Côte d'Ivoire: le président Félix Houphouët-Boigny est toujours l'objet d'un culte, 25 ans après sa mort
Félix Houphouët-Boigny, le premier président de la Côte d'Ivoire mort le 7 décembre 1993, reste aujourd'hui une icône dans son pays. Mais son héritage n'en subit pas moins des critiques.
Ses discours sont cités à toutes les sauces et son nom est devenu un "fonds de commerce politique" pour nombre d'hommes politiques qui se réclament de lui.
Né le 18 octobre 1905, Félix Houphouët-Boigny, surnommé FHB, a conduit son pays, ex-colonie française, à l'indépendance en 1960. Il l'a ensuite dirigé pendant 33 ans, avec comme instrument politique le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI, l'ex-parti unique) qu'il a créé en 1946.
"On va attendre un siècle pour retrouver un homme de son acabit, doté d'un destin hors norme", estime Amara Essy, son ancien ministre des Affaires étrangères (1990-1999). Il souligne que le "sage de l'Afrique" voulait "construire un Etat avec des valeurs et des principes, puis ensuite une nation".
"Ce qui m'a impressionné chez ce monsieur, c'est sa capacité d'analyse des relations internationales, mieux que certains grands dirigeants des pays développés. Il avait prédit que le système communiste n'allait jamais atteindre le centenaire, parce qu'inhumain", explique l'ancien diplomate. Lequel a été secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), puis président par intérim de la commission de l'Union africaine (ex-OUA) entre 2001 et 2003.
Adepte du libéralisme, le "pays d'Houphouët" (un surnom de la Côte d'Ivoire) a connu une croissance vertigineuse dans les deux décennies qui ont suivi son indépendance en 1960. Une croissance portée par le secteur agricole, au point qu'on a parlé de "miracle économique ivoirien".
Citée en exemple pour sa stabilité politique, la Côte d'Ivoire s'est hissée au rang de première puissance économique d'Afrique francophone, devenant le premier producteur mondial de cacao avec 40% du marché.
L'héritage raté du "Vieux"
Fort de cette embellie économique, FHB a transformé son village natal de Yamoussoukro, à l'orée de la forêt et de la savane dans le centre du pays, en une ville moderne. Il y a fait bâtir la basilique Notre-Dame de la Paix, quasi-réplique de Saint-Pierre de Rome, consacrée le 10 septembre 1990 par le pape Jean Paul II.
Mais avec la crise économique, tout a changé. Les recettes d'exportation se sont effondrées. En 1992, un an avant sa mort, la dette totale du pays atteignait 20 milliards de dollars, deux fois le PIB. "Le Vieux" accuse alors la "spéculation internationale". Il dénonce aussi la corruption.
"Il a développé le potentiel agricole de la Côte d'Ivoire, mais sans réussir à faire franchir le cap de la transformation" des matières premières, critique l'économiste ivoirien Yves Ouya.
"Le libéralisme d'Houphouët-Boigny est une légende urbaine, il a été dirigiste. Le pays disposait de nombreuses sociétés d'État dont la plupart ont été privatisées trois ans avant sa mort, après de mauvaises gestions", selon le politologue Jean Alabro.
Violences, instabilité
"Houphouët-Boigny a raté la transition politique vers le multipartisme", déplore de son côté l'observateur politique ivoirien Roger Manet.
M. Manet accuse celui que le général de Gaulle cite dans ses mémoires comme un "cerveau politique de premier ordre" (FHB fut ministre de la IVe république française et a participé à la rédaction de la Constitution de la Ve république), de n'avoir pas laissé éclore le multipartisme dans son pays. "Ce processus s'est imposé à lui en 1990".
"Depuis sa mort, le 7 décembre 1993, la Côte d'Ivoire a vu se succéder tout ce que son régime lui avait épargné : violences politiques, rivalités ethniques, tentatives de coup d'Etat, instabilité", relève l'observateur, très amer.
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