Ce que la fin du franc CFA va changer pour les pays d'Afrique de l'Ouest
Cette monnaie, utilisée notamment dans huit pays d'Afrique de l'Ouest depuis 1945, sera remplacée par l'Eco dès 2020. Objectif : "désamorcer les critiques" selon lesquelles la France continuait de dicter ses décisions via cette monnaie.
Une "réforme historique majeure". Emmanuel Macron a sonné le glas du franc CFA samedi 21 décembre, mettant fin à ce qui est "perçu comme l'un des vestiges de la Françafrique". A Abidjan, le président de la République s'est posé en défenseur d'une relation "décomplexée" de la France avec l'Afrique, appelant à "bâtir une nouvelle page" après le "colonialisme" qui fut "une faute de la République".
Son homologue ivoirien, Alassane Ouattara, a détaillé l'accord conclu entre les huit pays d'Afrique de l'Ouest qu'il représentait (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) et la France. "Le franc CFA a été un outil essentiel", mais "nous devons entreprendre des réformes encore plus ambitieuses afin de consolider notre dynamique de croissance, préserver le pouvoir d'achat de nos populations", a déclaré le président ivoirien. Courant 2020, le franc CFA sera ainsi remplacé par une nouvelle monnaie unique : l'Eco. Franceinfo revient sur cette décision.
Pourquoi la fin du franc CFA constitue-t-elle une décision historique ?
En rompant avec cette monnaie créée en 1945 et baptisée alors "franc des colonies françaises d'Afrique", Emmanuel Macron met fin à un héritage du colonialisme. Devenu "franc de la Communauté financière africaine" après les indépendances des années 1960, le franc CFA restait perçu par beaucoup comme un symbole évident de la mainmise française sur ses anciennes colonies.
"Le franc CFA cristallise de nombreuses critiques sur la France. Je vois votre jeunesse qui nous reproche une relation qu'elle juge post-coloniale. Donc rompons les amarres", a déclaré samedi le chef de l'Etat, à quelques jours du 60e anniversaire de l'indépendance des pays membres de la zone franc. Il a dit "assumer" la nouvelle situation que ces changements créaient pour la France en Afrique de l'Ouest, son ancien pré carré, avec laquelle Paris doit "bâtir une relation nouvelle, à la fois passionnée et décomplexée".
J'ai souhaité engager la France dans une réforme historique et ambitieuse de la coopération entre l'union économique et monétaire ouest africaine et notre pays. Nous le faisons pour la jeunesse africaine. pic.twitter.com/4CwuOzOZSE
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) December 21, 2019
La France est ainsi régulièrement accusée d'assujettir l'Afrique de l'Ouest par le biais du franc CFA. En début d'année, le sujet avait été l'objet de vives tensions entre les gouvernements français et italiens : Matteo Salvini et Luigi di Maio, alors vice-présidents du Conseil, avaient accusé Emmanuel Macron d'empêcher le développement de l'Afrique en maintenant une forme d'hégémonie sur le continent par le biais de cette monnaie.
Comme beaucoup d'économistes africains, le Togolais Kako Nubukpo, doyen de la faculté des sciences économiques de Lomé, a toujours considéré le franc CFA comme une "servitude". "Ce qui enflamme la jeunesse africaine et la diaspora, c'est que les réserves de change soient basées au Trésor français, que les billets CFA soient imprimés en France ou encore que l'acronyme CFA renvoie à la colonisation", pointait-il dans un récent entretien à l'AFP.
Quels sont les pays concernés par cet accord ?
Au total, 155 millions de personnes utilisent le franc CFA comme monnaie, répartis dans quatorze pays (dont douze anciennes colonies françaises). Huit d'entre eux font partie de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) : il s'agit du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d'Ivoire, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo.
Ces huit pays ont décidé de signer l'accord mettant fin au franc CFA. Ils utiliseront donc l'Eco, qui est en réalité le nom choisi pour la future monnaie unique des pays membres de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Quand sera-t-elle lancée ? Difficile à dire. Selon Le Figaro, les pays de la Cedeao ont évoqué l'année 2020 pour le lancement de l'Eco, mais sans donner davantage de précisions sur le calendrier.
Par ailleurs, les six pays d'Afrique centrale utilisant également le franc CFA, qui forment une zone monétaire distincte, ne sont pas concernés par cette réforme : ils continueront donc d'utiliser cette monnaie.
Depuis quand cette réforme est-elle discutée ?
Emmanuel Macron ne s'est pas toujours dit favorable à la fin du franc CFA. Lors de sa visite au Burkina Faso en 2017, et alors que plusieurs manifestations contre la devise avaient lieu au Bénin, au Gabon, en Côte d'Ivoire et au Mali, il s'était dit favorable à son maintien. "C'est une bonne chose pour un aspect, ça donne de la stabilité à ceux qui l'ont", avait-il estimé. Mais depuis, des réunions régulières ont lieu pour "sortir en douceur de la monnaie", précise Le Monde.
D'après le quotidien, les discussions se sont accélérées depuis juin "dans la plus grande confidentialité" entre Emmanuel Macron et Alassane Ouattara, président de l'UEMOA. Les deux hommes ont en effet "convenu qu'il y avait une fenêtre d'opportunité avant l'année électorale en Côte d'Ivoire", indique le quotidien.
Le président ivoirien, l'un des rares défenseurs de la devise, "a dû se plier à la décision souveraine prise par les autres dirigeants de la zone UEMOA", note le Financial Times (article en anglais). Par ailleurs, plusieurs chefs d'Etat africains avaient récemment appelé à une remise en cause profonde de la monnaie, à l'image de Patrice Talon, président du Bénin, qui avait annoncé en novembre que le franc CFA ne serait plus garanti par le Trésor français.
Qu'est-ce que ça change pour les pays concernés ?
En plus du nouveau nom, cette réforme implique deux changements majeurs. D'abord, les banques centrales d'Afrique de l'Ouest ne devront plus déposer la moitié de leurs réserves de change auprès de la Banque de France. Cette obligation était perçue, par les détracteurs du franc CFA, comme une dépendance humiliante vis-à-vis de la France. Les Etats de l'UEMOA avaient jusqu'ici l'obligation de stocker au moins 50% de leurs réserves de change à la Banque de France "en contrepartie d'une garantie de convertibilité avec l'Euro", précise Le Monde.
"Pendant longtemps, 100% des réserves de la zone étaient conservées au Trésor public français. Et même quand on est passé à 65% dans les années 1970, les Banques centrales africaines continuaient de verser quasiment 100% au Trésor public français", explique l'économiste Martial Ze Belinga sur RFI. Pour lui, "les réserves sont l'élément le plus saillant et qui cristallise le plus les attentes".
De plus, et c'est un autre changement important, les représentants français qui siégeaient au sein des instances de la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) vont se retirer. "La France ne nommera plus aucun représentant au conseil d'administration et au comité de politique monétaire de la BCEAO, ni à la commission bancaire de l'UMOA", a expliqué l'Elysée. Il s'agit de "désamorcer les critiques", selon lesquelles la France continuait de dicter ses décisions dans ces instances via ses représentants, selon l'Élysée. La BCEAO "sera libre de placer ses avoirs dans les actifs de son choix", selon la présidence française.
Une chose ne change pas, néanmoins : la nouvelle monnaie sera toujours indexée sur l'euro (1 euro = 655,96 francs CFA) pour éviter les risques d'inflation. Mais ce point pourrait être appelé à évoluer lorsque la monnaie commune ouest-africaine sera en place. Les économistes africains critiquent fortement cet arrimage, qui "pose problème pour les économies de la région, beaucoup moins compétitives" indique Le Point. Celles-ci "ont besoin de donner la priorité à la croissance économique et à l'emploi plutôt que de lutter contre l'inflation". Les Etats concernés devront désormais décider si cet adossement à l'euro est une bonne chose ou pas.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.