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Entre bagarres et projet de ZAD, le futur surf park d'une petite ville de Loire-Atlantique fait des vagues

La tranquillité des rues de Saint-Père-en-Retz a été perturbée ces derniers mois par un projet de parc de loisirs permettant de faire du surf sur une vague artificielle. Ce dernier divise autant les habitants de la commune que les militants écologistes.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Des militants écologistes et des habitants favorables au projet de surf park s'invectivent, samedi 27 juillet, à Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique). (MAXPPP)

"Le contexte est pourri, c'est devenu impossible." Laurent*, un habitant de Saint-Père-en-Retz, n'ose plus sortir de chez lui depuis plusieurs jours. Opposé au surf park qui doit voir le jour dans sa commune, ce retraité vit très mal la guerre menée entre "pro" et "anti". "On ne peut plus dialoguer. On est confrontés à des murs et les murs deviennent violents", souffle-t-il. Cette petite ville de Loire-Atlantique d'environ 4 500 habitants vit depuis plusieurs jours au rythme des tensions créées par un projet de parc destiné à la pratique du surf sur une vague artificielle. "Une vague parfaite, disponible tous les jours, sur demande, quelle que soit la météo", promet ainsi la brochure.

Image d'illustration utilisée sur le site édité par les promoteurs de la société Nouvelle vague pour présenter le projet de surf park. (SOCIETE NOUVELLE VAGUE)

La publicité alléchante pour les amateurs de glisse s'est vite attiré les foudres des écologistes qui dénoncent un projet "énergivore" et "inutile". Regroupée derrière le slogan "Zap la vague", l'opposition s'est organisée depuis près d'un an. Le 20 juillet, la situation a dérapé lorsque des militants ont tenté d'installer une ZAD (Zone à défendre) sur le futur terrain du surf park situé au nord de la commune. Ce jour-là, autour de l'exploitant de ce pâturage, une poignée d'agriculteurs lance une expédition pour déloger les opposants. "On a vu arriver trois gros tracteurs avec du lisier, on a alors tenté de les bloquer pour protéger notre matériel puisque les gendarmes ne sont pas intervenus", raconte Yoann Morice, jeune agriculteur bio de 30 ans, en première ligne de la contestation au sein du collectif Terres communes.

Cela ressemblait à une mêlée de rugby, la bagarre a duré cinq minutes sous le regard des gendarmes.

Yoann Morice, du collectif Terres communes

à franceinfo

L'altercation violente fait plusieurs blessés, dont l'exploitant du terrain. Les gendarmes interviennent pour séparer tout le monde. Depuis, chaque camp se rejette la faute, s'invective sur les réseaux sociaux et envisage des poursuites judiciaires. Le collectif d'agriculteurs explique ne pas vouloir de ZAD à Saint-Père-en-Retz et rappelle que la prairie est encore exploitée en attendant les travaux. Les militants écologistes répondent qu'ils se battent pour "l'intérêt commun, pour empêcher la destruction du vivant", selon les mots de Yoann Morice. Un dialogue de sourds qui a entraîné de nouvelles invectives une semaine plus tard, samedi 27 juillet, sur la place de la mairie.

Quel est donc ce projet de surf park qui provoque tant d'hostilité ? Le concept est presque unique en France (il y a déjà un parc en Vendée, à 1h15 de Saint-Père-en-Retz) et plusieurs projets sont à l'étude sur le modèle des structures existantes aux Etats-Unis et au pays de Galles. "Comme tout ce qui est nouveau, cela fait peur", estime l'un des promoteurs, qui préfère taire son nom compte tenu du contexte.

"A la base, le surf, c'est une prière"

Avec des tarifs allant de 25 euros pour les débutants à 45 euros pour les surfeurs confirmés, il espère attirer entre 75 000 et 100 000 visiteurs par an pour rentabiliser ce projet à 15 millions d'euros. Il a "l'objectif de démocratiser le surf, tout en pensant au haut niveau", avec, dans un coin de sa tête, l'arrivée du surf comme discipline olympique et la perspective des Jeux olympiques 2024 en France.

Grâce à la technologie d'American Wave Machines, l'entrepreneur assure qu'il sera en mesure de proposer des vagues allant jusqu'à deux mètres pour un temps de surf de plus de vingt secondes. "C'est une vraie vague qui déferle et ça se rapproche beaucoup de l'océan", estime l'entrepreneur qui se prévaut du soutien de la Fédération française du surf (FFS). Pour les opposants, c'est un non sens. "Je ne vois pas les surfeurs, qui aiment le contact avec l'élément, aller dans une infrastructure à dix minutes de l'océan. Ce n'est pas possible. A la base, le surf, c'est une prière", s'exclame une zadiste.

"Ce projet est absurde. On veut poser un truc qui ne sert à rien sur des terres qui pourraient nourrir des gens", peste encore cette jeune femme. Mais c'est surtout le gaspillage de l'eau qui inquiète le plus les militants écologistes, alors que la région souffre actuellement de la sécheresse et que la préfecture a pris des arrêtés pour limiter la consommation d'eau.

Le surf park va pomper l'eau de la Loire, alors que les agriculteurs ne vont bientôt plus pouvoir arroser leurs terres. On continue sur un modèle de croissance qu'on ne peut plus soutenir.

Milie, sympathisante de Terres communes

à franceinfo

"Des calculs ont été faits par les associations et surfer une heure dans un surf park, cela correspond à trois semaines de consommation d'eau et trois jours d'électricité dans un foyer moyen", avance Yoann Morice.

L'agriculteur Yoann Morice discute avec une amie dans sa ferme bio, mardi 30 juillet 2019, à Chauvé (Loire-Atlantique). (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

Le président de la société Nouvelle vague assure de son côté qu'il met tout en œuvre pour diminuer l'impact environnemental de son projet. "On ne peut pas nier qu'il y aura un impact sur la consommation d'énergie, mais on veut compenser avec des panneaux photovoltaïques et on est en train de voir comment faire pour récupérer l'eau de pluie." 

On tente de faire rimer économie et écologie.

Le président de la société Nouvelle vague

à franceinfo

Selon lui, l'installation nécessitera 11 000 m3 d'eau pour remplir les bassins la première fois et entre 13 000 et 17 000 m3 d'eau chaque année pour compenser l'évaporation, "soit l'équivalent de la consommation annuelle d'une piscine municipale".

Une belle opportunité économique

Le promoteur nantais a commencé à réfléchir au projet dès 2014 avec l'ancien maire de Saint-Père-en-Retz, Joseph Guilloux, mort en 2017 en cours de mandat. "Tout a commencé dans ce bureau", sourit le porteur du projet, assis dans le bureau du maire, à la gauche du nouvel édile, Jean-Pierre Audelin (sans étiquette). Le soutien indéfectible du maire et de ses adjoints provoque les critiques acerbes des opposants, qui dénoncent un mélange entre intérêts privés et publics. Terres communes appelle même à la démission du maire, accusé d'entretenir "un climat de haine et de violence".

"On a respecté toutes les règles, on a fait voter le nouveau PLU [plan local d'urbanisme] et on vient nous reprocher d'avoir fait ça en catimini ?", peste de son côté le maire, qui préfère insister sur l'intérêt économique du projet en termes d'attractivité pour son territoire. Il prévoit une réunion publique en fin d'année avec le promoteur pour tenter de rassurer sur la future installation.

On cherche à sortir notre commune du marasme. Je ne veux pas qu'on s'endorme, c'est une commune qui doit vivre, se dynamiser.

Jean-Pierre Audelin, maire de Saint-Père-en-Retz

à franceinfo

Baignées de soleil, les rues de Saint-Père-en-Retz sont particulièrement calmes en cette fin juillet. Au bar-tabac Le Pérezien, en face de l'église, les habitants regrettent la désertification du centre-ville et la fermeture progressive des petits commerces. "Tous nos jeunes partent, c'est devenu un dortoir ici", s'agace Cécile, la fleuriste du village qui voit également dans le surf park une opportunité économique. Le débat s'engage entre habitants. "Moi, le truc des vagues, j'en vois pas l'intérêt. Ça ramènera beaucoup trop de monde, alors qu'il y a la mer à dix kilomètres", rétorque Anabelle, la laisse de son chien dans un main et son café dans l'autre. "J'ai lu le fascicule et j'ai trouvé le projet bien ficelé, intervient Frédéric, un trentenaire tatoué à la carrure impressionnante. Je ne suis pas un surfeur de base, mais j'irai essayer."

Si les zadistes veulent bloquer, qu'ils aillent bloquer les grands groupes qui polluent avant de s'attaquer à des petits projets. 

Frédéric, habitant de Saint-Père-en-Retz

à franceinfo

Les habitants se rejoignent sur un point : ils ne veulent pas d'une nouvelle ZAD à une cinquantaine de kilomètres du projet d'aéroport avorté de Notre-Dame-des-Landes. "Le débat doit s'arrêter aux habitants de Saint-Père. Moi, je n'ai pas envie d'une ZAD ici. On veut rester tranquilles", tempête Frédéric. "Ils sont allés chercher des zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Ceux-là, ils sont obtus, il n'y a pas moyen de parler avec eux", ajoute Cécile. "Et puis, s'ils veulent aller au bout de leur logique, il faudrait qu'ils arrêtent leurs téléphones, leurs véhicules… "

Les zadistes opposés au projet de surf park à Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique) se sont installés provisoirement sur un terrain à Chauvé, mardi 30 juillet 2019. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

"On ne prétend pas être irréprochables, mais on essaye de tendre vers une transition, un changement de modèle", répond calmement un zadiste qui se fait appeler Tintin. Ce jeune homme d'une vingtaine d'années au visage enfantin a développé sa conscience verte sur les terres de Notre-Dame-des-Landes et se balade depuis 2012 avec son camion "de zone à défendre en zone à défendre". Depuis le week-end du 20 juillet, après s'être fait déloger du terrain de Saint-Père-en-Retz, il s'est installé avec une vingtaine d'activistes dans un champ à quelques kilomètres de là, sur la commune de Chauvé. 

Les zadistes opposés au projet de surf park se sont installés sur un terrain à Chauvé (Loire-Atlantique), le 2 août 2019. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

Quelques tentes dans la forêt et un coin cuisine fabriqué en appui d'une caravane : pour l'instant, les installations sont rudimentaires. "On a envie de créer une avant-ZAD, avec quelques structures pour faire venir les gens et, quand on sera assez nombreux, on pourra à nouveau occuper le terrain", explique une militante, une cigarette roulée à la main.

"Des gens contre le surf park, mais contre nous aussi"

Elle est consciente du chemin qu'il reste à parcourir pour se faire accepter de la population. "On doit aller faire des câlins aux habitants, jouer aux bisounours, parce qu'il y a des gens qui sont contre le surf park, mais qui sont contre nous aussi", concède la jeune femme. 

Aujourd'hui, les zadistes en France, ce sont les nouveaux Roms, les nouveaux immigrés… Bref, ce sont les nouveaux boucs émissaires.

Tintin, zadiste

à franceinfo

Pour se différencier et ne pas effrayer les riverains, les opposants de Terres communes ont parlé au début de ZAP (pour Zone à protéger), "mais ça reste une forme de ZAD", concède Yoann Morice. L'arrivée des zadistes a effectivement refroidi certains écologistes plus modérés, comme l'association Pays de Retz environnement, qui a décidé de prendre ses distances avec Terres communes. "Même à Notre-Dame-des-Landes, on n'a jamais occupé un terrain quand il y avait encore un bail et un exploitant, regrette Maïthé Mousse, à l'origine de cette organisation créée pour s'opposer au surf park. Pour la population locale, c'est rédhibitoire, et cela a accentué les oppositions." Pays de Retz environnement, qui reste résolument opposé au surf park, se bat désormais avant tout sur le terrain juridique pour contester le projet. 

Mais du côté de Terres communes, on estime que le temps est compté avec un permis de construire prévu pour l'automne et un lancement des travaux espéré en 2020 par le promoteur, pour une ouverture en 2022. "On est radicaux, au sens où on souhaite prendre le problème à la racine, car il y a une urgence", explique Yoann Morice, qui annonce des actions tous les samedis pour continuer à sensibiliser. "On va tracter, lancer des concerts de soutien, mener des guérillas potagères... Et on prévoit un gros événement à l'automne à Saint-Père", annonce le jeune agriculteur. "Car au moment où l'humanité a déjà épuisé toutes ses ressources en juillet [le jour du dépassement est intervenu le 29 juillet], ce n'est quand même pas possible d'avoir des idées pareilles."

* Le prénom a été modifié.

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