Mammouths laineux, tourtes voyageuses... Ça vaut (vraiment) le coup de ressusciter les espèces disparues ?
Des scientifiques américains imaginent pouvoir faire revivre des espèces disparues de la surface de la Terre. Mais d'autres chercheurs, plus frileux, mettent en garde contre d'éventuelles dérives.
Ce n'est pas de la science-fiction. Le mammouth laineux pourrait bien faire son retour sur Terre, 4 000 ans après sa disparition. Des chercheurs américains travaillent actuellement à sa réintroduction grâce à la manipulation génétique. Au-delà de l'exploit scientifique, d'autres s'interrogent sur les bienfaits réels de ce qu'on appelle la "dé-extinction", c'est-à-dire le fait de ressusciter des espèces animales. Dans un article, publié mercredi 1er mars dans la revue Nature (en anglais), ils disent craindre pour l'équilibre de la biodioversité.
Cela vaut-il (vraiment) la peine de ramener à la vie des espèces éteintes ?Franceinfo pèse le pour et le contre.
Oui, parce que l'environnement pourrait y gagner
C'est l'un des arguments avancés par les partisans de la réintroduction animale. Certaines espèces disparues pourraient avoir un rôle positif dans la lutte contre le réchauffement climatique, en particulier dans des environnements menacés ou appauvris. Les scientifiques qui s'attachent en ce moment à "recréer" le mammouth laineux, prévoient d'ailleurs à terme d'installer l'animal dans les plaines de Sibérie.
Pourquoi là-bas ? Parce que la région connaît actuellement un dégel sans précédent qui pourrait avoir des conséquences désastreuses sur le climat. "En repeuplant les toundras de mammouths laineux, on y remet de la vie, explique le paléontologue Eric Buffetaut, joint par franceinfo. Le milieu va alors se remettre à fonctionner plus normalement." En clair, les mammouths remettraient de l'ordre dans la végétation, ce qui freinerait le dégel. Conséquence : les énormes quantités de gaz à effet de serre qui se libéraient jusque-là dans l’atmosphère seraient, de fait, réduites.
Non, parce que cela pourrait menacer d'autres espèces
C'est le revers de la médaille. Ressusciter un animal disparu pourrait en chasser un autre. "C'est vrai que nous ne sommes pas à l'abri de problèmes sanitaires, prévient Yann Locatelli, biologiste de la reproduction à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). Une espèce ressuscitée peut très bien s'avérer utile pour combattre des pathogènes, mais elle peut aussi tout à fait représenter un danger pour son entourage proche. Quelles garanties avons-nous de recréer des animaux viables ou non-malades ?"
En clair, le retour de cette espèce ancienne pourrait se révéler contre-productif. Il y a un risque d'en mettre en péril d’autres. "On ne recréera jamais le même animal à 100%, c'est impossible, explique Florian Kirchner, chargé du programme "Espèces" au sein du Comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Ce sera une version plus ou moins proche. Donc plus ou moins adaptée à l'environnement actuel. Je vois difficilement comment une espèce disparue il y a 4 000 ans pourrait survivre sans problème de nos jours. Le risque, c'est aussi qu’il concurrence et menace des espèces existantes. Ce sont les espèces les plus fragilisées aujourd’hui qui en feraient les frais."
La question se pose par exemple pour la tourte voyageuse, sorte de pigeon aujourd'hui disparu, que des chercheurs adeptes de la "dé-extinction" imaginent faire revivre. "Ne risqueraient-elles pas de servir d’hôte à un virus susceptible d’anéantir une autre espèce d’oiseau ?" s'interroge National Geographic.
Oui, parce que ça peut faire avancer la science
Manipulation de cellules souches, traitement de l’ADN ancien, reconstitution de génomes perdus... Les chercheurs sont d'accord pour dire que la "dé-extinction" peut inspirer de nouvelles démarches scientifiques. "Même si, pour l'instant, le retour des mammouths laineux n'est encore qu'un projet, voyez-vous le chemin parcouru ? Il est énorme, se réjouit le paléontologue Eric Buffetaut. C'est encore plus fort que dans les films. On est à deux doigts de réinventer l'existence animale. Ce que font les chercheurs du monde entier ouvre le champ des possibles."
La possibilité de régénérer le vivant est "forcément un défi intéressant qui pousse les chercheurs à répondre à des interrogations très complexes", acquiesce Florian Kirchner. Le spécialiste pense notamment à l'étude de nouvelles espèces : "On apprend du passé pour mieux agir dans le futur." Eric Buffetaut évoque pour sa part la question des défenses immunitaires des animaux. "On va pouvoir comparer celles dont disposent les animaux ressuscités avec celles des animaux actuelles. Il y aura forcément des choses à apprendre."
Yann Locatelli s'y voit déjà : "Vous imaginez la sensation que procurerait le fait de revoir des mammouths en chair et en os ? Moi, ça me fait envie."
Non, parce qu'on devrait déjà commencer par sauver les espèces existantes
C'est LA question qui fâche la communauté scientifique. Certains chercheurs estiment que ressusciter une espèce éteinte équivaut à outre-passer la logique de la nature. En clair, pourquoi un animal disparu aurait le droit à une seconde vie ? "Je comprends cette objection, coupe Yann Locatelli. Mais il faut comprendre que nous, les humains, sommes souvent responsables de l'extinction de ces animaux. Par le dérèglement climatique, par le braconnage, par la déforestation, par la surpêche. Les réintroduire serait une manière de réparer nos erreurs."
Eric Buffetaut ne dit pas autre chose, mais il s'interroge quand même. "Que se passera-t-il le jour où l'on aura la capacité technologique de ressusciter toutes les espèces disparues ? N'y a-t-il pas un risque que l'on devienne négligent ? Après tout, pourquoi protéger une espèce puisque, de toute façon, nous avons les moyens de la faire renaître un jour." Pourquoi sauvegarder l’ours polaire si on peut le recréer à peu près quand on veut ?
"Les sommes d'argent mises dans ces opérations posent réellement question, s'agace Florian Kirchner. Nous avons fait le calcul, cela coûte plus cher de ressusciter une espèce disparue que de protéger plusieurs espèces existantes. Si l’objectif est de préserver la biodiversité, il n'y aurait pas comme un problème ?" Le biologiste conclut : "Pendant qu’est menée cette course à la réussite technologique, avec de bien maigres chances de succès, il y a chaque année des milliers d'espèces qui disparaissent."
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