Les Jeux, un cadeau empoisonné pour le tourisme
Le pays organisateur se frotte toujours les mains avant la compétition. Mais ses professionnels du tourisme font souvent grise mine une fois les JO commencés.
Beaucoup de Français gardent en mémoire l'aigreur de la délégation parisienne lorsqu'en juillet 2005, les JO de 2012 avaient été attribués à Londres. Envolées les promesses du boom touristique censé accompagner l'arrivée de la flamme olympique à Paris. Sauf que ce boom a tout d'une légende. Les Londoniens sont en train de s'en rendre compte. Rues vides, musées déserts, taxis au chômage technique... les Jeux ressemblent bien à une fausse promesse de réussite touristique.
Londres désertée
"Les jeux de la ville fantôme." Le titre du Daily Mail est sans équivoque : les rues de la capitale britannique, pourtant lustrées comme jamais, sont désespérément vides. Le quotidien britannique détaille l'incompréhension des restaurateurs, des hôteliers et des petits commerçants. Tous voient leur taux de fréquentation et leur chiffre d'affaires décliner. Certes, un tiers des travailleurs londoniens sont absents, autorisés à travailler depuis chez eux pendant les Jeux, comme le rappelle Le Figaro. Mais c'est surtout l'apport tant espéré des touristes qui n'est pas au rendez-vous.
"Je ne sais pas où sont les touristes, ni comment ils se déplacent, mais Londres ressemble à une ville fantôme", se désole Steve McNamara, secrétaire général du syndicat de chauffeurs de taxis dans le Télégramme de Brest. Pour l'heure, les chiffres de fréquentations ne sont pas encore disponibles. Mais les 300 000 visiteurs étrangers et les 800 000 britanniques habituellement comptabilisés chaque jour en août à Londres devraient être moins nombreux cette année, selon l'Association des voyagistes européens (ETOA, article en anglais).
La peur des transports en commun bondés et des bed & breakfast à prix d'or ont convaincu les touristes d'éviter Londres cet été. Pour preuve, la compagnie britannique Easyjet a prévu un "effet JO" négatif, comme le relate Les Echos, avec une baisse de la demande pour ses vols au départ et à destination de Londres pendant les Jeux.
Toujours moins de touristes dans les villes olympiques
Easyjet avait anticipé une baisse d'activité londonienne, au contraire d'Eurostar qui a affrété 40 trains supplémentaires entre Paris et Londres. Mais pour la compagnie, comme pour chaque sponsor officiel des JO, il s'agit surtout de soigner son image internationale. Car les professionnels savent d'expérience que prévoir une hausse du nombre de touristes dans une ville olympique est illusoire.
C'est l'avis de l'ETOA, qui a mené une étude sur le sujet en 2010, comparant les résultats de fréquentation des hôtels des trois dernières olympiades : Sydney en 2000, Athènes en 2004 et Pékin en 2008. Principal enseignement : la venue de touristes étrangers dépend d'abord de la localisation des Jeux.
En 2000, Sydney était trop éloignée de l'Europe et de l'Amérique, deux continents qui fournissent habituellement l'essentiel des amateurs de sport prêts à se déplacer. A Pékin, la difficulté d'obtenir un visa chinois a échaudé de nombreux supporters étrangers. Ainsi, en août 2008, comme l'explique La Chine Aujourd'hui, le nombre de visiteurs étrangers était de 385 000 à Pékin, loin des 450 000 attendus et du demi-million enregistré un an auparavant.
Un public moins intéressant financièrement
Au-delà de la fréquentation plus faible que prévue du public étranger, le phénomène qui plombe les chiffres du tourisme, selon l'ETOA, c'est la répulsion que les Jeux créent chez les touristes habituels. Ils fuient une ville supposée surchargée et des tarifs considérés comme trop élevés. Or, contrairement au public sportif, le voyageur classique assure de meilleurs revenus aux professionnels du tourisme. Il est plus enclin à rester longtemps sur place, à multiplier les visites et à consommer sans retenue. Et surtout, comme le souligne le blog Tourismepositif, ce public d'habitués pratique le bouche-à-oreille, indispensable pour faire venir d'autres touristes.
En comparaison, le public des Jeux draine peu de revenus. La communauté olympique, c'est-à-dire les athlètes, leur staff, les médias, les membres de l'organisation et les représentants des sponsors, privilégient les hôtels haut de gamme et consacrent très peu de temps au tourisme.
Le spectateur, lui, est occupé dans les stades, visite peu de monuments et boude les musées. Un comportement déjà constaté dans la plupart des grands événements sportifs, comme la Coupe du monde de rugby en France en 2007, peu gratifiante pour le secteur du tourisme, d'après la revue spécialisée Teoros. Et les Jeux olympiques ont un inconvénient supplémentaire : chaque épreuve est regroupée sur quelques jours. Ainsi à Athènes, en 2004, les touristes étrangers étaient certes nombreux, mais la plupart n'étaient restés que deux ou trois jours pour suivre la discipline qui les intéressait.
Enfin, face aux prix exorbitants proposés par les hôtels en période olympique, beaucoup cherchent des solutions alternatives peu coûteuses. RMC.fr décrit ainsi un camping pris d'assaut par 500 personnes au centre de Londres pendant les JO, bien qu'il soit installé sur un stade de rugby équipé de seulement... neuf toilettes.
Après les Jeux, c'est rarement mieux
Comme l'explique Lapresse.ca, il ne faut pas que Londres ou le Royaume-Uni s'attendent à voir progresser leur fréquentation touristique de façon spectaculaire. D'après le site canadien, Vancouver a même connu une baisse de 2,9% du nombre de visiteurs internationaux l'année qui a suivi les Jeux d'hiver de 2010. En Chine, l'année précédent les JO de 2008, le nombre de touristes visitant le pays était de 26,1 millions. Un an après, ce chiffre était tombé à 21,9 millions.
Des contre-exemples existent, comme les Jeux de Turin en 2006 qui ont vu une augmentation de 43% de la fréquentation touristique en trois ans. Mais Turin n'avait jamais été jusque-là une destination prisée par les vacanciers. Au contraire de Pékin, Athènes ou Londres, villes qui n'ont pas besoin de promotion olympique pour attirer des touristes.
L'intérêt d'organiser des Jeux olympiques n'est donc pas de promouvoir le tourisme. Les organisateurs mettent souvent en avant les effets bénéfiques sur l'économie locale. La construction des stades et des infrastructures est en effet synonyme de rénovation urbaine et de créations d'emplois. A l'image d'Alberville, en Savoie, transformée par les Jeux d'hiver de 1992.
Mais comme le détaille BFM Business, aucune ville olympique, mise à part Atlanta en 1996, n'a jamais financièrement tiré partie des Jeux. Pourtant David Cameron, le Premier ministre britannique, y croit. Il pense notamment au forum économique d'envergure organisé à Londres, en même temps que les Jeux où, selon Les Echos, le Royaume-Uni pourrait conclure plus de 1,3 milliard d'euros de contrats. Les JO apparaissent alors comme une grande et belle vitrine, non pas touristique, mais bien commerciale.
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