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Josza Anjembe: «J’ai découvert la fiction comme si je découvrais une planète»
Un premier court et une nomination aux César 2018. Avec «Le Bleu blanc rouge de mes cheveux», une réflexion capillaire sur le fait «d'être noire et française», la scénariste et réalisatrice Josza Anjembe débarque en fanfare dans la grande famille du cinéma français. Entretien.
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Seyna, une adolescente d'origine camerounaise, décroche son baccalauréat. Mais c'est surtout l'âge de la majorité et le temps de faire les démarches pour acquérir sa nationalité française. Au grand dam de son père. Mais ce n'est pas la seule difficulté qu'elle devra surmonter.
Ecrit et réalisé par la cinéaste française Josza Anjembe, qui à l'instar de son héroïne est née de parents camerounais en 1982, «Le Bleu blanc rouge de mes cheveux» est le touchant portrait d'une jeune femme qui doit partir à la conquête de ce qui lui revient pourtant de droit : sa citoyenneté française. La bien nommée Grace Séri livre une délicate partition en interprétant une Seyna à la fois gracieuse et volontaire.
Comment passe-t-on du journalisme à la réalisation?
Ce n’était absolument pas prévu. A la suite d’une rupture sentimentale, j’ai commencé à écrire dans un petit carnet de brèves histoires que j’ai montrées à un ami. Il m’a alors fait remarquer que ce que j’écrivais là, c’était de la fiction. Un mot qui ne m’avait jamais traversé l’esprit. Je m’y suis donc intéressée et fait des formations d’écriture de fiction. L’une de mes formatrices m’a dit qu’il était préférable de commencer par un court et elle avait totalement raison. J’ai ainsi commencé à écrire Le Bleu blanc rouge de mes cheveux.
En tant que journaliste reporter d’images, la caméra et l’univers de l’image vous étaient déjà pourtant familiers. Pourquoi n’avoir jamais imaginé faire de la fiction?
Je pensais plutôt au documentaire. Avec le recul, je me dis que tout cela est assez logique mais à l’époque où je faisais du documentaire ou du news, je n’éprouvais pas le besoin d’écrire. J’ai découvert la fiction comme si je découvrais une planète.
«Le Bleu blanc rouge de mes cheveux» vous a été inspiré par une histoire personnelle. Que vous est-il arrivé exactement?
En tant que journaliste, je voyageais beaucoup et j’avais besoin d’un nouveau passeport pour pouvoir repartir en reportage dans les meilleurs délais. Je suis donc allée faire des photos d’identité à la mairie. Je m'y suis pointée avec mon afro et on m’a dit que j’étais hors cadre. Je suis partie de cet évènement pour construire l’histoire du court métrage. Ma formatrice m’avait d’ailleurs conseillé de m’inspirer de choses qui m’étaient intimes pour écrire. Cet incident du «hors cadre», qui m’avait choqué, est très vite remonté à la surface.
C’est un film qui questionne le fait d’être noir dans la société française. C’est un questionnement que vous avez eu. Quelles sont les réponses que vous avez obtenues et que vous obtenez?
Le questionnement, c’est plutôt être noir ET être français. Ce n’est pas l’un ou l’autre, c'est les deux à la fois. Je ne vais pas parler au nom de la deuxième génération. Mais je voulais dire à travers ce film que nous sommes tous Français.
Du côté français, il y a toujours des velléités de contester notre identité française parce qu’on est Noirs. Quand je dis aux gens que je suis née à Paris, il ne faut pas commencer à me demander de quelle origine je suis... Je suis Française et cela me fatiguait de devoir me justifier à chaque fois. Et du côté camerounais et africain, on dit qu’on n’est pas africain alors que notre carnation en atteste. J’ai toujours essayé de faire comprendre aux gens que je ne suis pas que la France ou que le Cameroun. Je suis un mix des deux. Le personnage du film n’abandonne rien, il affirme tout simplement qu’il est français. Français d’origine... certes, mais français.
Tout cela ne renvoie-t-il pas plutôt à du racisme qu’à un déni de citoyenneté?
Je ne sais pas si c’est du racisme. Je sais juste que dans la rue, à la fac ou lors d’un entretien d’embauche, nombreux sont les regards portés sur toi qui te font penser que tu n’as pas forcément ta place dans la société française, ou du moins que tu dois la justifier. Certains actes sont clairement racistes. Mais parfois, c'est de l’ignorance ou de la bêtise.
De réaliser «Le Bleu blanc rouge de mes cheveux» a-t-il été pour vous un exutoire par rapport à cette question?
Non, parce que la question avait été déjà réglée au moment où j’écrivais le scénario. Je savais où j’en étais: je suis Française et personne ne peut me dire aujourd’hui que je ne le suis pas.
Le film explore la relation entre votre héroïne et son père qui semble ressentir la naturalisation de sa fille comme une atteinte à son identité camerounaise…
J’ai pensé à tous ces parents immigrés - polonais, italiens ou camerounais - qui ont fait des enfants français, car la problématique est la même pour tous. Ils arrivent dans un pays et la vie fait qu’ils y font des enfants. Ce père se dit que sa fille va subir les mêmes humiliations qu’il a subies en arrivant en France, à la différence qu’elle n’est pas immigrée mais française. Lui, il peut rentrer, mais elle ne peut aller nulle part puisqu’elle est déjà chez elle. Un monde sépare cette première génération et leurs enfants. Je voulais évoquer ce conflit générationnel qui existe entre la première et la deuxième génération, et peut-être même la troisième.
Ce court métrage est une belle aventure qui vous conduit aux César. Que ressent-on quand on décroche une présélection, puis une nomination?
Un sentiment mitigé. J’étais très heureuse parce que les César, c’est le Graal quand on parle de cinéma français. Cela veut dire que les acteurs de l'industrie cinématographique française estiment que Le Bleu blanc rouge de mes cheveux fait partie des cinq meilleurs courts métrages qui ont été produits en 2017 en France. En même temps, je n’ai pas fait ce film pour aller aux César.
C’est une œuvre qui a beaucoup voyagé, qui a fait 150 festivals, il a rencontré des publics… Je suis allée dans des écoles, des prisons pour parler de la légitimité d’être ce qu’on est. Le Bleu blanc rouge de mes cheveux est un cri du cœur et tout d’un coup, avec les César, on est projeté dans une compétition. Ce n’était pas le but, et cela je le vis assez mal. C’est étrange de se retrouver dans une telle situation quand on a fait un film juste pour véhiculer un message. La nomination aux César me touche. Néanmoins, l’essentiel réside dans le fait d’avoir, à l’issue d’une projection, rencontré des personnes qui pleurent, vous remercient ou vous disent que le film leur a donné confiance. Cela vous donne le sentiment d’être utile. Ce qui me réjouit le plus, c'est l'idée que ce film ait pu toucher ceux qui l'ont vu.
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