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Burkina Faso: Issouf Zoungrana, héraut de la révolution

«Hier, on a balayé un président et aujourd’hui, on balaie les rues», disaient le 31 octobre 2014 les Burkinabè, fiers de l'éviction de Blaise Compaoré et de leur sens des responsabilités. Après le nettoyage citoyen est venue l'heure de la transition. Issouf Zougrana, jeune cadre, militant associatif et député du Conseil national de transition, a bien voulu nous raconter sa révolution.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Après sa rencontre avec le lieutenant-colonel Zida – nommé d'abord président de transition puis, devant les protestations, Premier ministre – Issouf Zoungrana écrivait sur sa page Facebook le 6 novembre 2014 : «Ce fantassin de formation et manager de haut niveau (MBA) entouré d'une équipe dynamique met tout en oeuvre pour un retour rapide de la vie démocratique dans notre pays.»
  (Issouf Zoungrana)
«C'est un modèle pour l'Afrique, pour le monde. Le monde entier a suivi ce qui se passait ici. Nous sommes fiers de ce que nous avons fait, estime le jeune député au Conseil national de transition Issouf Zoungrana. La leçon de ces événements, c'est que ceux qui sont au pouvoir doivent tenir compte de la volonté populaire. ll y a eu les révolutions arabes, et maintenant la révolution burkinabè inspire le reste du continent. Son message a porté et a dépassé les frontières du pays. Au Bénin, au Congo, en RDC, les gens commencent à s'organiser. Au Bénin, Yayi Boni ne devrait pas briguer de mandat supplémentaire. Kabila, au Congo, devrait y renoncer lui aussi.»

Oui mais... la «contagion» ne se fera pas sans mal. Le 15 mars, des activistes du célèbre Balai citoyen, à l'origine du soulèvement, et du mouvement sénégalais Y en a marre étaient réunis à Kinshasa (RDC) à l'invitation de leurs homologues du mouvement Filimbi («sifflet»). Ils ont été interpellés de façon musclée. Ces mouvements citoyens enthousiasment la jeunesse du continent et inquiètent ces chefs d'Etat d'un âge canonique qui veulent se maintenir au pouvoir. D'où cette tentation du «tripatouillage constitutionnel» qui aurait offert à Blaise Compaoré un cinquième mandat après vingt-sept ans de règne.

Un «héros de l'insurrection»
La révolution burkinabè, Issouf Zoungrana, jeune cadre de multinationale représentatif de ces classes moyennes africaines en plein essor, l'a vécue de l'intérieur. Le site leFaso.net a fait de lui l'un de ses «héros de l'insurrection». «Héros» et surtout militant de longue date, depuis ses années d'université quand, excédé par certains comportements étudiants – ventilateurs qu'on laisse tourner et robinets qu'on oublie de fermer , il montait l'Action pour le civisme et la démocratie. Associations et mouvements citoyens, en résistance depuis le début contre la révision de la Constitution, ne sont pas pour rien dans ce soulèvement. 

Le 28 octobre 2014 à Ouagadougou, capitale du Burkina, une manifestation, organisée par l'opposition, rassemble une foule en colère, de la place de la Nation au rond-point des Nations unies via la Cathédrale. Le 30, jour du vote du projet de loi permettant à Compaoré de se représenter, c'est l'insurrection. Des heures intenses qu'Issouf Zoungrana revit en racontant comment il s'est retrouvé «dans les rues de la capitale dès 6 heures du matin, jusqu'à la prise de l'Assemblée nationale (une partie du bâtiment sera incendiée, NDLR). Il est alors 10h30. Comme un signe, un arc-en-ciel s'est montré sur le boulevard Charles-de-Gaulle, se souvient-il. Vers 11 heures, c'est l'annonce du retrait du projet de loi.»

Le 30 octobre 2014 à Ouagadougou, aux abords de l'Assemblée nationale et de la maison de François Compaoré, le «petit frère».  (Issouf Zoungrana)
«A l’entrée de l’université, près de chez Francois Compaoré, le "petit frère", on s'est retrouvés face aux militaires qui protégeaient la villa, poursuit-il. Après deux tirs de sommation en l’air, ils ont baissé leurs kalachnikovs et tiré sur les manifestants. On s'est mis à courir.» Une image enregistrée dans le feu de l'action restera gravée en lui: celle d'un journaliste occidental casqué, courant avec les manifestants (photo de droite), lui inspirant «respect et estime pour cette profession qui risque sa vie pour informer». Le risque est réel : il y aura en tout une vingtaine de morts au cours de ces affrontements.

A la fin de cette journée historique, «à 22 heures le 30 octobre, l'état de siège est déclaré». Chez Issouf, ce qui se déclare, c'est une crise de palu… «Malade, épuisé après cette journée de lutte, j'attends tout de même le dernier journal télévisé : Blaise Compaoré a-t-il compris le message du peuple ? Et là, surprise ! Celui-ci fait une déclaration dans laquelle il se considère toujours comme le chef de l’Etat. Tant pis pour le palu ! A 6 heures, je me mets en route avec la foule pour la place de la Nation puis l’état-major de l’armée. Objectif : mettre la pression en masse sur les militaires. Et les obliger à prendre leurs responsabilités.» Et temporairement, le pouvoir.
 

Le 31, Blaise Compaoré, acculé, finit par démissionner. Le lendemain, dans Ouagadougou dévastée, c'est l'«opération ville propre», à l'appel du Balai citoyen. «Hier, on a balayé un président et aujourd’hui, on balaie les rues», disent les manifestants. Une façon pour Issouf Zougrana, qui participe au nettoyage, de «montrer au monde le sens des responsabilités et le patriotisme du peuple burkinabè».

Au Conseil national de transition
Blaise Compaoré balayé – et après ? «L'Assemblée nationale est tombée, la Constitution est suspendue. La Cedeao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) propose son aide pour organiser une transition "inclusive et consensuelle" qui fasse une place à la société civile. Un Conseil national de la transition (CNT), avec 30 membres des partis politiques, 25 militaires, 25 membres de la société civile, 10 représentants de l'ex-majorité présidentielle, élabore une charte de transition.» Issouf Zoungrana y siège depuis novembre en tant que député, représentant la société civile au pôle «développement économique», heureux de participer à la construction d'un nouveau Burkina.

«Ces tâtonnements sont normaux, assure le jeune député. C'était un défi d'assurer très rapidement la continuité de l'Etat et éviter le chaos. De mettre en place en urgence un organe législatif de transition. Avec un hémicycle mixte, où siègent des gens de la société civile qui n'avaient jamais participé à une législature. Il faut un temps d'école pour que chacun se mette dans le bain. Une législature, c'est cinq ans ; la transition durera en tout douze mois, en attendant les élections.»

A cent jours passés, quel premier bilan de cette transition ? Au chapitre des réalisations : «La feuille de route a été déclinée, la date des élections fixée (11 octobre 2015, NDLR). Des lois que le peuple burkinabé attendait depuis longtemps, sur la continuité des finances, la réconciliation nationale, la prévention et la répression de la corruption, ont été votées. Les dossiers Sankara et Zongo sont en train d'être traités. Les choses vont dans la bonne direction.» Sachant qu'après un règne de presque trente ans, «les attentes de la population sont énormes» – et les déceptions inévitables... 

«Compaoré voulait un mandat de 15 ans, le peuple burkinabé lui a donné 24 heures»
Des élections que le député souhaite voir se dérouler «dans un climat de paix, pour que le pouvoir passe de façon démocratique entre les mains de ceux que le peuple aura choisis».

Issouf Zoungrana a été reçu par le Mogho Naaba Baongho, la plus haute autorité traditionnelle burkinabè. Mogho Naaba, «chef» (naaba) du «monde» (mogho), est le titre porté par les rois du royaume mossi de Ouagadougou, au Burkina Faso. (Facebook Issouf Zoungrana)


Et de lancer un appel à la classe politique – africaine et au-delà. «Toute mission doit avoir un délai. Les hommes politiques doivent intégrer la question de l'alternance, qui oblige à se renouveler et à créer de l'innovation, pour permettre au pays d'avancer. (...) Le pouvoir politique, ce n'est pas une chefferie traditionnelle. Sinon moi, mon chef, ce serait le Mogho Naba (la plus haute autorité traditionnelle au Brukina Faso, NDLR) – à qui je tire mon chapeau pour tout ce qu'il a apporté à la stabilité politique et sociale du pays, et à travers lui, tous les responsables coutumiers et religieux.»

Avant de conclure «Vive le Burkina Faso !», le député souligne que «le peuple burkinabé soutient les organes et les hommes de la transition : le président Michel Kafando ; le Premier ministre Yacouba Isaac Zida ; Sy Chérif, qui préside le CNT».

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