60 ans des accords d'Evian : tous les pieds-noirs n'ont pas quitté l'Algérie en 1962
Sur un million de Français vivant en Algérie, 200 000 sont restés après l'indépendance, selon l'historien Pierre Daum.
Contrairement au sentiment généralement admis, les pieds-noirs n'ont pas tous quitté l'Algérie aux premiers mois de l'indépendance, entre mars et août 1962. Ils étaient encore 200 000 en 1963, 80 000 en 1965, 50 000 en 1972, selon l'historienne Hélène Bracco. Et un grand nombre a encore rejoint la France pendant la décennie noire (1992-2002).
Alors qu'à l'été 1962, le rapatriement massif des Français s’organise, certains d'entre eux choisissent de ne pas quitter l'Algérie. Si ces rapatriements – souvent avec une simple valise pour Marseille –, dans la peur des assassinats du FLN (Front de libération nationale) et de L'OAS (Organisation de l'armée secrète), furent une réalité incontestable, ce ne fut pas la seule affirment plusieurs historiens.
200 000 Français sont restés en Algérie
Dans les mois qui ont suivi les accords d'Evian signés le 18 mars 1962, 20% des 1,09 million de pieds-noirs de l'ancien département français vont rester malgré les violences. Un recensement effectué en 1963 par le ministère de l'Intérieur en compte alors 200 000. Si certains étaient des militants de l'indépendance, communistes ou proches du FLN, le plus grand nombre s'était tenu à distance des combattants algériens et des partisans de l'Algérie française. Malgré les menaces – "la valise ou le cercueil" –, ils ne voulaient simplement pas quitter un pays ou leur famille vivait depuis plusieurs générations.
Les accords d'Evian prévoyaient la possibilité pour les pieds-noirs de rester en Algérie. Selon le texte de l’accord, les Européens restés en Algérie devaient décider soit de rester français soit de demander la nationalité algérienne dans un délai de trois ans. Ahmed Ben Bella, premier président de la République algérienne, les appelle un temps à rester : "Vous êtes des Algériens, nous aurons besoin de vous." Mais l'état-major de l'ALN (Armée de libération nationale) n’est pas du même avis et préfère les voir partir "en raison de leur accointance avec l'OAS".
Malgré les attentats aveugles et les violences, 200 000 personnes sont restées en Algérie, dont 25 000 juifs. Même à Oran, marquée par les attentats et les enlèvements dans les deux camps, près de 3 000 juifs seraient restés dans la ville après 1962, selon Prosper Levy, un des derniers juif d'Oran en 2010.
"Ni valise, ni cercueil"
Si plusieurs grandes villes algériennes étaient en proie aux combats du FLN et de l’OAS, "il n'y a pas eu de violences sur l'ensemble du territoire. Dans certaines campagnes et villages, musulmans, catholiques et juifs ont continué à vivre paisiblement même durant les années 1961 et 1962", précise l’historien Pierre Daum dans son livre Ni valise, ni cercueil.
Cette population d'origine européenne restée en Algérie après 1962 s'est depuis peu à peu éteinte : beaucoup sont morts, certains sont partis déçus par la révolution algérienne, d’autres ont rejoint leurs enfants rentrés en France (où il se sont mariés) pour faire leurs études, les derniers ont quitté l’Algérie durant la guerre civile des années 1990.
Il n’en resterait aujourd’hui que quelques centaines, ou plutôt leurs enfants voire leurs petits-enfants. C'est le cas de la famille Grangaud. Durant les années 1961-1962, ce médecin a tissé des liens avec des militants du FLN auxquels il fournissait des médicaments et du sang, selon son épouse. Après avoir adopté la nationalité algérienne dans les années 70, Jean-Paul Grangaud est devenu professeur de médecine et a participé à l'édification du système pédiatrique algérien. Cet artisan du calendrier de vaccination pour les enfants s'est éteint en août 2020 à l'âge de 82 ans. Trois des cinq enfants des Grangaud, comme on les appelle à Alger, portent des prénoms algériens.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.