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Extinction des ours polaires d'ici à 2100 : "S'ils disparaissent, tout un système se dégradera"

Dans une étude publiée dans la revue "Nature Climate Change", des chercheurs préviennent : les ours blancs pourraient s'éteindre d'ici à 2100. Deux scientifiques, dont les regards et analyses sont complémentaires, expliquent pourquoi.

Article rédigé par Violaine Jaussent - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Un ours polaire et sa progéniture, près de Svalbard (Norvège), en 2012. (KT MILLER / POLAR BEARS INTERNATIONAL / AFP)

La fin de l'ours polaire sur Terre. Dans une étude publiée le 20 juillet dans la revue Nature Climate Change, des chercheurs estiment que la disparition progressive de l'habitat des ours blancs, la banquise, d'où ils attrapent les phoques indispensables à leur alimentation, pourrait signer leur extinction totale, ou presque, d'ici à 2100.

Pour décrypter cette étude et comprendre les conséquences de ce phénomène, franceinfo a interrogé Martin Vancoppenolle, physicien et chercheur au CNRS, spécialiste de la banquise, et Géraldine Véron, biologiste spécialisée dans les carnivores, enseignante-chercheuse au Muséum national d'histoire naturelle et auteure de Ours, portrait, mythes, histoire (éditions Rustica, 2019).

Franceinfo : Comment les chercheurs de l'étude publiée dans Nature Climate Change sont-ils parvenus à cette conclusion alarmiste ?

Martin Vancoppenolle : Ils ont calculé combien de temps l'ours polaire pouvait jeûner. Habituellement, il mange beaucoup de phoques l'hiver, donc l'été il peut se permettre de jeûner car il a accumulé suffisamment de graisses. Mais au bout de 100 jours sans manger, les femelles ont du mal à allaiter, donc les petits ne survivent pas. Au-delà de 200 jours, les adultes ont de vraies difficultés pour survivre, car ils n'ont plus d'énergie. Pour arriver à ces conclusions, ces chercheurs, que je connais, ont modélisé la façon dont l'ours accumule de l'énergie. Ils ont croisé ces données avec les projections connues sur le futur de la banquise, générées par des scientifiques comme moi. D'ici à 2050, l'été, elle n'existera plus. Or, la banquise c'est l'habitat de l'ours polaire, son terrain de jeu. Si elle disparaît, l'ours aussi.

Géraldine Véron : Ces chercheurs ont établi un seuil à partir duquel le jeûne affecte le taux de reproduction des ours blancs et leur survie. Ainsi, avec le scénario du changement global le plus pessimiste, ils estiment qu'en 2100, le taux de natalité sera trop faible pour que les populations survivent. Ils présentent également un scénario un peu moins pessimiste, dans lequel certaines populations peuvent survivre.

Ces projections sont-elles réalistes ?

M. V. : Les chercheurs font le lien entre le nombre de jours sans glace et le métabolisme des ours. Les conclusions qu'ils tirent sont plus fines que dans des études précédentes, donc plus proches de la réalité. 

G. V. : Avec moins de glace au fil des ans, la population d'ours blancs est déjà en déclin. On observe des pertes de poids et une reproduction moindre. Ces quelque 26 000 plantigrades sont répartis en 19 sous-populations distinctes. L'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) les considère comme une espèce "vulnérable" et non en voie d'extinction. Car la population d'ours polaires est très difficile à évaluer. Mais on ne sait pas exactement ce qui va se passer. Les auteurs de l'étude prennent en compte un tas de facteurs. Toutefois, il y en a d'autres, plus difficiles à appréhender. Ils parlent de 2100, mais la modélisation n'est pas une prédiction exacte, elle donne juste une estimation. C'est un scénario, qui est probable si on ne change rien.

Si l'ours blanc disparaît, quelles seront les conséquences ?

M. V. : L'ours polaire est au sommet de la pyramide alimentaire, il a un rôle de régulateur. S'il n'y en a pas, les phoques peuvent proliférer, au détriment des crustacés et des poissons. On s'attend donc à un impact environnemental non neutre car c'est une espèce clé. Quand on enlève une couche de l'écosystème, il y a des conséquences inattendues à d'autres niveaux, sur la végétation par exemple. Ces espèces sont aussi révélatrices du système : quand elles ne vont pas bien, c'est le signe que quelque chose va mal en dessous. La perte d'une espèce unique est une raison suffisante de s'alarmer.

G. V. : Les phoques et les poissons peuvent subir les conséquences de l'extinction de l'ours blanc mais il est difficile de prévoir l'ampleur du déséquilibre, car eux-mêmes subissent la surpêche et la pollution. Les ours polaires sont en haut de la chaîne alimentaire mais ils ont aussi un rôle essentiel de charognards. Dans tous les cas, leur extinction aura forcément des conséquences : c'est une cascade, s'ils disparaissent, tout un système se dégradera.

Peut-on encore empêcher leur extinction ?

M. V. : Dans tous les cas, on en perdra une bonne partie. Mais cette étude spécifie qu'il restera des ours dans certaines régions. La possibilité d'en sauver un peu est mince, mais elle existe.

G. V. : Les ours polaires ont déjà subi les effets du changement climatique dans les périodes glaciaires et interglaciaires. Mais là, c'est plus extrême et beaucoup plus rapide. Même dans le scénario le moins pessimiste, il y aura moins de glace. Certains s'adaptent déjà : ils se nourrissent de saumons ou de carcasses de baleines. Mais il y a de la compétition avec d'autres espèces. Auront-ils le temps de s'adapter complètement ? Ils ont des besoins énergétiques énormes. Les populations seront-elles suffisamment solides ? Elles sont très réduites et fragiles à l'heure actuelle. On observe déjà des ours qui fouillent dans les poubelles pour trouver à manger et se rapprochent des zones habitées. Pour ralentir leur extinction, il faut limiter la surpêche et l'activité humaine dans la région arctique. Si on modère, on leur laisse un temps d'adaptation plus long. Et alors peut-être que quelques sous-populations survivront dans leur mode de vie le plus naturel. Mais c'est incertain.

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