IL ETAIT UNE VOIX. "Il règne un petit air de fin du monde" : les deux tempêtes de 1999 racontées par ceux qui les ont vécues
Il y a vingt ans, au soir du 25 décembre 1999, chacun se couche, repu après le repas des fêtes de Noël. Et l'on est loin d'imaginer l'ampleur des deux tempêtes qui vont s'abattre tour à tour sur les pays d'Europe. A 48 heures d'intervalles, Lothar et Martin frappent près de 60% du territoire français. Pendant ces intempéries, 92 personnes – 88 lors des deux tempêtes, mais également quatre autres à cause du mauvais temps le jour de Noël – sont mortes. Les dégâts matériels sont également colossaux. À l'occasion du 20e anniversaire des tempêtes de 1999, franceinfo a recueilli les témoignages de différents acteurs et témoins de l'époque. Laissons-leur le soin de vous narrer ces jours amers lors desquels presque toute la France a été dévastée.
Dimanche 26 décembre : "Le vent hurle"
A 2 heures du matin, les premières bourrasques de vent, à plus de 160 km/h, réveillent les habitants des côtes bretonnes. Malgré les prévisions météorologiques annonçant des rafales pouvant atteindre jusqu'à 150 km/h, personne ne s'attend à une tempête d'une telle intensité. Arbres, lignes électriques, toitures… Sur un couloir de 150 km de large reliant l'Ouest à l'Est, Lothar ravage tout sur son passage, avant de quitter la France par l'Alsace, en fin de matinée.
Dominique Escale, prévisionniste à Météo France à Paris : Vingt-quatre heures avant le début de la tempête, nous prévoyons de forts vents sur la partie nord de la France, pouvant atteindre 150 km/h sur les côtes et 130 km/h dans les terres. Ça va être une grosse tempête. Nous envoyons des bulletins aux centres interrégionaux de protection civile et aux centres des opérations de secours. Nos prévisions météorologiques sont relayées à la télévision et à la radio pour alerter la population.
Robert Turpin, géomètre dans l'Orne, l'un des premiers départements touchés : Je passe Noël avec mes enfants et mon petit-fils. Dans la nuit du 25 au 26 décembre, nous allons nous coucher comme à l'habitude. Dehors, le vent souffle fort. Sur le moment, on ne s'inquiète pas car nous avons été prévenus par des alertes météo. Au fil des heures, les rafales s'intensifient. En Normandie, on a l'habitude du vent. Mais là, il n'y a pas d'accalmie. Ça s'intensifie. On s'inquiète. Rapidement, nous sommes dépassés par les événements.
Gilles Brémond, dans les Yvelines : Il est aux alentours de 2 heures du matin quand je suis brutalement réveillé. J'aperçois des éclairs derrière les volets de la fenêtre de la chambre. Je lance à ma femme : "Tiens il y a de l'orage, c'est bizarre !" J'ouvre les volets, et surprise : ce n'est pas du tout un orage. Dehors, les lignes électriques haute-tension tombent une à une à quelques mètres de mon petit pavillon. Chaque chute entraîne un puissant faisceau de lumière. Les rafales s'intensifient d'heure en heure. Le vent hurle, ça claque dans tous les sens. Je descends les escaliers quatre à quatre et j'ouvre la porte qui donne sur le jardin. Mon poulailler s'envole avec les poules à l'intérieur.
Eglantine Geslin, en Mayenne : Vers 3 heures, un appel d'air ouvre brusquement la porte de ma chambre. Ma sœur de 23 ans me rejoint et nous nous réfugions dans la chambre de nos parents. On a tous très peur. A l'extérieur, tout s'envole : les branches, les tôles...
Dominique Escale, prévisionniste à Météo France : Je pars de chez moi à 6h30 pour prendre mon service une demi-heure plus tard. Dans les rues de la capitale, ça vole dans tous les sens. Je me réfugie dans une cabine téléphonique pour prévenir un collègue de mon retard. Je lui lance : "C'est l'apocalypse !" "Ne prends pas de risque, reste à l'abri", me répond-il.
Christophe Loiseau, dans un avion entre New York et Paris avec sa famille : Je n'ai jamais vu un vol aussi rapide dans ma carrière d'ingénieur aéronautique. Après un décollage le soir de Noël, nous approchons de Paris le lendemain matin, avec presque deux heures d'avance ! Tout le monde dort encore. L'avion entame sa descente. Soudain, c'est la panique. On est violemment secoués. J'ai rarement connu de telles turbulences, pourtant j'ai pris l'avion des milliers de fois. Ça crie dans tous les sens. Les cafés s'envolent. Les passagers qui n'ont pas mis leurs ceintures percutent les coffres à bagages. Personne ne sait ce qu'il se passe. A 7h30 du matin, l'avion réussit à atterrir in extremis à l'aéroport Charles-de-Gaulle, avant la fermeture du tarmac. Les pompiers secourent les quelques blessés.
Daniel Glazman, ingénieur EDF à Paris, où le vent souffle jusqu'à 169 km/h : Ma femme, notre enfant et moi sommes réveillés par la force du bruit, vers 7 heures du matin. Derrière la fenêtre du salon, on assiste à un spectacle dantesque. Le vent emporte tout sur son passage. Un panneau publicitaire de 4 m par 3 s'envole et fauche quelques pigeons qui cherchaient à s'abriter. On est sidérés.
Marie-Laure Mandin, derrière la fenêtre de sa maison près de Poitiers : Je constate les dégâts au petit matin. Et parmi eux, ma 4L adorée est pliée dans toute la longueur. Couic ! Ecrasée par des sapins bleus d'une dizaine de mètres. Ç'en est fini de ma première voiture.
Robert Turpin, géomètre dans l'Orne : Ma grange est tombée comme un château de cartes. Mes arbres ont tenu bon, sauf mon pommier à cidre. Mes voisins ont plus de chance. Ils n'ont aucun dégât.
Cette tempête, ça ressemble davantage à une tornade qui balaye précisément un endroit et laisse le reste autour intact.
Philippe Chassaing, à 9 heures, en Haute-Marne : Les peupliers s'effondrent sur des bâtiments près de la maison familiale dans un bruit d'enfer. Affolé, mon père de 70 ans sort dans la tempête. Je lui crie de rentrer se mettre à l'abri. Il ne m'entend pas dans ce vacarme. Il tombe par terre, parmi les arbres qui chutent comme des allumettes. Je cours le rejoindre. La scène est terrible. Son tibia droit est coupé en deux, l'os complètement cassé. Lorsque je le ramène à la maison, ma mère l'engueule : "Qu'est-ce que tu as été faire ? Tu es complètement fou ?!" Les secours n'arrivent que l'après-midi. Mon père souffre, il a besoin d'une opération.
Gilles Brémond, sans chauffage ni électricité dans les Yvelines : Ce lundi matin, après la tempête, le réveil a été glacial. Heureusement qu'il y a la cheminée pour se réchauffer et faire du pain grillé pour le petit-déjeuner...
Stanislas Viellard, à la messe, dans le Territoire de Belfort : Il est 10h30. Le prêtre célèbre la messe dans la petite chapelle de Méziré. Un gros coup de vent nous frappe. La rosace au fond de la chapelle vole en éclats. Il y a du verre partout, comme une colère divine.
Lundi 27 décembre : "C'est l’apocalypse"
Après le passage de Lothar, les habitants de la moitié nord de la France sont sidérés et surpris par la puissance des rafales qui viennent de s'abattre. Beaucoup sont choqués par la quantité d'arbres couchés au sol et les forêts décimées. Au total, près de 7% des surfaces boisées ont été endommagées, estime l'Office national des forêts.
Guillaume Cossenet, assureur dans la Marne : J'arrive à l'agence de Châlons-en-Champagne pour débuter ma journée de travail. Il n'y a plus d'électricité dans le bureau et le standard téléphonique est hors service. Je demande à France Télécom de transférer les appels de l'agence sur mon téléphone portable. Et là, ça n'arrête pas. Je croule sous les appels de mes clients, principalement des professionnels agricoles. Je prends note et j'essaye de hiérarchiser l'importance des dégâts. La plupart concernent des toitures de fermes arrachées. Certains dégâts s'élèvent jusqu'à 100 000 francs [environ 15 000 euros].
Jacques Vuillemin, sur son terrain à Lutzelhouse, dans le Bas-Rhin : Onze sapins de 15 à 20 m de haut n'ont pas résisté à la tempête. Comme si une tondeuse géante était passée dessus... Je débite tout en me disant qu'au moins, je ne manquerai pas de bois. Autour de moi, j'observe les forêts. C'est impressionnant. Des couloirs entiers d'arbres sont décimés alors que d'autres sont restés intacts.
Dominique Escale, prévisionniste à Météo France : Lothar a été une tempête exceptionnelle. Les rafales ont été 20 à 30 km/h supérieures aux prévisions de nos modèles de calcul. Et puis, il y a eu un problème de communication. Quand nous avons annoncé les valeurs des rafales, personne n'imaginait qu'elles pouvaient provoquer de tels dégâts.
Daniel Glazman, ingénieur EDF à Paris : Il y a une mobilisation d'entreprise comme je n'en ai jamais vu de ma vie. Dans toute la France, des centaines de retraités d’EDF viennent en renfort. Des collègues chercheurs sont volontaires pour aller remonter des lignes au bout de la France. Immédiatement, le président d'EDF fait passer une directive à l'intégralité de l'entreprise : on ne traite que les urgences, et uniquement les urgences.
Robert Turpin, géomètre dans l'Orne : Plusieurs de nos engins et de nos conducteurs sont tout de suite réquisitionnés pour déblayer l'autoroute A13.
Marie-Laure Mandin, près de Poitiers : A mon arrivée au parc animalier La Vallée des singes où je travaille, c'est l'apocalypse. Plusieurs chênes centenaires sont tombés. Il n'y a plus d'électricité, ni de chauffage. L'île des gorilles est complètement ravagée. C'est un carnage. Avec les collègues, on a les larmes aux yeux... A chaque fois qu'on ouvre un bâtiment, on a peur de ce qu'on va découvrir. Miraculeusement, tous les singes ont survécu, mêmes les petits tamarins.
Jean-Christophe Maguier, commandant de bord : Le 27 décembre, prendre un avion pour Paris au départ de Marseille relève de l'exploit : trafic totalement désorganisé, vols annulés, manque d'informations, avions avec des équipages partiels... Les voyageurs, pour la plupart coincés depuis des heures dans l'aérogare, sont impatients de décoller. Les centres opérationnels sont débordés de coups de téléphone. Un petit air de fin du monde... Pourtant, on arrive à faire décoller un avion pour la capitale. Il y a beaucoup de turbulences, ça bouge vraiment pas mal. Surtout au-dessus du Massif central.
Lundi 27 décembre : "On va finir à l’hôpital !"
A peine quelques heures après le passage de la tempête Lothar, les vents recommencent à monter sur la Bretagne et la côte ouest. Au fil des heures, la dépression Martin s'abat lentement sur le sud du pays avec une extrême violence. Localement, les rafales atteignent jusqu'à 200 km/h, comme en Charente-Maritime, l'un des départements les plus touchés. La nuit est terrible pour les habitants, dont certains avaient jusque-là été épargnés.
Dominique Escale, prévisionniste à Météo France : Nous anticipons des vents moins puissants que pour Lothar, en moyenne autour de 140 km/h, mais une tempête plus lente et touchant une plus grande surface. Elle va faire plus de dégâts que la première. Cette fois, nous axons clairement notre communication sur les risques potentiels de cette nouvelle dépression.
Eric Legris, pépiniériste en Charente-Maritime : Après la tempête Lothar qui a ravagé le nord du pays, on sait qu'une nouvelle arrive. En début d'après-midi, je renvoie ma salariée chez elle. Le vent est tempétueux, les rafales sont puissantes : entre 150 et 160 km/h... Je finis également par rentrer. Le vent monte en puissance, ça devient dangereux de rester là.
Christophe Gatineau, sur l'exploitation agricole familiale en Charente-Maritime : On sort les chevaux pour ne pas les laisser enfermés dans un bâtiment. Au cas où. Une fois rentrés, on se barricade. A l'extérieur, c'est un avion à réaction. Il y a des vents à au moins 220 km/h ! Ce phénomène est étranger à tout le monde, même à ma grand-mère de 85 ans. Pourtant, avec l'Atlantique, on a l'habitude du vent et des tempêtes... Mais une telle intensité sur un temps aussi long, on n'a jamais vu ça.
Jean-Christophe Maguier, commandant de bord : Arrivé à Paris, il faut désormais amener un avion à Toulouse. Cette fois-ci, moins de chance que pour le Marseille-Paris. Les vents dépassent les 40 nœuds, le vol est annulé à la dernière minute, alors que tous les passagers sont déjà installés !
Chloé Bour, 9 ans à l'époque, sur les routes de Dordogne : Il faut qu'on aille acheter une mobicarte à Périgueux pour recharger en crédit le téléphone portable de mon père. Sur le retour, vers 18h30, on allume la radio et on entend : "Catastrophe. Ne sortez pas de chez vous, la situation est très dangereuse." Je vois bien que mon père panique, mais je ne me rends pas bien compte de ce qu'il se passe. La départementale D6 entre Rouffignac et Saint-Geyrac est complètement bouchée. On roule dans une vieille voiture, une Renault 18 Break, et elle ne tient pas bien la route
Mon père décide de faire demi-tour. Il roule assez vite et prend un petit chemin goudronné et bordé d’arbres. Comme des quilles, ils se sont mis à craquer, puis à tomber un à un devant la voiture. Jusqu'à ce qu’un gros chêne s'abatte à quelques mètres devant nous.
La voiture est montée à pic dessus, on n'a pas eu le temps de freiner suffisamment ! Impossible de faire marche arrière. Dans la foulée, un autre arbre, plus petit, tombe sur le coffre de la voiture et la plie. Ni une ni deux, on sort et on se met à courir. Je répète à mon père : "On va finir à l'hôpital !"
Roland Dubois, à la sortie d'un restaurant dans les Hautes-Pyrénées : Dehors, c'est la nuit noire, il n'y a plus d'électricité nulle part. Juste le bruit du vent qui claque sur la voiture, avec laquelle mes parents et moi essayons de rejoindre la maison de mes grands-parents à Tarbes. Un peu plus loin, un arbre s'est couché sur la route. Je suis impressionné par la réactivité des riverains qui, en pleine nuit, en pleine tempête, ont sorti leurs tronçonneuses pour débiter l'arbre et libérer la route.
Philippe Glandus, responsable d'une agence d'exploitation EDF dans la Haute-Vienne : C'est la catastrophe, les lignes électriques tombent partout. Je suis à l'agence, impuissant. Mes collègues et moi avons pour consigne de ne pas sortir, par mesure de sécurité. Les habitants nous signalent au téléphone des feux ou des éclairs à cause de la chute des lignes. A 22h30, l'agence est plongée dans le noir. J'appelle le poste central à Limoges. C'est le black out complet : il n'y a plus d'électricité sur tout le département de la Haute-Vienne !
Damien Baudillon, 10 ans à l'époque, dans un village isolé de Charente-Maritime : La véranda a été détruite par les tuiles qui se sont envolées. Elle abritait une grande volière avec une vingtaine de perruches. Toutes parties. La porte donnant du salon à la véranda n'a pas non plus résisté au vent et mes parents ont dû la barricader avec des meubles. Avec mon frère, pour se changer les idées, on se met à construire un bateau avec les Lego reçus à Noël. On se calfeutre près de la cheminée, car c'est la seule source de chaleur, de lumière et l'endroit le plus sûr de la maison. Enfin... Jusqu'à ce qu'une brique tombe dans le conduit et manque de peu nos têtes. Notre jeu, lui, a eu moins de chance.
Julia Payen, 13 ans à l'époque, dans le bassin d'Arcachon : Au beau milieu de la nuit, une explosion réveille tout le monde en sursaut. Les pins penchent dangereusement. J'ai la trouille. Quand on descend dans le salon, il n'y a plus de lumière, mais on voit qu'un arbre a éventré la maison de ma voisine pendant son sommeil. Il est tombé pile au-dessus de sa chambre et elle a vraiment survécu de justesse. En état de choc, elle est venue se réfugier chez nous.
Mardi 28 décembre : "Il ne reste plus rien"
Au lendemain du passage des deux tempêtes, le paysage français est méconnaissable. Après la peur, l'heure est au constat. Lothar et Martin ont fait 88 morts. Quant aux dégâts, la Fédération française de l'assurance évalue le coût total des dommages à 6,9 milliards d'euros. Près de 3,5 millions foyers sont privés d'électricité. Pour rétablir le courant au plus vite, EDF dépêche des agents français et européens vers les zones les plus sinistrées.
François Girgio, expert en assurance dans un cabinet à Paris : J'arrive à l'aéroport Charles-de-Gaulle à 3 heures du matin, d'un vol Air France au départ de Nice qui a eu plusieurs heures de retard. C'est en prenant la route pour le Val-d'Oise que je constate les dégâts laissés par les tempêtes. Je prends une douche et me rends compte de l'ampleur de ce qu'il vient de se passer. Je décide de partir directement au bureau. A 6 heures, je suis sur le pied de guerre. Mon patron, déjà sur place, me lance : "François, on va avoir du travail !" Le bruit du fax est devenu incessant.
Chloé Bour, sur les routes de Dordogne : Après avoir abandonné notre voiture ensevelie sous les arbres, mon père et moi avons couru un kilomètre pour rejoindre la départementale D6. Là-bas, on a finalement trouvé une voiture dans laquelle se réfugier. Il est désormais 7 heures du matin, on est mardi, et ça fait presque douze heures qu'on attend dans cette voiture, loin d'être bercés par le bruit sourd du vent qui manque à chaque rafale de nous faire envoler. Les pompiers n'ont pas pu dégager la route avant, car, au milieu de la nuit, leur camion a pris feu à cause de lignes à moyenne tension tombées dessus.
Eric Legris, pépiniériste de Charente-Maritime : Il ne reste plus rien debout des 1 200 m2 de l'entreprise : les serres sont couchées, les arbres pliés, il n'y a plus de courant, mon bureau a disparu...
Grégoire Schwartz, 8 ans à l'époque, chez sa grand-mère en Dordogne : Plus d'électricité dans la maison. Heureusement, ma grand-mère a une cuisinière à bois. Et ça tombe bien, il faut manger toute la nourriture stockée dans le congélateur à l'arrêt avant qu'elle ne périsse. Des cèpes, du foie gras, du gibier... Ça va être repas de fête pendant plusieurs jours, à la lueur des bougies.
Philippe Glandus, responsable d'une agence d'exploitation EDF en Haute-Vienne : Les 18 000 foyers alimentés par mon agence sont sans électricité. Il n'y a plus de réseau haute-tension. Une galère monstre commence. J'appelle mon chef à Limoges : "Il y a trop de travail ici. On n'est qu'une dizaine d'agents. Il va nous falloir du renfort." Je réussis à récupérer un groupe électrogène pour l'agence, et j'en fais profiter aux habitants du quartier, à la gendarmerie et à la boulangerie.
Christophe Gatineau, sur l'exploitation agricole familiale en Charente-Maritime : C'est la première fois que je vois mon père pleurer. Dans le village, les paysans affichent la même peine, le même désespoir. Tous nos paysages ont été balayés en un coup de vent. Mêmes les arbres centenaires n'ont pas résisté... Miraculeusement, la voiture de mes parents, garée dans un coin de la ferme, n'a pas une seule égratignure. L'océan, lui, a recouvert les marais. J'ai même vu un bateau de pêche traverser l'autoroute entre Rochefort et La Rochelle.
Claudine Bandin, chez ses parents en Haute-Vienne : Dans un premier temps, il a fallu aller à la pêche aux bougies et aux lampes. Parce qu'au milieu de l'hiver, il fait noir une bonne partie de la journée. Pour aider, les prêtres mettent même à disposition des cierges que chacun peut prendre. Avec mon père, on fait la tournée des églises ! Sur la route, c'est l'apocalypse... Quand vous passez à certains endroits pendant des années et que tout est par terre, vous ne reconnaissez pas où vous êtes, où vous étiez hier. Vous n'êtes plus chez vous nulle part, en fait.
Dominique Escale, prévisionniste à Météo France à Paris : Après le passage des tempêtes, c'est le moment du bilan. On prend conscience que la France métropolitaine peut être touchée par des événements exceptionnels. On se pensait à l'abri de tout ça. Il va falloir améliorer nos prévisions, pour mieux anticiper et prévenir de manière plus efficace la population.
Privés d'électricité, près d'un million de Français passent à l'an 2000 à la bougie. Dans certaines zones isolées, le courant n'est rétabli que près d'un mois plus tard. Pendant plusieurs années, les paysages français ont porté les stigmates de ces tempêtes. En 2001, Méteo France réforme son système d'alerte, au profit d'un code couleur (vert, jaune, orange et rouge), plus clair pour prévenir la population d'un potentiel risque. Au service météorologique comme dans la mémoire des sinistrés, Lothar et Martin demeurent "les tempêtes du siècle".