Pollution : au pied du Mont-Blanc, la vallée de l'Arve est au bord de l'asphyxie
Cette vallée de Haute-Savoie, entre Annemasse et Chamonix, est soumise à une pollution chronique. Un pic est en cours, mercredi, après un dépassement du niveau d'alerte pendant une dizaine de jours au début du mois.
"La montagne, ça vous gagne." Un slogan publicitaire efficace pour inciter à se ressourcer au grand air. Lorsqu’on arrive à la gare de Saint-Gervais-les-Bains-Le Fayet, au cœur de la vallée de l’Arve (Haute-Savoie), l’image est fidèle à la carte postale. Le ciel est d’un bleu franc, les sommets sont enneigés et les chalets coquets. Tout y est. Enfin presque. Il y a aussi cette légère brume que l’on distingue à peine. Un signe de l’hiver ? Pas vraiment, plutôt un nuage de pollution. "C’est la vallée la plus polluée de France", se désole Simon Métral, président de l’Association pour le respect du site du Mont-Blanc (ARSMB). Un constat encore vérifié mardi 20 et mercredi 21 janvier puisqu'un nouvel épisode de pollution est en cours.
Deux semaines auparavant, entre le 31 décembre et le 9 janvier, la vallée de l’Arve, située au pied du Mont-Blanc, a déjà connu un épisode de "pollution majeur". En 2013, les normes autorisées, notamment pour les particules fines (50 microgrammes par mètre cube), ont été dépassées 58 jours dans l’année. Or la limite en France est de 35 jours par an.
Des pics de pollution plus fréquents qu'en Ile-de-France
Anne Lassman-Trappier a une vue imprenable sur les montagnes. Mais ce jeudi 8 janvier, elle n’admire pas le paysage enneigé depuis son bureau situé sur la commune des Houches, en haute vallée de l’Arve. La présidente de l’association Environn’Mont Blanc a les yeux rivés sur son ordinateur et les derniers relevés de la qualité de l’air mis en ligne quotidiennement par Air Rhône-Alpes. Le constat est édifiant. La vallée de l’Arve se distingue sur la carte par une zone rouge foncé, symbole de ce pic de pollution qui empoisonne le secteur depuis neuf jours consécutifs. Les particules dépassent les 50 µg/m3, un taux qui, s'il persiste pendant au moins deux jours, déclenche le niveau d'alerte.
Mais les particules ne sont pas les seuls polluants de la vallée. Le dioxyde d’azote et le benzopyrène sont régulièrement au-dessus des normes. Les pics de pollution sont ici plus récurrents et plus graves qu’en région parisienne et la pollution de fond y est aussi plus élevée tout le reste de l’année.
Les polluants piégés dans la vallée
Que se passe-t-il dans ce coin de Haute-Savoie ? La réponse est en partie à chercher du côté des parois abruptes qui font la fierté de la région. En hiver, des phénomènes météorologiques spécifiques à la montagne empêchent la circulation de l’air. Les polluants sont alors piégés au fond des vallées, provoquant d’importantes concentrations de pollution. En clair, "quand il fait beau, l’air réchauffé par le soleil en altitude forme un couvercle invisible, figeant l’air plus froid au fond des vallées", explique l'association Environn'Mont Blanc.
L'urbanisation est aussi en cause. Le département a gagné plus de 53 000 habitants depuis cinq ans. Le chauffage individuel est pointé du doigt. Autres sources de pollution : l'industrie et le transport routier. "Les routes sont saturées, observe Simon Métral. A Annemasse, à Cluses, les embouteillages sont quotidiens et les élus ne cessent d’investir dans de nouvelles voies, des sortes de petits périphériques. Sans compter l’augmentation constante des infrastructures dans les stations de ski." A cela s’ajoute un trafic de poids lourds conséquent : 600 000 camions empruntent chaque année le tunnel du Mont-Blanc.
Chaque année, 60 décès prématurés liés à la pollution
"Pollution atmosphérique en vallée de l’Arve, un problème de santé publique", peut-on lire sur cette affiche accrochée dans la salle d’attente du cabinet médical de Cécile Buvry. Médecin généraliste à Passy, commune située à une dizaine de kilomètres des Houches, elle n’a de cesse, depuis plusieurs années, d’alerter la population et les pouvoirs publics des dangers de cette pollution persistante.
"Dans la vallée, pour 100 000 habitants, on évalue à 60 par an le nombre de décès prématurés à cause de la pollution et à 70 le nombre d'hospitalisations supplémentaires, nous indique-t-elle entre deux consultations. Les pathologies chroniques, les risques accrus d’infarctus, d’accidents cardiovasculaires, les cancers du poumon, les problèmes d’asthme, tous ces effets sur la santé sont connus aujourd’hui."
Selon les résultats d’une étude publiée par l'Institut national de veille sanitaire (INVS) le 6 janvier, les particules fines ont "des effets à court terme sur la mortalité même à des concentrations conformes à la réglementation de l’Union européenne et proches des valeurs guides de l’OMS".
"Des jeunes couples s’interrogent" sur le fait de partir
"Mes patients s’inquiètent, posent de nombreuses questions sur la pollution. Beaucoup se plaignent de symptômes irritatifs des yeux, de la gorge. Un père m’a récemment envoyé un e-mail pour s’excuser de ne pas avoir cru plus tôt à nos alertes. Aujourd’hui, son fils est malade à cause de la pollution. Je rencontre des jeunes couples avec des enfants en bas âge qui s’interrogent sur le fait de rester dans la vallée", témoigne Cécile Buvry.
La médecin de Passy est à l’origine d’une lettre adressée à François Hollande, en janvier 2014, et signée par 84 médecins urgentistes, généralistes et cardiologues. Le but : attirer l’attention du gouvernement sur l’exposition chronique des habitants de la vallée à cette pollution et réclamer des moyens d’action. Ce courrier appuie le combat mené par des associations locales depuis des années. "En 2005, quand on a alerté sur le sujet, les élus étaient dans le déni, nous accusaient de vouloir tuer le tourisme, se souvient Simon Métral. Aujourd’hui, plus personne ne remet en cause le diagnostic."
Le rail laissé de côté au profit des poids lourds
Mais les actes sont encore timides. "Nos décisionnaires ont quinze ans de retard, se désole Cécile Buvry. Un plan de protection de l’atmosphère (PPA) n'a été élaboré qu'en 2010 et les premières mesures n'ont été mises en place qu’au bout de deux ans. Et encore, beaucoup d’idées ont été abandonnées."
Malgré des mesures prises pour limiter la vitesse sur les routes et favoriser des chauffages performants pour les particuliers, Anne Lassman-Trappier pointe des renoncements. "Le plan s’engageait à reporter le transport routier de marchandises sur le rail, mais les lobbys sont passés par là et le discours a changé. Il existe une ligne de fret alpine entre la France et l’Italie, mais elle n’est toujours pas opérationnelle." Pour la présidente de l'association Environn'Mont Blanc, le manque de volonté politique est évident. "Après la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc en 1998, il y a eu des promesses pour ne plus y faire circuler de poids lourds. Mais depuis, le fret ferroviaire décline. On a fait le choix du tout-route et du tout-poids lourds."
"Nous sommes des Bonnets blancs"
Le 6 décembre dernier, l’association ARSMB a mené une action coup de poing. Ses membres ont bloqué l’accès au tunnel du Mont-Blanc. "Par opposition aux Bonnets rouges, nous nous sommes baptisés les Bonnets blancs. Nous ne sommes ni incendiaires, ni violents, assure le président de l’association, Simon Métral. Au contraire des manifestants bretons, eux réclament la mise en place d'une mesure visant les pollueurs. "Nous réclamons l’instauration d’une pollu-taxe, comme en Suisse. Là-bas, depuis vingt ans, les poids lourds paient une redevance en fonction du tonnage et de la pollution émise. Avec cet argent, les autorités investissent dans le ferroviaire."
"L’écotaxe, ce n’était qu’un premier pas pour rétablir l’équilibre entre la route et le rail, renchérit Anne Lassman-Trappier. L’avenir doit passer par les transports en commun, aussi bien pour les marchandises que pour les particuliers. Or, actuellement, l’offre de transport ferroviaire dans notre région n’est pas adaptée."
Pendant ce temps, la pollution laisse aussi ses stigmates sur les paysages alpins. "Chaque année, devant nos yeux, on voit le glacier des Bossons diminuer. En dix ans, la langue glaciaire a perdu en intensité et en hauteur, c’est dramatique. Ceux qui ne voient pas la pollution aujourd’hui, c’est qu’ils ne le veulent pas."
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