A Raqqa, fief des djihadistes, des jeunes résistent à Daech
Sur la toile, il se fait appeler Abbou Adraqqa. Il a accepté de nous parler, c'est risqué, il le sait, mais il veut témoigner. De toute façon, nous dit-il, il n'a rien d'autre à faire depuis que l'organisation Etat Islamique a fermé la fac où il étudiait. Alors, caché dans un appartement, quelque part à Raqqa, dans cette ville où les djihadistes font régner la terreur, il raconte comment chaque jour il descend dans la rue pour filmer ou photographier les exécutions publiques, alors que Daech (l'un des acronymes en arabe de l'Etat Islamique) a formellement interdit de le faire.
Ses photos, il les poste ensuite sur le compte Facebook du groupe, suivi par près de 30.000 abonnés. "A tout moment, s'ils découvrent qui je suis, ils peuvent m'arrêter. Et je serai le prochain sur la liste à être exécuté, comme ils ont tué un de mes amis. Ce que je fais quand je vais dans la rue, c'est que j'envoie un de mes amis vérifier s'il n'y a pas un combattant de l'Etat Islamique. Après ça, je prends des photos et des vidéos, pas plus de trois minutes", explique Abbou Adraqqa.
La propagande et les exécutions au quotidien
Au départ, ils étaient dix-sept, ces résistants de Raqqa, quand il ont commencé en mars dernier. L'un d'entre eux a été assassiné par les djihadistes, ils ont découvert des photos sur son portable. Motaz Billah venait d'avoir 20 ans. Après ça, quatre autres ont dû fuir le pays. C'est ce qui est arrivé à Abbou Ibrahim Al Raqqaoui, 22 ans, étudiant en médecine. Il y a deux semaines, il a dû quitter Raqqa du jour au lendemain, les combattants de l'Etat Islamique l'avaient repéré. Abbou Ibrahim, c'est lui qui a réussi à filmer une vidéo où on voit les djihadistes assassiner plus de 250 soldats du régime de Bachar al-Assad.
Aujourd'hui, il se cache hors de la Syrie. De là où il est, il continue d'aider ses amis sur la toile. "Vous savez, l'Etat Islamique utilise Facebook, Twitter. Ils essaient d'attirer des combattants ici avec leur propagande, et nous on combat ça, tout ce qu'ils disent, tout ce qu'ils font comme couper la tête des gens, les exécuter en public, les crucifier. Plein de choses terribles", explique le jeune homme.
Un peu comme un remake moderne de Radio Londres, ces résistants révèlent aussi où se trouvent les camps d'entraînement des djihadistes et les quartiers généraux. Ils ont aussi fourni des informations sur l'endroit où ils pensaient que James Foley, le journaliste américain décapité, se trouvait.
Beaucoup d'étrangères dans les brigades féminines
A travers les témoignages de ces jeunes de Raqqa, on découvre aussi ce que c'est que de vivre au quotidien sous le régime islamique. Ce que nous disent nos deux témoins, c'est que sous Bachar al-Assad la vie était déjà très dure, mais depuis l'arrivée des islamistes, c'est encore pire : fermeture des universités, interdiction de fumer dans la rue, obligation d'aller prier, peine de mort pour ceux qui boivent de l'alcool. Les femmes doivent porter la burqa, elles n'ont plus le droit de se déplacer toutes seules. On avait vu ça sur la toile, il y a quelques semaines. Une femme avait filmé avec une caméra cachée les rues de la ville. Sur la vidéo, une brigade de djihadistes l'interpelle pour lui demander de remettre correctement son voile.
Ces femmes, elles, seraient surveillées par d'autres femmes, celle de la brigade Al Khansa, dont la plupart sont des femmes occidentales, affirme au bout du fil notre témoin qui vit toujours à Raqqa." Les brigades d'Al Khansa, elles, vérifient dans la rue si les femmes mettent correctement leur voile et agissent comme il faut. La plupart sont des femmes des combattants djihadistes, il y a beaucoup d'étrangères, elles ne sont pas syriennes, elles viennent d'Europe, d'Asie, du Canada, d'Amérique, de Somalie, de Suisse, de France, d'Allemagne. Quand je marche dans la rue j'entends et je ne comprends pas ce qu'elles disent", explique Abbou Adraqqaa.
Frappes de la coalition... une intervention à double tranchant
Depuis quelques semaines, les frappes de la coalition menées par les Américains compliquent aussi la vie des habitants de Raqqa. Ces frappes, Abbou Adraqqaa et Abbou Ibrahim les attendaient tous les deux depuis au moins trois ans. Seulement, depuis que la coalition a voulu détruire les raffineries, sources de financement des djihadistes, la ville est plongée dans le noir dès que la nuit tombe, car il n'y a plus d'électricité. Les civils sont effrayés, ils ne sortent que quelques heures pour aller chercher à manger, sinon ils restent terrés chez eux.
Abbou Ibrahim, qui vient de fuir la ville, raconte : "Tout le monde dépend de ces raffineries de pétrole. C omme il n'y a pas d'électricité, on utilise des générateurs pour faire marcher les fours des boulangeries. Après les frappes, le prix du pain a doublé. Moi je suis en colère, ça fait quatre ans qu'on attend une intervention. Ils ont laissé les djihadistes s'installer, ils n'ont rien fait. Pourquoi ? " … Aujourd'hui, il craint surtout que les frappes ne permettent au régime de Bachar al-Assad de revenir. "Entre la peste et le cholera ", nous dit-il, difficile de choisir.
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