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Universités africaines: de l’influence des fondations américaines

Le paysage des donateurs dans le secteur universitaire africain est composé de nombreuses organisations internationales telles que la Banque mondiale, le PNUD, ou des agences gouvernementales. De leur côté, les fondations sont indépendantes, ne subissent pas de pression pour des résultats à court terme, peuvent prendre des risques et ont développé une expertise sur des problèmes spécifiques.
Article rédigé par The Conversation
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Université du Cap. Afrique du Sud : 80 902 000 $
Premier donateur : Fondation Gates

Université Makere. Ouganda : 42 352 000 $
Premier donateur : Fondation Rockefeller

Université de Kwazulu-Natal, Afrique du Sud : 28 742 000 $
Premier donateur : Carnegie Corporation of New York

Université du Ghana, 19 992 000 $
Premier donateur : Fondation Ford

Université d’Ibadan, Nigeria : 14 162 000 $
Premier donateur : Fondation MacArthur

Le paysage des donateurs dans le secteur universitaire africain est composé de nombreuses fondations et agences internationales, de fonds de développement et d’organisations panafricaines. Par rapport aux autres organisations internationales ou agences gouvernementales, telles que la Banque mondiale, l’USAID, la Swedish International Development Cooperation Agency, le British Council, l’International Development Research Centre du Canada, le ministère norvégien des Affaires étrangères, la Danish Agency for International Development, le Programme des Nations unies pour le développement et bien d’autres, les fondations ont plusieurs avantages que d’autres institutions n’ont pas : elles sont indépendantes, ne subissent pas de pression pour des résultats à court terme ; elles peuvent prendre des risques et ont développé une haute expertise sur des problèmes spécifiques.

Est-il possible pour les fondations de générer de la valeur dans le domaine de l’enseignement supérieur en Afrique et d’aider les universités à se transformer tout en améliorant leur condition ? Et comment influencent-elles l’enseignement supérieur africain ?

L’enseignement supérieur, moteur du développement
L’enseignement supérieur est à nouveau reconnu comme un moteur de développement économique notamment sur le continent africain, car les sociétés du savoir exigent de nouvelles compétences, rendant obsolètes les économies basées sur l’industrie manufacturière. Cependant, le contexte dans lequel évoluent les universités africaines accroît leur précarité et les oblige à s’adapter au mieux, comme le montrait déjà William Saint en 1992 dans un rapport pour la Banque mondiale sur la revitalisation du secteur universitaire africain.

Quel est alors le rôle de la philanthropie internationale dans ce contexte ?

Les relations entre les institutions donatrices américaines et leurs bénéficiaires sont, par nature, déséquilibrées ; c’est bien là le grand dilemme de la philanthropie. Cependant, les universités deviennent des acteurs de plus en plus importants sur le marché mondial. Des institutions éducatives fortes peuvent être précieuses pour les pays souhaitant mener leurs entrepreneurs et leurs chercheurs sur la scène internationale, même si ces institutions sont structurées selon les paradigmes occidentaux.

Des initiatives remarquables
Les critiques de la philanthropie montrent parfois l’arrogance des donateurs, leur manque de planification et de conduite éthique ainsi que leur travail corrompu, leur « trop grand » pouvoir ou leur manque de légitimité.

Tandis que ces questions sont soulevées aux États-Unis avec des références aux réformes scolaires, des enjeux similaires pourraient facilement être retrouvés à travers les financements des fondations américaines pour des initiatives éducatives en dehors des États-Unis telles que l’établissement d’écoles de médecine en Chine par la Fondation Rockefeller après la Première Guerre mondiale, les financements de Ford dans les publications interculturelles, après la Deuxième guerre, avec une maison d’édition établie dans cinquante-deux pays, ou le développement de l’enseignement supérieur en Afrique par la Carnegie Corporation pendant la période de décolonisation.

Pourtant, les réussites de ces fondations sont remarquables à la lumière des sommes relativement modestes en jeu (quatre milliards de dollars entre 2003 et 2013) et de leur capacité à lever des fonds de sources extérieures.

Pour une société de la connaissance plurielle
Récemment, plusieurs fondations philanthropiques de renommée internationale telles que la Carnegie Corporation of New York, la fondation Ford, la fondation John D. and Catherine T. MacArthur, la fondation Rockefeller, la fondation William and Flora Hewlett, la fondation Andrew W. Mellon et la fondation Kresge ont défendu l’importance de l’enseignement supérieur dans le développement économique de l’Afrique.

Ce changement d’objectifs représente un repositionnement stratégique dans l’environnement des développeurs internationaux, alors que le concept de « société de la connaissance » – c’est-à-dire que la création, l’usage et la transmission de la connaissance deviennent la clé du développement économique et social – continue de gagner du terrain.

En élargissant leur portée et leur expertise à l’enseignement supérieur africain, ces fondations ont affirmé leur rôle dans la construction des sociétés de la connaissance à l’échelle d’un continent, par leur soutien à des institutions académiques, des centres de recherche, des réseaux universitaires et des médias spécialisés comme The Conversation Africa, financé entres autres, par un don de la Fondation Gates et de la Fondation Knight.

Elles ont aussi étendu leur propre vision de la production de connaissances au reste de l’Afrique à travers l’étendue de leurs programmes. Les domaines d’intérêt de ces fondations pour le secteur universitaire africain se sont montrés variés. Par exemple, la Ford cherchait à faire progresser l’accès à l’enseignement supérieur, alors que la Rockefeller s’intéressait à l’environnement et au climat, Carnegie aux bibliothèques, MacArthur aux droits de l’homme, la Mellon aux humanités.

Influences mutuelles
La relation étroite entre les fondations et les universités sélectionnées en Afrique suggère par ailleurs que non seulement les deux types d’institutions se sont mutuellement influencés pendant une longue période, mais aussi qu’elles ont établi un secteur compétitif qui a fait pression sur des institutions plus fragiles.
 

Les fondations américaines ont transformé en profondeur le paysage éducatif africain, par exemple en favorisant l’accès à Internet pour les étudiants. OER Africa/Flickr, CC BY-SA

Par exemple, sortant de leur zone de confort, les fondations du Partenariat pour l’enseignement supérieur en Afrique se sont attaquées à l’enjeu de l’accessibilité à Internet, que leurs bénéficiaires voyaient comme une priorité.

De cette façon, les fondations ont trouvé une opportunité d’utiliser leur influence et leur poids collectifs pour générer le changement à grande échelle. Développer la bande passante et réduire les coûts d’accès à Internet pour les universités n’étaient pas des initiatives traditionnelles pour les fondations. Néanmoins, elles ont réussi à engendrer des économies d’échelle en formant un consortium d’universités acheteuses de bandes passantes Internet en masse, atteignant ainsi les rabais de volume et étendant leurs économies aux institutions d’enseignement supérieur et de recherche en Afrique.

Vers un monde anglicisé ?
La préférence des fondations pour l’anglais est particulièrement évidente dans le secteur de l’enseignement supérieur. Au total, et d’après les formulaires IRS 990 accessibles sur le site du Foundation Center, j’identifie 97 fondations qui ont investi 573,5 millions de dollars dans des organisations d’enseignement supérieur en Afrique entre 2003 et 2013. Pendant cette période, 1 471 donations ont été faites auprès de 439 institutions d’enseignement supérieur dans 29 pays.

Dans le contexte de l’enseignement supérieur, la principale langue d’enseignement, utilisée en classe et pour les recherches, représente un facteur important mais complexe. Ainsi, dans de nombreux pays, la langue d’enseignement varie entre les écoles primaires, secondaires et les universités. Comme attendu, les fondations américaines ont investi dans l’enseignement supérieur sur le continent africain en ciblant les institutions où l’anglais était la principale langue d’enseignement.

Plus de 90 % des institutions d’enseignement supérieur ayant reçu des dons des fondations américaines annonçaient que l’anglais était leur principale langue d’enseignement ; on compte 4 % de francophones et 3 % d’arabophones.

Par ailleurs, en plus des institutions d’enseignement supérieur, la part des dons des fondations à l’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne inclut aussi des programmes importants financés par les fondations dans l’agriculture, la santé et le développement.

À cet égard, les universités ont significativement contribué au développement socio-économique du continent africain en produisant de la connaissance, des compétences et de l’innovation adaptées aux contextes africains. Ainsi, voir les universités comme des « moteurs de développement » ou, en d’autres termes, comme parties intégrantes de l’avenir économique de l’Afrique reflète les stratégies géopolitiques diverses privilégiées par les donateurs internationaux, en particulier les fondations américaines.

Un leadership inégalé
Sans autres contributeurs financiers concurrents ou contraintes gouvernementales, les fondations ont facilement imposé leur leadership dans le secteur de l’enseignement supérieur, notamment dans les anciennes colonies britanniques, comme le démontre l’apport de dons reçus par l’université Makere en Ouganda depuis les années soixante, faisant d’elle un modèle de modernité sur le continent.

Les fondations américaines ont établi des connexions et gagné l’accès aux meilleurs organismes d’études supérieures en Afrique ainsi qu’aux nouvelles générations de chercheurs et d’étudiants, notamment dans des institutions utilisant l’anglais comme principale langue d’enseignement.
 


Une étudiante participe à l’événement éditathon au Nigeria, à Lagos en May 2017, organisé par la fondation Wikimedia. Z. McCune/Wikimedia, CC BY-NC

Les fondations se sont aussi positionnées stratégiquement dans l’environnement des développeurs internationaux, dans le but de défendre l’importance de l’enseignement supérieur pour le développement de l’Afrique. De plus, en considérant l’importance de la langue et de la culture dans les mécanismes de mondialisation, et en acceptant que les groupes linguistiques soient en compétition dans l’économie de la connaissance, l’influence des fondations américaines en Afrique renforce la domination de l’anglais comme lingua franca du développement du continent.

À leur crédit, les investissements des fondations américaines ont soutenu de nombreuses initiatives de recherche à travers le continent africain et renforcé les organisations panafricaines. Ces fondations ont tenté de restimuler et de renforcer les institutions académiques et les réseaux d’enseignement supérieur africains ; un projet dont le succès reste encore à mesurer.

Les fondations étaient aussi dans une position qui leur permettait de proposer de nouvelles politiques et réformes à des institutions. Par conséquent, l’influence des fondations sur un petit groupe d’universités africaines d’élite pourrait mener une partie du système universitaire, ou peut-être des institutions de premier plan dans l’espace francophone, entre autres, à entrer dans une compétition pour laquelle ces dernières ne sont pas équipées de façon égale.


The ConversationFabrice Jaumont a publié « Partenaires inégaux : fondations américaines et universités en Afrique », aux éditions de la MSH (collection Le Bien commun).

Fabrice Jaumont, Chercheur en sciences de l'éducation, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH) – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Les fondations américaines ont transformé en profondeur

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