Cet article date de plus de trois ans.

Afghanistan : "Les talibans ne pourront pas se maintenir éternellement au pouvoir", estime un géopolitologue

"On aurait pu planifier bien plus en avance l'évacuation des ressortissants américains et de tous ceux qui ont travaillé pour les États-Unis", juge sur franceinfo le géopolitologue Pascal Boniface.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Des soldats américains montent la garde derrière des barbelés alors que des Afghans sont assis au bord d'une route à l'aéroport de Kaboul, le 20 août 2021. (WAKIL KOHSAR / AFP)

"Les talibans ne pourront pas se maintenir éternellement au pouvoir" en Afghanistan, estime samedi 21 août sur franceinfo le géopolitologue Pascal Boniface, fondateur et directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). "La répression sera facile à mettre en place, mais ce n'est pas comme ça qu'on gère un pays, juge-t-il. Ce pays va souffrir. Les talibans peuvent quand même durer quelques temps et c'est bien sûr la population afghane et surtout les femmes qui vont en faire les frais." Pascal Boniface pense toutefois "qu'il n'y avait pas d'autre issue" que l'arrivée des talibans au pouvoir et que la guerre "aurait pu continuer sans fin", mais que les conditions du retrait des troupes américaines et d'évacuation de ceux qui ont travaillé pour les Occidentaux auraient dû être anticipées.

franceinfo : Quelle est la responsabilité du président américain qui est très critiqué sur la situation en Afghanistan ?

Pascal Boniface : C'est une responsabilité partagée entre Joe Biden et le Pentagone. Je pense que la décision d'évacuer l'Afghanistan est assez soutenue aux États-Unis, il y avait d'ailleurs un accord bipartisan entre lui et Trump pour mettre fin aux guerres, mais il n'y a pas eu d'anticipation sur les conditions de cette sortie. On aurait pu planifier bien plus en avance l'évacuation des ressortissants américains et de tous ceux qui ont travaillé pour les États-Unis. Ça n'a pas été fait, de même que la victoire rapide des talibans n'a pas été anticipée, d'où ces images de chaos. Je crois donc qu'il faut distinguer la décision stratégique de mettre fin à la guerre en Afghanistan, parce qu'il n'y avait pas tellement d'autre issue et qu'elle aurait pu continuer sans fin, de ces conditions d'exécution qui sont chaotiques. Finalement, c'est le Pentagone qui n'a jamais réellement accepté de devoir quitter l'Afghanistan. Obama voulait déjà partir lorsque Biden était vice-président et le Pentagone s'y était opposé.

Que peut-on attendre du gouvernement dit "inclusif" qui doit être établi par les talibans ?

Les faits parlent d'eux-mêmes. Il y a des Hazaras qui ont été tués, des femmes qui sont empêchées de se déplacer, il y a une volonté de ne pas permettre à ceux qui veulent partir de pouvoir le faire librement. On voit bien que derrière un discours modéré et policé, les talibans sont restés les mêmes. Le système répressif se met en place petit à petit. Ce qui a changé, c'est qu'il y a quand même beaucoup plus de femmes qui sont allées à l'université, qui veulent se faire entendre et que la société a bien changé depuis 20 ans. On peut dire que les difficultés vont commencer désormais pour les talibans, qui doivent assumer le pouvoir.

"La répression sera facile à mettre en place, mais ce n'est pas comme ça qu'on gère un pays. Ce pays va souffrir. Il est dépendant de l'aide internationale."

Pascal Boniface, géopolitologue

à franceinfo

Les talibans ne pourront donc pas se maintenir éternellement au pouvoir, mais ils peuvent quand même durer quelques temps et c'est bien sûr la population afghane et surtout les femmes qui vont en faire les frais.

Quelle sera l'influence de la France alors qu'Emmanuel Macron veut peser diplomatiquement et faire en sorte que nous soyons à la hauteur des enjeux vis-à-vis des réfugiés ?

Oui, effectivement, nous ne devons pas perdre la face, pas perdre l'honneur et permettre à tous ceux qui ont travaillé pour la France d'y trouver refuge. Sauf que pour le moment, il n'y a eu que quatre avions. On s'en félicite, mais il est difficile de parler d'un pont aérien entre Kaboul, les Emirats, et la France. Il ne faut pas se faire trop d'illusions sur notre poids par rapport à cela. Nous avions quitté l'Afghanistan en 2014, ce qui était d'ailleurs une décision qui apparaît encore plus pertinente aujourd'hui. Certes, la France est un membre important de l'Otan et a des capacités militaires, mais honnêtement, ce sont l'ensemble des pays occidentaux qui sont impuissants par rapport à ce qui se passe aujourd'hui en Afghanistan.

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.