RECIT. Ouragan Irma : "C'est comme si l'île était passée dans une machine à laver"
Après le passage de l'ouragan Irma, les îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont désormais des territoires dévastés, où le bilan humain est encore très incertain, où les communications passent toujours difficilement et où les risques de crises sanitaire et sécuritaire menacent. Franceinfo raconte, grâce aux témoignages d'habitants, le déroulé de cette catastrophe d'une violence qui marquera à jamais les esprits des locaux.
"Ça sert à rien, ça va casser"
Exceptionnellement, la boulangerie La Sucrière fermera plus tôt, ce mardi 5 septembre. Dès la mi-journée. Pas question de prendre de risque : l'ouragan Irma doit s'abattre sur les Antilles françaises dans quatre ou cinq heures. Derrière son comptoir, à Saint-Martin, Lise décrit "des clients un peu stressés", "venus faire des stocks de pain pour trois, quatre ou cinq jours". Elle a vendu "plus de 900 baguettes", "c'est moitié plus que d'habitude". D'ailleurs, elle entend que ça commence déjà à souffler dehors.
Je voulais mettre des bouts de scotch autour de mes ouvertures chez moi. Un ami m'a dit que ça ne sert à rien, que ça va casser.
Cette nuit, elle dormira chez une amie qui a réussi à barricader ses portes et ses fenêtres avec des planches. Mais elle n'est "pas très confiante". Comment trouver le sommeil quand un cyclone de catégorie 5 s'apprête à vous passer au-dessus de la tête ? "C'est juste impossible", raconte à franceinfo Cyril Marty, qui habite sur l'île voisine de Saint-Barthélemy. "Le vent tape tellement fort contre les murs. 250, peut-être 300 km/h... On est restés en famille et on a attendu, ça claquait, ça tirait... C'est comme si l'île était passée dans une machine à laver."
"Tout est détruit"
Après une nuit d'épouvante, le mercredi matin finit par arriver. Irma distribue ses derniers coups de vent, avant de filer droit vers les territoires américains. Depuis sa fenêtre, Cyril Marty constate les dégâts. "Beaucoup d'habitations se sont écroulées, explique-t-il. A tous les coins de rue, il y a des arbres arrachés, des voitures ont été emportées." La sienne s'est d'ailleurs fait la belle. "Mais ça va, je suis vivant. J'ai mes bras, mes jambes, c'est l'essentiel." Il dit qu'il a de la "chance" parce son logement est encore debout.
Le toit a tenu. Comment ? Je n'en ai aucune idée... Je ne sais pas pourquoi, moi, j'ai été épargné.
Parce qu'à un pâté de maisons, c'est "l'apocalypse". Triste carte postale. "C'est dur, très dur. Ça fait mal de voir ça", lâche celui qui a posé ses valises à "Saint-Barth'" il y a huit ans. "On a tous des souvenirs d'ici. Des fêtes, des anniversaires, et là..." Il ne le sait pas encore, mais chez les voisins de Saint-Martin, les dégâts sont bien pires.
La ministre des Outre-mer est sur place. Ses premiers mots sont terribles. Annick Girardin évoque "un paysage où tout est détruit". Le président de la collectivité, Daniel Gibbs, parle d'un territoire "ravagé ou très abîmé" à "80%". En quelques minutes, toute une vie qui s'envole, toute une île qui s'effondre comme un château de cartes.
L'angoisse, aussi, à 7 000 kilomètres de là. En métropole, les proches des habitants de Saint-Barthélémy et Saint-Martin s'inquiètent de ne pas avoir de nouvelles. Téléphone fixe, portable, internet... Rien ne passe. L'électricité est coupée. Depuis Paris, Alizée tente par tous les moyens de joindre sa maman et ses amis qui résident sur l'île de Saint-Barthélemy. "J'ai tout essayé : les messages Facebook, les SMS..." En vain. Les heures passent. Et puis, soudain, une sonnerie retentit. La connexion est rétablie pour quelques minutes. Juste le temps pour sa mère de lui dire qu'"ils sont terrifiés par la violence du phénomène".
Ma maman me dit qu'elle voit un cimetière devant elle.
Sur Facebook, la page intitulée Cyclone St Barth infos et solidarité recense les appels à l'aide des personnes sans nouvelle de leurs proches. L'attente est parfois longue pour les 6 000 membres de la communauté. Mais il y a aussi des moments de soulagement, comme lorsque Mimo annonce que sa fille Charlotte est "saine et sauve".
"Des jeunes avec des machettes nous regardent méchamment"
La France décide rapidement d'envoyer en urgence des secouristes et des militaires sur place. Ils arrivent par centaines, et ils ne sont pas de trop. "La plus grande urgence, ce sont les questions de la santé, de l'arrivée de l'eau et de nos capacités alimentaires", explique la ministre des Outre-mer, Annick Girardin.
Jérôme Giron acquiesce. Ce commandant de pompiers, qui est déjà intervenu en Haïti après le séisme de 2010, en Algérie lors du séisme de 2003 ou encore au Mexique pour les inondations en 2007, sait que l'eau est une priorité absolue. "Il faut bien comprendre que tout est cassé sur place, les canalisations ont été arrachées", décrit celui qui est aussi responsable de l'ONG Pompiers humanitaires français. "Il faut absolument éviter que les populations, en pleine détresse, se servent dans des puits où l'eau est souillée par les gravats, la terre ou toutes sortes de produits ménagers qui se sont répandus."
Il y a des risques d'épidémie importants, notamment de choléra... Bref, il faut tout faire pour éviter la crise sanitaire.
Les pompiers passent de maison en maison. "On cherche, on fouille, on vérifie... Pour être le plus efficace possible, on se répartit les zones avec les autres équipes de secours sur place." Les gendarmes ne sont jamais très loin. Eux aussi patrouillent dans les rues de Saint-Martin pour sécuriser les lieux. Car dans certains quartiers de l'île, les vols à l'intérieur des maisons ou des magasins sinistrés ont commencé. Annick Girardin en a elle-même été témoin. "Des pillages ont été réalisés juste devant mes yeux", admet la ministre face aux caméras.
Nathalie aussi les a croisés, ces "jeunes avec des machettes, qui nous regardent méchamment…" Cette habitante de Saint-Martin, originaire du Limousin, a "peur". "Ce qu'on a vécu dans la nuit de mardi à mercredi était très traumatisant, mais, hier, ce qui m'a le plus choquée et le plus désolée, ce sont les pillages, les bagarres pour une télé, pour un ventilateur... J'hésite à sortir, parce que je me dis qu'on ne sait pas ce qui peut leur passer par la tête. (...) Oui, je crains pour ma sécurité."
"S'il faut donner un coup de main, je suis prêt"
Heureusement, comme souvent après pareille catastrophe, la solidarité se met aussi en place. "Ça a commencé dès la première heure, explique Cyril Marty, dès que l'ouragan a quitté Saint-Barth." Avec des amis, il est allé taper aux portes des maisons pour voir si tout allait bien ou si quelqu'un avait besoin d'aide. "Je suis allé aider une maman et sa fillette. Elles étaient coincées à l'intérieur de leur maison, dans une chambre, explique-t-il. En fait, elles avaient fermé le rideau électrique pour se protéger. Sauf que le courant est maintenant coupé, donc c'était impossible de sortir. J'ai donc défoncé le rideau électrique. Elles allaient bien, elles avaient de quoi boire et manger."
J'ai aussi croisé des gens qui ont marché une demi-journée pour aller aux nouvelles de leurs parents. Y aller à pied, c'était la seule solution.
Trois jours après, les secours n'ont toujours pas accès à tous les quartiers. "Il y a nécessité de nettoyer les routes. Des hommes avec des tronçonneuses et des moyens ont donc fait en sorte qu'on puisse circuler à nouveau à Saint-Martin", explique Annick Girardin. Même s'il est encore trop tôt pour sortir la calculette, le coût des dégâts provoqués par l'ouragan sera très important. Il devrait être "bien supérieur" à 200 millions d'euros, selon le patron de la Caisse centrale de réassurance (CCR), spécialisé dans les catastrophes naturelles en France.
Cyril Marty a déjà fait une croix sur la saison touristique qui allait bientôt démarrer dans les Antilles françaises. "L'essentiel est ailleurs : il faut d'abord soigner les blessés, puis tout reconstruire. D'ailleurs, s'il faut donner un coup de main, je suis prêt, même si ce n'est pas mon métier." Physiquement, il est épuisé. "Cela fait quarante-huit heures que je n'ai pas dormi, lâche-t-il, la voix cassée. Et tous les habitants de Saint-Barth et de Saint-Martin sont dans le même cas. On n'oubliera jamais." Depuis qu'Irma est entré dans leur rue et dans leur vie, ce 6 septembre 2017, "plus rien ne sera comme avant".