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"C’est comme un deuil" : un mois après l’ouragan Irma, la difficile reconstruction des rescapés

Carole Bélingard le vendredi 6 octobre 2017

Les dégâts à Marigot après le passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin, le 6 septembre 2017. (LIONEL CHAMOISEAU / AFP)

Un mois après Irma, les îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin tentent toujours de panser leurs plaies. La nuit du mardi 5 au mercredi 6 septembre, l’ouragan alors classé en catégorie 5, la plus élevée sur l'échelle de Saffir-Simpson, s’est abattu sur les petites Antilles avec une violence inouïe. Nombreux sont ceux qui ont cru mourir. Les habitations du bord de mer ont le plus souffert, les intérieurs ont été ravagés par les vagues. Dans les terres, les dégâts sont assez hétérogènes : toits découverts, portes et fenêtres détruites... Des milliers de personnes ont dû être évacuées. Pour beaucoup, il s’agit de familles avec des enfants en bas âge ou des personnes souffrant de problèmes de santé.

Depuis le 13 septembre, plus de 1 700 sinistrés ont été accueillies dans les aéroports franciliens, selon les chiffres fournis par la préfecture d’Ile-de-France, certains étant logés chez des proches, d'autres en hébergement d'urgence. Se pose désormais la question de l'après. Quid de l'avenir de ces personnes ayant parfois tout perdu et souhaitant rester en métropole ? Contacté par franceinfo, le ministère de la Cohésion des territoires assure travailler à “la constitution d’un guichet unique” et à la mise en place d’un numéro vert pour répondre à leurs besoins. En attendant, pour beaucoup de rescapés d’Irma, l'heure est à la débrouille sur le long chemin de la reconstruction. Certains se sont confiés à franceinfo.

“On n’est pas pris en charge comme on devrait”

Les dégâts à Marigot après le passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin, le 6 septembre 2017. (CHRISTOPHE ENA/ AP /SIPA)

Quand Etiennette débarque, lundi 11 septembre, à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle (Val-d’Oise), elle est encore déboussolée par les journées d’angoisse qu’elle vient de vivre à Saint-Martin. Dans la fraîcheur francilienne, cette femme de 39 ans, tongs aux pieds, et Ayden, son bébé de 11 mois, n’ont pour bagages qu'un sac à main, un sac à langer et un porte-bébé. Le retour en métropole est brutal", mais nécessaire après le passage dévastateur d’Irma et à l'approche d'un autre ouragan, José. "Le peu d’informations que l’on avait est qu’il arrivait droit sur nous, en catégorie 4, se rappelle Etiennette, encore très émue. Dans la résidence où j’étais, tous les toits ont sauté sauf le nôtre. Je me suis dit que ça n’allait pas tenir deux fois. Il était hors de question que je revive cet enfer."

Temoignage IRMA
Temoignage IRMA Temoignage IRMA

L'enfer, Etiennette l'a vécu recluse avec son bébé dans leur appartement, alors que l'œil du cyclone Irma passait au-dessus de Saint-Martin. "C'est traumatisant, j'ai eu très peur", confie-t-elle. Sa seule obsession : protéger son garçon. "J’avais mis des coussins autour du lit, comme si ça allait changer quelque chose, sourit-elle aujourd’hui. Et je tenais une couette au-dessus de lui pour le protéger pendant les deux heures les plus intenses", explique-t-elle en mimant les gestes.

Malgré la violence des rafales, leur appartement a tenu. Même si une partie du faux plafond s’est effrité, Etiennette et Ayden s’en sortent indemnes. Commence alors la course contre la montre pour évacuer et quitter Saint-Martin le plus vite possible. Etiennette prend son passeport et quelques affaires. Installée depuis quatre ans dans les petites Antilles, elle laisse tout derrière elle. "Je n’avais aucune intention de rentrer en métropole", assure celle qui devait reprendre une activité dans l’hôtellerie à la fin septembre.

  Après l'ouragan irma, Etiennette est arrivée en métropole, le 11 septembre 2017, avec seulement son bébé et deux sacs. (ETIENNETTE)

A l’aéroport de Grand-Case Espérance, à Saint-Martin, c’est la cohue. Les bébés hurlent dans les bras des mères, la chaleur est étouffante, les odeurs des poubelles débordantes prennent les narines. Son enfant ayant moins de 2 ans, Etiennette fait partie des personnes prioritaires pour partir. Elle parvient à monter dans un avion : direction la Guadeloupe, où la Croix-Rouge accueille les rescapés. Quelques jours plus tard, Etiennette achète elle-même un billet. Elle et son bébé Ayden prennent un vol commercial pour Paris.

Un nouveau parcours du combattant débute. Il va falloir tout redémarrer de zéro : trouver un logement, un emploi et se reconstruire. A l'arrivée, aucun accueil spécifique n'est prévu pour eux. Seuls des amis, qu’elle a réussis à contacter depuis la Guadeloupe, attendent avec des habits chauds. "On a été un peu oubliés à Saint-Martin et une fois arrivés ici, on n'est pas pris en charge comme on devrait", dénonce Etiennette, "en colère".

On m’a orientée vers des centres d’aide aux victimes, mais quand j’appelle, on me demande si j’ai été victime d’une agression ou autre. Ce n'est pas du tout adapté à mon cas.

Etiennette

Ne pouvant être hébergée par sa famille installée en métropole, la jeune maman est passée d'amis en amis à Paris, puis a atterri à Nice (Alpes-Maritimes), où elle a vécu quelques années. Pour l’heure, elle est logée dans un appartement mis à disposition par des Niçois qui se sont mobilisés par solidarité. Mais cela reste provisoire et Etiennette, qui ne se voit pas revenir à Saint-Martin, s'est lancée dans des recherches pour trouver un logement pérenne. Sa quête s'avère laborieuse. Cela fait maintenant trois semaines qu'elle contacte des propriétaires sur Airbnb en espérant un geste de solidarité et multiplie les appels à la préfecture ou à la mairie. En vain. La mairie de Nice lui a signifié qu’elle n’était pas prioritaire pour l’obtention d’un logement social. "Même en étant mère isolée, on m’a répondu que d’autres avaient bien plus d’enfants que moi", relate-t-elle amèrement. Aucune nouvelle non plus du côté des services sociaux.

Pourtant, le temps presse, car Ayden, qui va bientôt fêter son premier anniversaire, est perturbé depuis l’ouragan. "Mon bébé le vit très mal depuis qu’on est revenus. On n'arrête pas de bouger et inconsciemment, je lui transmets mon stress. Là, il se réveille en pleine nuit, hurle alors que c’était un bébé adorable qui faisait ses nuits. Il se tire les cheveux aussi", décrit Etiennette, submergée par l’émotion. La jeune maman ne bénéficie pas d’un suivi psychologique, mais se dit "déprimée" et se repose uniquement sur ses amis.

Je n’ai pas le temps d’aller craquer devant un psychologue, une fois que je serai installée et que j’aurai mis mon bébé chez nous, on verra, mais, pour l’instant, ce n’est pas la priorité.

Etiennette

“Tout est détruit, je ne vois pas ce que je pourrais faire”

Les dégats à Saint-Martin après le passage de l'ouragan Irma, le 11 septembre 2017. (CARLOS GIUSTI / AP/ SIPA)

Sylvie s'excuse d'emblée : "Désolée, ça va être compliqué d’aller à la maison, c’est un peu le camping." Depuis le passage d'Irma, cette quadragénaire brune et souriante héberge son frère et sa mère dans son deux-pièces de Saint-Maximin (Oise). Le premier, Philippe, est diabétique. Il ne trouvait plus de médicaments à Saint-Martin et a été rapatrié en métropole le 23 septembre.

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Sa mère Marilia, qui tient un café sur l'île où elle fait de la petite restauration, était, elle, en vacances au Portugal quand Irma a dévasté les petites Antilles. Mais elle a aussitôt souhaité se rendre chez sa fille. "C’était le plus simple pour avoir des nouvelles de mes fils [qui se trouvaient encore] à Saint-Martin", explique-t-elle, les mains autour d'un café brûlant. David, le troisième enfant de la famille, est resté à Grand-Case pour "veiller sur les biens" familiaux. Car les Lopes, d’origine portugaise, ont aménagé à Saint-Martin il y a presque quarante ans. A part Sylvie, qui est venue vivre en métropole, la "friendly island", c’est chez eux.

Après le passage de l’ouragan, Marilia et sa fille Sylvie ont vécu trois jours interminables à attendre des nouvelles de leurs proches. Quand Marilia a découvert les premières images de Saint-Martin dévasté, ce fut le choc : "Je croyais qu’ils étaient tous morts." Le soulagement est arrivé peu après quand sa fille a reçu un cliché de ses frères, David et Philippe, vivants, posant au milieu des gravats, les mines encore hagardes. "La pression est retombée, j’ai pleuré en regardant la photo", se souvient-elle.

Les frères Lopès ont envoyé cette photo à leurs proches quelques jours après l'ouragan Irma qui a dévasté Saint-Martin, le 6 septembre 2017. (PHILIPPE LOPES)

"Je ne souhaite à personne ce qu’on a vécu. Le lendemain d’Irma, c’était Tchernobyl", confie Philippe en faisant défiler sur son smartphone les images des rues de Saint-Martin sous les décombres. Ce violent ouragan est loin d'être le premier pour l'habitant qui a connu les cyclones Hugo (1989) ou Luis (1995). "Mais Irma, c’est une catastrophe. A côté de chez nous, un ensemble d’immeubles s’est effondré comme un château de cartes", décrit-il. Après le passage de Luis, Marilia avait pu rouvrir son magasin deux jours plus tard. Là, impossible. Tout a été détruit.

Pour Philippe, qui a besoin de soins médicaux quotidiens, l’évacuation était inéluctable. Une semaine et demie après l’ouragan, il a été pris en charge par l’armée pour rejoindre la Guadeloupe. Là-bas, il a pu compter sur la solidarité d’une Guadeloupéenne qui l’a hébergé gracieusement. Après quelques jours, il a fini par être appelé pour prendre un vol commercial en direction de Paris. Mais le frère et la sœur ne comprennent pas que l’Etat n’ait pas affrété des avions pour évacuer tous ceux qui le souhaitaient. "Ce n’est pas normal que certains n’aient pas eu à payer leurs billets et d’autres oui", estime Sylvie.

La famille Lopès réunie à Creil (Oise), trois semaines après le passage de l'ouragan Irma. (CAROLE BELINGARD / FRANCEINFO)

A la fin septembre, il n’y avait toujours ni eau courante ni électricité dans leur quartier à Grand-Case. "Mon frère David, qui est encore sur place, n’en peut plus", lance Sylvie. "Mon petit-fils qui a 7 ans aussi. Il est traumatisé. Il veut partir, il pleure quand on l’a au téléphone", renchérit Marilia. De son côté, Philippe ne prévoit pas de rentrer tout de suite à Saint-Martin. "Les docteurs qui me suivaient sont partis et tout est détruit, je ne vois pas ce que je pourrais faire", avoue le quadra aux bras tatoués, une main sur son téléphone, une autre sur sa canne. Et puis, il y a les blessures invisibles. Philippe reconnaît pudiquement, les yeux embués, qu’il a besoin de décompresser. "Je vais d’abord prendre un rendez-vous avec un psychologue", concède-t-il.

Au contraire, sa mère Marilia n’a qu’une hâte : rejoindre son île. "Il faut que je reparte, m’occuper de mon personnel, faire les papiers, et dès que les travaux sont terminés, je veux rouvrir toute seule en attendant le retour des clients", détaille-t-elle. Il lui presse de remettre en état sa terrasse, "la plus belle de Grand-Case", fleurie de bougainvilliers. Elle pourra aussi prendre le relais de David et veiller à son tour sur leurs biens. Depuis la métropole, Sylvie a, elle, lancé une cagnotte. Une façon d'aider ceux qui en ont le plus besoin, à distance.

"On a tout laissé derrière nous"

Des résidents de Saint-Martin dans les gravats à Marigot sur l'île de Saint-Martin dévasté par l'ouragan Irma, le 9 septembre 2017. (LIONEL CHAMOISEAU / AFP)

C’était un rituel. Chaque jour, Rose, du haut de ses 10 mois, aimait saluer "son palmier", le fameux Hector filmé par une webcam durant le passage d'Irma. L’arbre était planté juste en face du deux-pièces de ses parents, Charlotte et Benoît, sur le port de Gustavia à Saint-Barthélemy. Mais Hector n’est déjà plus qu’un lointain souvenir pour la famille. Elle nous reçoit dans un café d'Arcueil (Val-de-Marne), le 22 septembre. La famille a atterri la veille à Roissy, environ trois semaines après avoir subi trois ouragans successifs. Les mines sont fatiguées, les joues creusées, mais Benoît et Charlotte sont soulagés d’être en vie. "C’était horrible, on pensait vraiment qu’on allait mourir", lance la jeune femme.

Le 6 septembre, alors qu'Irma se rapproche des côtes, l'informaticien de 32 ans et l'infirmière de 28 ans, installés depuis six mois à Saint-Barthélemy, trouve d'abord refuge dans l’école de Gustavia. Mais l'établissement est au bord de l'eau et sa porte semble bien fragile. Ils finissent donc par gagner un bunker situé au centre de l’île, où sont stockés les serveurs informatiques de la collectivité. Benoît passe la nuit à regarder avec effroi la violence des vents, les yeux rivés sur les écrans des caméras de surveillance.

Les 22 heures de confinement, sans eau, ni toilettes, paraissent une éternité. Dès la fin de l’alerte violette, Benoît et Charlotte se remettent au travail. L'infirmière part immédiatement au chevet de ses patients. "On se demandait si on allait trouver des morts sous les décombres", se souvient-elle. Benoît doit aider à rétablir les connexions internet de l’île. "Au début, je voulais partir tout de suite, reconnaît-il. Mais professionnellement, on avait des obligations alors on n'a pas compté nos heures." Suit une semaine de travail acharné avec parfois une seule boîte de sardines à se partager. "On n’avait pas assez anticipé pour la nourriture, heureusement que j’allaitais encore Rose", confie Charlotte. Ils ont perdu 5 kg. "On était des zombies, les gens commençaient à être violents. Je récupérais des couches sous le manteau", décrit Charlotte entre deux cuillères de petit pot à Rose qui fait la grimace. "Elle a mangé tellement de petits pots froids, je crois qu’elle en a marre", sourit la jeune mère.

L'abri dans lequel se sont réfugiés Charlotte et Benoît pendant l'ouragan Irma à Saint-Barthélémy, le 6 septembre 2017. (DR)

Plus les jours passent, plus les conditions d’hygiène deviennent précaires. "Rose commençait à avoir des plaques rouges sur le corps", rapporte Benoît. La famille décide finalement de rejoindre la Guadeloupe, où elle doit alors faire face à Maria, le troisième ouragan à toucher les Antilles. "On était très fatigués psychologiquement, on s'engueulait. Moi, je n'arrêtais pas de pleurer, j’avais l’impression que le sort s’acharnait", se remémore Charlotte. Le couple se débrouillera seul et paiera son voyage pour rentrer en région parisienne, chez les parents de Benoît.

Le retour en avion est particulièrement éprouvant, compte tenu du traumatisme. "On est des grands voyageurs, mais je n’avais qu’une peur : que l’avion s’abîme dans l’Atlantique", confie Charlotte. Et l’angoisse est tenace. "Chaque nuit, je m’endors avec les images de l’eau qui monte et des palmiers qui volent ", évoque-t-elle. Quand la famille est arrivée à Roissy, elle s’est aussitôt rendue à la cellule psychologique pour évacuer le stress. Depuis, ils gèrent cela seuls. "Pour Rose, il faut tenir et garder le sourire",  répète Charlotte. Reste la colère face au sentiment d’abandon : "Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas eu d’avions ‘Irma’ pour rapatrier tout le monde." Heureusement, Charlotte et Benoît ont pu compter sur la générosité d’amis et de connaissances qui leur ont donné "un lit parapluie, des habits, une gigoteuse pour Rose" à leur arrivée. "Sinon, il aurait fallu tout racheter", relève Charlotte.

Charlotte, Benoît et Rose dans un café à Arcueil (Val-de-Marne) à leur retour en métrople, le 22 septembre 2017. (CAROLE BELINGARD / FRANCEINFO)

Le couple compte maintenant rester quelques semaines en Normandie, où ils ont de la famille, le temps de se retourner. "On a tout laissé derrière nous. C’est comme un deuil", assure la jeune femme. Et son compagnon de renchérir : "En gros, tout ce que l’on avait de précieux a été endommagé." A Saint-Barthélemy, une des vitres de l’appartement a cédé. La voiture qu’ils avaient fait venir par cargo a été abîmée. Le couple, qui estime ses pertes à 20 000 euros minimum, espère maintenant que les promesses seront tenues et qu’ils pourront être rapidement indemnisés. Il n’a de toute façon pas le choix : "Il va falloir qu’on retrouve un travail rapidement. Et puis un logement...", confie Benoît. Lui et sa femme s'interrogent sur leur avenir, hésitent à rester en France ou repartir de zéro en Suisse ou au Canada.

Finalement, pourquoi pas tout recommencer ailleurs ?

Benoît

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