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Lire Monénembo «a désenclavé mon regard sur le monde», dit l’auteur Edem Awumey
Récipiendaire le 22 juin 2017 du Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française, le romancier guinéen Tierno Monénembo fait partie des monuments de la littérature contemporaine. Originaire du Togo, résidant au Canada, l’écrivain Edem Awumey l'a lu dès son plus jeune âge. Grand prix littéraire d’Afrique noire, il lui a aussi consacré une thèse en 2006. Pour Géopolis, il évoque Monénembo.
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Comment décririez-vous le style d’écriture de Tierno Monénembo?
Qu’il parcoure l’univers des jeunes étudiants guinéens exilés en Côte d’Ivoire ou qu’il aille à Salvador de Bahia au Brésil, c’est une écriture qui colle à l’espace. Son phrasé colle à l’atmosphère, à des odeurs, et sait rendre toute la tension des lieux qu’il explore, avec beaucoup de maîtrise dans sa scénographie.
Dans son dernier roman, Bled, qui se passe en Algérie, il dit l’espace avec une proximité inimitable, qui passe par le vocabulaire. Tout comme lorsqu’on lit Le terroriste noir, quand il donne la parole à une vieille dame des Vosges en pleine Seconde guerre mondiale, c’est un pari risqué qu’il réussit pour rendre toute une époque vivante. En allant à l’essentiel, il sait rendre avec une poésie formidable la couleur et l’identité d’un espace avec ses gens, ses rues…
Comment a-t-il influencé votre œuvre?
J’étais très jeune quand j’ai commencé à lire ses livres. Il m’a influencé dans la mesure où il a désenclavé mon regard sur le monde. C’est venu de façon naturelle. On ne se dit pas qu’on va faire comme lui, mais on a tellement aimé sa vision du monde qu’on y adhère, et quand on écrit, qu’on le veuille ou non, on est inspiré.
Quelles facettes de cet auteur votre thèse explorait-elle?
Ma thèse portait sur l’écriture de l’exil et l’architecture du moi de Monénembo: comment l’exil va refaçonner la carte du moi intérieur. J’ai analysé comment, dans ses romans sur les exilés de tous les univers, il rend compte de la complexité, de la douleur et de l’euphorie dont l’exilé est empreint, et se demande comment se reconstruire quand on est éloigné de sa terre natale. Le moi de l’exil chez Monénembo, c’est un blues profond, il porte une souffrance intérieure et s’enrichit de bien des choses glanées dans cet exil.
Que représente Tierno Monénembo dans la littérature guinéenne et francophone?
Pour toute l’Afrique francophone, c’est un écrivain majeur. Pour moi, cette distinction est à la fois une bonne nouvelle et une bonne surprise, qui récompense un travail très riche. C’est un auteur qui a un regard très aigu sur les questions qui préoccupent l’Afrique colonisée comme postcoloniale. En Guinée, jusqu’au début des années 2000, on comptait trois écrivains majeurs: Tierno Monénembo, Alioum Fantouré et Williams Sassine. Depuis quelques temps, c’est surtout Monénembo qui est resté très présent, surtout sur les questions politiques et sociales. C’est une démarche que j’apprécie, une façon de redescendre dans l’arène pour être au plus près de ces questions-là, à la fois dures et passionnantes.
Quel livre vous a le plus intéressé?
Je pense à Pelourinho: quand Tierno Monénembo écrit ce roman de l’exil, il ne met pas en scène un Africain de Louisiane qui fait son retour en Afrique, mais le contraire: un Africain qui revient chercher ses racines au Brésil, terre d’exil de beaucoup d’entre eux.
Connaissez-vous personnellement Tierno Monénembo?
Je l’ai rencontré quelques fois, notamment à des salons du livre, et c’est quelqu’un de très humble. J’ai été marqué par son humilité et son calme, qui dégagent une certaine sérénité. Lorsque mon roman Les pieds sales a été nominé pour le prix Goncourt en 2009, Tierno m’a envoyé un message de félicitations, et cela m’a énormément touché.
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