Mafias asiatiques et joueurs corrompus : les coulisses peu reluisantes du foot italien
Le scandale du "Calcioscommesse" secoue le Calcio depuis bientôt deux ans. Reste que cette affaire de matchs truqués a des ramifications internationales…
Vous avez aimé le Calciopoli, le scandale de matchs truqués organisés par l'ex-patron de la Juventus Turin, Luciano Moggi ? A l'époque, le patron de la Fifa avait parlé de "plus gros scandale de l'histoire du football". Vous allez adorer la nouvelle affaire de corruption dans le foot italien : le Calcioscommesse (de calcio, football, et scommesse, paris).
Sur le papier, c'est moins glamour. Là où le Calciopoli concentrait la crème du foot italien (Milan AC, Juventus Turin…), le Calcioscommesse concerne des équipes de bas de tableau de l'élite italienne : Bari, Lecce, l'Atalanta Bergame, le Chievo Vérone et jusqu'à des clubs de 3e division. Mais le dossier est révélateur de la corruption ordinaire qui fait rage dans le foot italien.
Un but contre son camp à 50 000 euros
Dernier rebondissement d'une saga qui dure depuis plus d'un an, l'arrestation d'Andrea Masiello. Ce défenseur de Bari a reconnu avoir fait exprès de marquer un but contre son camp moyennant 50 000 euros. "Bari était déjà condamné à la descente en 2e division. Les dirigeants de Lecce m'ont offert de l'argent pour acheter la partie. J'ai saisi l'occasion pour 'tuer' le match en marquant contre mon camp."
Au total, dix anciens joueurs de Bari ont été mis en examen. "C'est tout le championnat 2010-2011 qui a été faussé par les matchs truqués", estime le procureur de Bari. Au moins une dizaine de matchs sont dans le collimateur de la justice.
Des somnifères qui mettent la puce à l'oreille
Les premiers soupçons de truquage ont vu le jour fin 2010, lors d'un obscur match de troisième division entre Cremonese et Paganese, où le gardien de Crémone a été accusé d'avoir drogué ses équipiers à la pause avec un puissant somnifère, précise le magazine anglais FourFourTwo (en anglais). Crémone a quand même réussi à s'imposer, même si un des joueurs s'est ensuite endormi au volant sur l'autoroute en rentrant chez lui. Le gardien indélicat - et aux performances suspectes - a été transféré dans un autre club, où il est soupçonné d'avoir arrangé d'autres matchs.
La troisième division italienne, composée de plusieurs ligues régionales, compte 87 clubs, souvent au bord de la faillite. Deux d'entre eux, Neapolis et Catanzaro, sont carrément obligés de jouer devant des tribunes vides car ils n'ont pas les moyens de payer des stadiers, devenus obligatoires pour tout match pro italien, raconte le site spécialisé When Saturday Comes (en anglais). Mais on peut facilement parier sur toutes les rencontres de ces clubs qui ne proposent pas des salaires mirifiques à leurs joueurs : un paradis pour les truqueurs.
Depuis le scandale de Crémone, tout un réseau a été mis au jour, impliquant un ancien international italien, Beppe Signori, plusieurs mafias italiennes, un improbable milieu de terrain serbe à passeport turc jouant en Suisse et soupçonné d'être un des cerveaux de l'opération, des joueurs disséminés dans des petits clubs en Italie, d'anciens joueurs regroupés par clans comme "les Bolognais", une nébuleuse mafia à Singapour et des intermédiaires originaires des Balkans qui répondent au doux surnom de "Gitans".
Truquer un match de foot en Italie, rien de plus simple
Un des cerveaux d'un groupe mafieux macédonien, Hristiyan Ilievski, actuellement en fuite, expliquait fin février dans le quotidien italien La Repubblica, cité par RTL.be, comment ça se passe. "Les joueurs se mettent d'accord, puis parient et vendent leurs informations. Nous, on comptait dessus, car sinon ils les vendaient à d'autres, la mafia sicilienne, l'albanaise… Nous on achetait les informations et on pariait, et basta. Les joueurs m'appelaient et me disaient : ‘20 000 sur tel résultat’, et je le faisais, j'avais confiance."
Ilievski explique qu'une trentaine de joueurs, à "90% en série B", la deuxième division italienne, sont concernés. Mais qu'en Italie, il n'y a pas que les joueurs qui truquent les matchs. "Souvent, ce sont les dirigeants des clubs eux-mêmes qui se mettent d'accord. A la fin de l'année dernière, je suis venu personnellement en Italie, et tout était déjà décidé, qui gagnait le titre, qui allait en Europe, qui descendait en B. Il y avait six équipes que nous jugions fiables : Sampdoria, Cagliari, Bari, Lecce, Sienne et Chievo. Et on s'est fait un paquet de fric !"
D'après un protagoniste de l'affaire, cité par When Saturday Comes (en anglais), le truquage des résultats dure depuis dix ans dans le pays.
Seulement la partie émergée de l'iceberg ?
A en croire un journaliste italien, cité par CNN (en anglais), le réseau Singapour + "Gitans" + joueurs italiens a truqué d'autres matchs en Argentine, en Bolivie, et dans certains championnats européens, comme en France et en Allemagne. Le procureur de Crémone, en charge de l'enquête, a carrément envisagé une amnistie "sportive, mais pas pénale", afin que la procédure ne dure pas des années. Car si le championnat italien 2010-2011 a été faussé, l'exercice 2011-2012 pourrait aussi être chamboulé par des pénalités infligées à certains clubs.
Le réseau singapouro-balkanique ne s'est pas limité à l'Italie. Un homme de main a tenté de négocier avec le club finlandais de Tampere United pour faire venir des joueurs asiatiques. Une combine bien connue des truqueurs : les joueurs sont ensuite priés de laisser filer certains matchs. La technique a déjà été utilisée en Belgique au milieu des années 2000. Pris la main dans le sac, l'homme de main, qui dirige un site de paris à Singapour, a désigné l'homme qui d'après lui serait le chef de tout le réseau, Dan Tan.
Le nom de Dan Tan revient aussi dans un scandale de corruption en Allemagne. On n'a qu'une photo très floue de ce dernier. Dan Tan a joint un site d'info singapourien pour se défendre, et nie en bloc les accusations, rapporte AsiaOne (en anglais). Mais il apparaît dans toutes les facettes du dossier. Et même ailleurs : la mafia singapourienne compterait dans ses cartes des arbitres, ce qui est utile pour siffler des penalties de complaisance. A l'image d'Ibrahim Chaibou, qui a officié en juin 2011 dans un controversé Nigeria-Argentine où 8 minutes de temps additionnel et un penalty très suspect à la toute fin du match ont mis la puce à l'oreille de la Fifa.
"Nous devons faire face à une organisation bien implantée mondialement" constate, fataliste, l'ex-M. Anticorruption de la Fifa, Chris Eaton, sur AsiaOne (en anglais). Malgré tous ses moyens, la Fédération n'a pas réussi à retrouver Dan Tan. Et a décidé, pour contrer ce mal qui gangrène le football, la mise en place d'un numéro vert (lien en anglais) de dénonciation de matchs truqués, garantissant l'immunité aux joueurs voulant soulager leur conscience. Sera-ce suffisant pour dissuader les joueurs de participer à un business qui rapporte, d'après la Fifa, 90 milliards d'euros annuels ?
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