Guerre d'Algérie : pourquoi la date de commémoration du 19 mars est contestée
Depuis une loi de 2012, le 19 mars est la journée nationale du souvenir des victimes de la guerre d'Algérie. Mais cette date est critiquée par une partie de la classe politique, des rapatriés et des harkis.
Une date douloureuse. La France commémore samedi 19 mars le 60e anniversaire des accords d'Evian et du cessez-le-feu en Algérie. Lors d'une cérémonie organisée à l'Elysée où quelque 200 témoins de la guerre ont été conviés (appelés, combattants indépendantistes, harkis et rapatriés), Emmanuel Macron a déclaré que cette date "ne fut ni le début de la paix, ni la fin de la guerre". Le candidat à sa réélection a ajouté : "Cette date ne peut ni être la seule, ni être reniée, bousculée, oubliée."
Car depuis la loi du 6 décembre 2012, le 19 mars est la "journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc". Mais cette date continue d'être rejetée parmi les harkis et rapatriés et au sein d'une partie de la droite et de l'extrême droite. Explications.
La fin de la guerre, mais pas des violences
Le 18 mars 1962, après huit ans de guerre, la France et les représentants du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) signent les accords d'Evian dans lesquels Paris reconnaît l'indépendance de l'Algérie, l'intégrité de son territoire et de son peuple. La France s'engage à évacuer progressivement ses troupes d'Algérie et à instaurer un cessez-le-feu le lendemain à midi.
Des pieds-noirs, harkis, anciens combattants estiment cependant que ces accords ne marquent pas la fin de la guerre puisque les violences se sont poursuivies jusqu'à l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962. Le 26 mars 1962, par exemple, lors de la fusillade de la rue d'Isly, à Alger, des soldats français ouvrent le feu sur des dizaines de manifestants opposés à l'indépendance de l'Algérie. Le bilan précis de cette tuerie reste inconnu à ce jour. Le 5 juillet 1962, alors que les habitants célèbrent l'indépendance de leur pays, au moins 700 pieds-noirs et Algériens ayant choisi la France sont massacrés en quelques heures à Oran, sous le regard passif de l'armée française. De son côté, l'Organisation de l'armée secrète (OAS), qui refuse le cessez-le-feu, redouble de violence, faisant des dizaines de morts et de blessés dans des attentats et assassinats ciblés.
De nombreux enlèvements et l'exode douloureux de milliers de rapatriés et de supplétifs musulmans ayant combattu auprès de la France ont également lieu après le 19 mars. Entre 55 000 à 75 000 harkis, notamment, ne sont pas autorisés à rejoindre la France et sont victimes de massacres et de représailles en Algérie, rappelle France Culture.
"Pour nous, cette date ne marque pas la fin de la guerre, mais le début du génocide harki avec des milliers de massacres", déplore Hacène Arfi, président de l'association Coordination Harka, auprès 20 Minutes. "La guerre d'Algérie a fait un nombre de victimes triple après sa fin 'officielle' qu'avant !", dénonce dans Le Figaro le général Hervé Longuet, président de l'Union nationale des combattants (UNC).
Contestation à droite et à l'extrême droite
Au sein de la droite et de l'extrême droite, la polémique enfle dès 2012. Dans une tribune publiée dans Le Figaro en 2016, l'ancien chef d'Etat Nicolas Sarkozy estime que "choisir la date du 19 mars (...) c'est considérer qu'il y a désormais un bon et un mauvais côté de l'Histoire et que la France était du mauvais côté." Le maire de Nice, Christian Estrosi (alors LR), refuse de commémorer le 19 mars dans sa ville, date qu'il qualifie de "provocation inqualifiable à l'égard des rapatriés et des harkis". En 2014, le maire de Béziers, Robert Ménard (extrême droite), décide de débaptiser la rue du 19 mars 1962 pour lui donner le nom d'un officier partisan de l'Algérie française.
Dix ans plus tard, les critiques n'ont pas cessé. La candidate LR à la présidentielle, Valérie Pécresse, s'est engagée si elle était élue à trouver "une autre date" que le 19 mars pour commémorer la fin de la guerre d'Algérie, car "80% des victimes civiles sont tombées après les accords d'Evian", a-t-elle affirmé jeudi.
"A l'évidence, le 19 mars ne marque pas la fin du conflit algérien. Quatre-vingts pour cent des victimes civiles sont tombées après les accords d'Evian."
Valérie Pécresselors d'un déplacement à Nîmes
Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national, a également rappelé sur France Inter qu'elle contestait "depuis longtemps" cette date car "il y a eu des dizaines de milliers de harkis qui ont été sauvagement assassinés" après le 19 mars 1962.
"Un affrontement très franco-français"
Pour l'historien Gilles Manceron, ces critiques illustrent un "réveil du projet colonial". "C'est un fait qu'il y a eu encore des victimes après le 19 mars en Algérie et en France. Mais si elles ont existé, c'est en raison du refus de l'OAS de reconnaître l'indépendance et l'application des accords d'Evian", expliquait-il à France 24 en 2016. "Il y a eu après le 8 mai 1945 encore de nombreux Français tués dans le Pacifique, notamment dans des camps japonais. Cela ne nous empêche pas de dire que le 8 mai marque la fin de la Seconde Guerre mondiale", rappelle-t-il.
"C'est un affrontement très franco-français (...) on ne peut pas rester dans des mémoires communautaires", pointe de son côté l'historien Benjamin Stora auprès de L'Indépendant. "On ne peut pas vivre éternellement dans les accusations les uns des autres." Dans son rapport sur les mémoires de la guerre d'Algérie remis à Emmanuel Macron, il préconise de commémorer différentes dates symboliques. Parmi elles, le 19 mars, mais aussi le 25 septembre (hommage aux harkis) ou encore le 17 octobre 1961 (répression de la manifestation des travailleurs algériens en France).
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