Malgré l'état d'urgence, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes se mobilisent pour la COP21 : "On a tellement l'habitude d'être bâillonnés"
Les zadistes veulent faire entendre leur voix malgré les perquisitions et les assignations à résidence liées à l'état d'urgence dont ils sont la cible.
"Il faut changer le système, pas le climat." Entre les pancartes, les œuvres d'art et les plantes, des petits groupes discutent, attablés autour de leur repas du soir. Français et Anglais s'entremêlent dans un brouhaha de cantine, tandis que les "zadistes" rassemblent chaises et bancs dans l'entrée du Jardin d'Alice, un lieu associatif de Montreuil (Seine-Saint-Denis), à l'est de Paris, mardi 1er décembre au soir. Ces écolos-là n'ont pas reçu de cartons d'invitation pour les couloirs du Bourget et ses auditoriums confortables.
Déjà surveillés de près par les autorités pour leurs activités militantes, ils se savent à la merci de l'état d'urgence, prononcé dans la foulée des attentats de Paris, pour traquer les terroristes jihadistes, mais qui a aussi visé les activistes soupçonnés de vouloir troubler la COP21. En préambule de la conférence, plusieurs ont fait l'objet de perquisitions et d'assignations à résidence.
Systématiquement assimilés à des casseurs, des black blocs ou des radicaux dans le discours de leurs détracteurs, les "zadistes" goûtent peu ce statut d'ennemis publics. D'ailleurs, c'est avec des sourires chaleureux, loin des mines camouflées abondamment filmées lors des débordements de dimanche, que les trois "Camille" (le prénom mixte qu'ils donnent pour demeurer anonymes – arbitrairement, nous les appellerons Benjamin, Catherine et Julie pour une meilleure compréhension) qui s'expriment ce soir-là appellent la foule à se regrouper autour d'eux. Une cinquantaine de personnes ont répondu à l'appel de leur "point d'information sur l'avancée de la lutte à Notre-Dame-des-Landes".
Avec près de 200 personnes, ils sont venus en vélo depuis la ZAD (pour "zone à défendre") de Notre-Dame-des-Landes, où le gouvernement entend faire construire un nouvel aéroport. Un peu plus de 400 km, ponctués de péripéties qui illustrent la difficulté de se mobiliser dans ce contexte si particulier.
"C'était inconcevable de ne pas être ici"
Benjamin rit jaune en évoquant le voyage. "Dès le deuxième jour, on s'est retrouvés bloqués en face d'un important dispositif de gendarmerie, à même pas 50 km de notre point de départ. Disons que ça donnait le ton", raconte le trentenaire. Lui qui refuse ici de donner son prénom, son âge précis, et apparaît le visage masqué lors des conférences de presse, se félicite que les voyageurs "aient tous refusé le contrôle d'identité". Une première victoire. Tout au long du parcours, les cyclistes-militants disent avoir été stoppés, escortés, suspendus aux décisions préfectorales prises dans les départements qu'ils approchaient de trop près, état d'urgence oblige. "On en était arrivés au stade où on étudiait des cartes en parlant de 'frontières départementales', on envisageait des stratégies pour longer l'Ile-de-France, etc.", se souvient-il, en souriant d'un air encore incrédule face à cette nouvelle nécessité tactique.
"Evidemment, les attentats nous sont tombés dessus, comme à tout le monde", explique Geneviève Coiffard, une militante de 68 ans, elle aussi partie de Loire-Atlantique en vélo. "Avec l'annonce de l'état d'urgence, on s'est posé la question de savoir s'il fallait partir, et la réponse a été unanime : oui."
S'il faut, comme tous l'ont répété, continuer à vivre, pour nous, continuer à vivre, c'est continuer à manifester. COP maintenue, projet d'aéroport maintenu, il n'y a pas eu d'hésitation à maintenir le convoi.
Interdits de séjour sur le plateau de Saclay (Essonne), où ils devaient être accueillis par un agriculteur, les "zadistes" ont dû s'adapter au jour le jour. "La zone était complètement bouclée par la police. Même les riverains devaient présenter un justificatif de domicile pour rentrer chez eux. Je pense que [les autorités] craignaient qu'on en fasse un point de chute, ce qui n'était pas notre intention", poursuit Benjamin. L'intention, "c'était de porter notre message sur la route jusqu'à Paris", ajoute cet occupant de la ZAD. "Notre lutte est porteuse d'espoir pour beaucoup de gens. C'était donc inconcevable de ne pas être ici, alors que le gouvernement a encore brandi la menace de la reprise des travaux à Notre-Dame-des-Landes juste avant la COP21."
Le parcours semé d'embûches a pris fin samedi 28 novembre, à Versailles : "Un symbole très fort, car c'est de là qu'est parti l'état d'urgence", souligne-t-il, pointant encore ce nouveau grief contre l'Etat.
"C'est important d'échanger... surtout en ce moment"
"Sorry." En file indienne, un petit groupe traverse le hall du bâtiment, tâchant de ne pas perturber l'intervention des trois zadistes. Tous les membres de ce petit convoi portent de gros sacs de randonnée et des passes du Bourget autour du cou. Des lieux associatifs, comme le Jardin d'Alice, mais aussi des squats et des locaux syndicaux accueillent des milliers de militants venus du monde entier, issus des ONG traditionnelles, présentes sur la COP, comme des groupes les plus radicaux. Prudente, Julie confie "dormir à droite à gauche", sans indiquer de lieu précis ("Pas ici, non").
La zadiste aux cheveux courts et au regard perçant derrière ses petites lunettes n'est pas plus loquace lorsqu'il s'agit d'aborder la suite du programme parisien prévu par elle et ses camarades de Notre-Dame-des-Landes. "Nous avons une autre soirée d'information demain. Mais rien n'est formalisé, vraiment. On discute avec d'autres militants, on se rencontre. C'est important, surtout en ce moment. Les luttes se nourrissent les unes des autres", précise-t-elle.
"Après l'arrivée du convoi à Versailles, les gens ont fait ce qu'ils voulaient. Certains sont rentrés sur la ZAD, d'autres ont rejoint d'autres luttes", explique par téléphone le relais avec la presse des zadistes-cyclistes, lui aussi à Paris. Dans ce groupe disparate, où l'on croise aussi bien des agriculteurs que des anarchistes, certains sont restés pour participer aux mobilisations alternatives qui compose le "off" de la COP : la Coalition climat 21, qui regroupe plus de 130 organisations de la société civile, organise notamment le Sommet citoyen pour le climat, les 5 et 6 décembre, à Montreuil, avant d'ouvrir une Zone d’action climat (ZAC) du 7 au 11 décembre, au "Centquatre", dans le 19e arrondissement de Paris.
Julie reconnaît que l'objectif de cette quinzaine consiste à nouer des contacts. Longuement, elle et Catherine, la troisième zadiste, ont ainsi appelé l'assistance à leur venir en aide sur le site. Sous les tirages photos qui pendent du plafond, exposant la vie sur la ZAD (en noir en blanc, une jeune femme porte un seau de lait après la traite d'une vache ; en couleur, sous un ciel bleu superbe, la charpente d'une maison bricolée se dresse dans un champ), les militants ont notamment laissé quelques tracts, indiquant la marche à suivre en cas d'intervention policière. Benjamin relève d'ailleurs avec ironie que, "avec les attentats et l'état d'urgence, ils n'ont pas les effectifs en ce moment pour cela, mais, voilà, on reste vigilants".
"Considérés comme de dangereux terroristes"
Pour beaucoup de militants, d'ONG institutionnelles comme de groupes informels, le contre-sommet, appelé aussi "sommet citoyen", permet de se réapproprier le débat sur le réchauffement climatique, entre les mains de l'ONU pendant la COP21. Geneviève détaille volontiers son programme militant pour cette quinzaine : projections, réunions et suivi "de tout ce qui touche aux travaux du Tribunal des droits de la nature [une initiative citoyenne qui se déroule les 4 et 5 décembre en marge de la COP21] et à la lutte contre les paradis fiscaux. Y mettre un terme permettrait de financer la transition vers les énergies propres", estime-t-elle.
Car, dans ce monde parallèle à celui du Bourget, les militants aussi planchent sur des solutions au réchauffement climatique. "Hélas, les mobilisations sociales n'ont que peu de poids comparé à celui des milliers de lobbyistes qui au Bourget ont accès à tout le monde. Les multinationales y sont invitées, quand elles ne sont pas partenaires, quand bien même elles sont polluantes", poursuit-elle, comme pour mettre en lumière la condition des zadistes, "considérés comme des dangereux terroristes, et ça, bien avant l'état d'urgence".
"Mais, vous savez, on a tellement l'habitude d'être bâillonnés après tout ! Cela ne nous empêche pas de mener une lutte historique, qui est devenu pour le grand public et pour les spécialistes le symbole des grands projets inutiles", observe Geneviève.
Comble de la mobilisation alternative, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes ont promis samedi de marcher sur Le Bourget... En l'occurrence, un hameau de Loire-Atlantique, homonyme de la ville qui accueille la conférence sur le climat. "Dans ce hameau, on ne peut pas nous opposer l'argument de la menace terroriste", nous précise au téléphone Dominique Fresneau, co-président de l'Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Acipa).
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