"Ces incendies sont la partie visible du réchauffement climatique" : la Suède à feu et à sec face à un été record
Depuis le mois de mai, quasiment aucune goutte d'eau n'est tombée dans le pays scandinave, d'habitude si frais, et les températures dépassent même les 30°C. De nombreux incendies se sont déclarés. Reportage.
Oloff Brink a tout perdu en quelques jours. Le 16 juillet, un gigantesque incendie s'est déclaré dans la forêt de Ljusdal, commune du centre de la Suède, brûlant quasiment tous les arbres de sa famille. Sur les 460 hectares que possèdent les Brink, historique famille de forestiers de la région, il n'en reste plus que cent, toujours menacés par les flammes. "Mon héritage s'est envolé d'un coup. Cette forêt que je connais par cœur depuis que je suis petit n'existe plus", déplore cet homme de 23 ans.
Assis dans le jardin fleuri de sa maison en bois verni, le jeune Suédois aux cheveux dorés a le regard triste. Il y a quatre ans, Oloff Brink a arrêté ses études en informatique pour reprendre l'exploitation forestière de son père, certain que la solitude du travail dans les bois lui conviendrait mieux que les bureaux.
Mes projets ont été détruits par la météo. Un été caniculaire s'est installé juste après l'hiver, il n'y a même pas eu de printemps.
Oloff Brinkà franceinfo
Depuis le mois de mai, quasiment aucune goutte d'eau n'est tombée en Suède, pays d'habitude si frais, traversé de multiples cours d'eau et lacs. Selon l'Institut suédois de météorologie et d'hydrologie (SMHI), certaines régions reçoivent depuis le début du mois de juin 75% de précipitations en moins par rapport à la normale. À Ljusdal, le thermomètre atteint plus de 30°C, soit cinq à dix degrés de plus que d'habitude. Cela fait au moins 260 ans que le royaume n'a pas connu une telle sécheresse, rapporte le site The Local (en suédois).
Des incendies au-dessus du cercle polaire
La pelouse de la famille Brink, normalement si verdoyante à cette saison, a pris une couleur jaune pâle et craquelle sous le moindre pas. Dans le potager, les salades hier gorgées d'eau de pluie sont arrosées par un jet automatique. Afin de fuir cette chaleur "insupportable", Oloff Brink s'est aménagé une petite chambre dans le hangar à bétail. Il y fait 18°C, "le maximum que je puisse supporter", sourit le jeune homme. "Je n'ai jamais connu un été aussi chaud depuis que je suis né", renchérit son père, Björn Brink, en s'essuyant le front.
La sécheresse est si intense et la chaleur si élevée qu'une cinquantaine d'incendies se sont déclarés en une semaine dans tout le pays, brûlant près de 30 000 hectares de forêt. Selon le service d'alerte suédois, une trentaine de feux sont toujours actifs le 26 juillet, principalement dans les régions de Gävleborg, Dalécarlie, Jämtland et Västernorrland. Des feux ont également été repérés en Laponie suédoise, au-dessus du cercle polaire : autour de la ville de Jökkmokk, destination du grand nord prisée des touristes, pas moins de cinq incendies ont été recensés. À Ljusdal, où les feux sont les plus violents, les autorités ont évacué plusieurs villages proches de la forêt.
"On m'a réveillé à 2 heures du matin pour que je parte, raconte Ivan Halvarsson, 68 ans, habitant du village Huskölen, à l'orée des bois de Jämtland. J'ai juste eu le temps de prendre quelques vêtements et des photos. Je suis logé chez des amis en attendant, mais je ne sais pas quand je pourrai revenir", soupire ce Suédois à la silhouette ronde.
On est très inquiets pour notre maison mais que peut-on faire ? Nous n'avons plus qu'à espérer et attendre.
Ivan Halvarssonà franceinfo
Depuis le début des incendies, tous les secours du pays, pompiers et protection civile, ont été mobilisés. Certains pompiers partis en vacances ont été rappelés et 500 militaires sont venus en renfort. Malgré l'ampleur du dispositif, la Suède, sous-équipée pour ce genre d'interventions, a dû solliciter l'aide de ses voisins en activant le mécanisme européen de sécurité civile. L'Italie, l'Allemagne, la Norvège, la Pologne et la France ont répondu à l'appel en envoyant plusieurs contingents de femmes et d'hommes et du matériel. Le 19 juillet, un convoi de 44 camions de pompiers et 139 sapeurs-pompiers de Pologne a traversé le pays sous les applaudissements des habitants.
"Si sec que l'eau ne suffit pas à stopper le feu"
"Je n'ai jamais connu autant de feux de cette ampleur simultanément, reconnaît Peter Hertzmann, pompier volontaire depuis onze ans dans la commune de Jarvsö. Il fait si sec que l'eau ne suffit pas à stopper le feu." Même l'aide des agriculteurs arrivés en renfort avec leurs camions-citernes ne permet pas d'en venir à bout. "Le temps de se réapprovisionner en eau, le feu est déjà reparti", déplore le cinquantenaire à l'allure sportive.
Il n'y a pas assez de pompiers en Suède et nous manquons de matériel. Avant l'aide européenne, nous n'avions pas assez d'avions pour survoler la forêt. Or, y pénétrer en camion ou à pieds est devenu trop dangereux.
Peter Hertzmannà franceinfo
À Färila, l'Agence de suédoise de protection civile (MSB) a construit un camp en douze heures pour accueillir les secours français, venus pour une durée indéterminée. "D'habitude, on se sert de ces camps lors des catastrophes naturelles ou les crises humanitaires en Afrique, en Asie... C'est la première fois en Suède", lâche l'athlétique Bobby Rose, chef des opérations du MSB. Malgré la chaleur suffocante, une dizaine de bénévoles sont venus prêter main forte et apporter des vivres. "Je suis en vacances, j'ai du temps. C'est la première fois qu'on vit une telle sécheresse, ça m'inquiète beaucoup", murmure Mikaël Wikström, en plein montage de ventilateurs.
Côté français, le lieutenant-colonel des pompiers Jean-Paul Monet reste optimiste, mais prudent. "Le feu se propage ici à 3 km/h, moitié moins que dans le sud de la France ou en Grèce, explique-t-il d'un ton calme. Mais la tourbe est si sèche que le feu repart toujours. On essaye de le contenir en creusant des tranchées, en arrosant les lisières, c'est un travail très dur." Afin d'éviter tout nouveau départ de feu, le gouvernement a interdit les feux de camp et les barbecues dans plusieurs régions, y compris dans les jardins privés, note The Local.
"Je perds 2 500 euros par jour"
Les conséquences de cette sécheresse sur l'agriculture et l'élevage sont déjà visibles. Par manque de foin, certains éleveurs assurent avoir commencé à abattre leurs animaux. Certains sont transformés en biocarburant ou vendus à la consommation. Pour écouler le stock, "des épiceries ne vendent plus que de la viande suédoise", reprend le pompier Peter Hertzmann. Pour la fédération des agriculteurs suédois, il s'agit de la pire crise depuis plus de 50 ans. "La perte est déjà estimée à plus de 2 milliards de couronnes suédoises", soit 194 millions d'euros, explique un porte-parole à l'AFP.
À Ljusdal, l'heure est à l'inquiétude. Dans son exploitation de 1 400 hectares pour 11 000 vaches, Janna Hansson craint les prochains mois, même si de son propre aveu, il n'est pas le plus à plaindre. À la tête d'une des plus grosses fermes laitières du pays, ce Suédois à la taille imposante prévoit une baisse de sa production de 50% cette année à cause de la chaleur.
"Le sol est trop sec et il ne pleut pas, alors on manque de foin, raconte-t-il en marchant, suivi de près par son chien. Lors de la dernière moisson, on a récolté seulement 30% de la production habituelle." Le bétail a déjà entamé les réserves de l'hiver et montrerait des signes de "stress" face aux températures. "Les vaches produisent moins de lait. Depuis le début de l'été, je perds 2 500 euros par jour", reprend l'éleveur, fatigué par ces derniers jours.
L'entreprise est solide donc on devrait s'en sortir, mais j'ai peur que ce temps devienne la norme.
Janna Hanssonà franceinfo
Oloff et Björn Brink, les forestiers, ont perdu 12 millions de couronnes avec les incendies, soit près de 200 000 euros de capital. "On a une assurance, mais on ne sait pas combien elle nous remboursera. Et quand bien même, il faut des dizaines d'années pour que la forêt repousse, prévient Björn Brink. Ça, personne ne peut le compenser."
La preuve du réchauffement en cours ?
Cette sécheresse exceptionnelle et ces incendies sont-ils liés au réchauffement climatique ? Comme à chaque fois, les scientifiques sont divisés sur la question. Pour Lina Burnelius, spécialiste des forêts à Greenpeace Suède, le lien est indéniable : les feux sont essentiellement le résultat de l'activité humaine.
Ces incendies sont la partie visible du réchauffement climatique. C'est une première pour la Suède mais de nombreux pays du Sud sont touchés depuis longtemps.
Lina Burneliusà franceinfo
Pour ne rien arranger, la Suède est recouverte de moitié par les forêts, mais seul 2% d'entre elles sont naturelles. Le reste est composé de pins sylvestres et de feuillus plantés pour l'industrie papetière et le bois. "Ces forêts plantées par l'homme sont beaucoup plus fragiles que les forêts naturelles. Elles sont faites de monocultures peu résistantes au changement climatique et aux incendies et elles empêchent toute pérennité de la biodiversité", analyse la militante, qui rappelle qu'une forêt naturelle serait "plus résiliente" face au réchauffement.
Mais d'autres spécialistes se montrent plus prudents. "On ne peut pas affirmer que les feux sont liés au réchauffement, estime ainsi Erik Kjellström, climatologue au SMHI. L'Europe traverse depuis quatre mois un système de haute pression qui provoque la hausse des températures et la baisse des précipitations, mais cela pourrait se produire sur une planète plus froide." En revanche, "les incendies de cette ampleur sont de plus en plus nombreux, tout comme les hivers très froids".
En attendant, la chaleur n'est pas prête de retomber sur le royaume scandinave. Des pics à 35°C sont attendus dans le week-end et les autorités mettent en garde contre les risques de nouveaux départs de feu. Les plus pessimistes affirment qu'il faudra attendre les premières neiges pour que la situation se résorbe complètement (mais ce ne sera pas avant octobre). "Si on veut rester positifs, on se dit qu'affronter une telle sécheresse c'est de l'expérience pour le futur, pressent le pompier Peter Hertzmann. À l'avenir, on sera obligés de prendre en compte ces risques dans nos vies."
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