si ce n'est pas forcément une décision qui est simple à prendre. Se dire que c'est une partie de ma vie qui va se terminer. Je pense que je suis à un moment où j'ai envie de voir ma fille grandir au quotidien.

Rencontre avec Charline Picon et Sarah Steyaert par Jérôme Val

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