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Elections au Zimbabwe: les chefs d'entreprise veulent croire au renouveau

Les Zimbabwéens votent le 30 juillet 2018 pour les élections présidentielle et législatives. Le vainqueur pourrait être l’actuel président Emmerson Mnangagwa, 75 ans, arrivé au pouvoir en novembre 2017. Tout un chacun attend qu’il relance l’économie ravagée par son prédécesseur, Robert Mugabe, 94 ans, resté sans discontinuer au pouvoir de 1980 à 2017. Tout un chacun, à commencer par les patrons.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Des partisans d'Emmerson Mnangagwa lors d'un meeting électoral à Mhondoro (Zimbabwe), le 24 juillet 2018. (REUTERS/Philimon Bulawayo Mhondoro)

«Ces élections ? Qu'on en finisse au plus vite...» Epuisé par les années de crise de l’ère Mugabe (alias Captain Bob), Sifelani Jabangwe espère que le Zimbabwe, pays de quelque 16,1 millions d’habitants (dont 38% a moins de 14 ans), votera dans le calme pour pouvoir s'atteler à l'essentiel: la relance de son économie. Jusque-là, la campagne s’est déroulée sans violence.

«Nous voulons des élections libres, honnêtes, crédibles et reconnues comme telles par le reste du monde», explique l’industriel. Qui ajoute: «On a perdu trop de temps avec la politique, il est plus que l'heure de remettre l'économie en marche.»

Pour Sifelani Jabangwe, comme de nombreux autres entrepreneurs du pays, le temps presse. Son entreprise de fabrication de bâches et gants en plastique, James North Zimbabwe, est l'une des dernières encore en activité à Southerton, la zone industrielle de la capitale Harare. Une zone que la récession a transformée en désert.

La destruction de l’économie
Au début des années 2000, Robert Mugabe avait ordonné l'éviction manu militari des fermiers blancs qui tenaient encore l'essentiel de l'agriculture du pays. Sa réforme a détruit le grenier à blé de l'Afrique australe, qui possède aussi de nombreuses richesses naturelles (platine, diamants…). Elle a aussi ruiné la confiance des investisseurs étrangers et précipité l'effondrement de toute l'économie. Entre 2000 et 2008, le PIB (estimé à 16,5 milliards en 2016) a diminué de presque de moitié, la plus forte contraction de ce genre dans une économie en temps de paix.

Près de vingt ans plus tard, l’activité ne s'en est toujours pas relevée. Chômage de masse (entre 85 et 90% de la population), hyperinflation (hausse des prix supérieure à 1000% par an pendant 15 ans, en partie jugulée par l'introduction de dollars américains valables uniquement dans le pays), fuite des capitaux, pauvreté généralisée et faillite des services publics, notamment de santé, sont devenus la norme. L’espérance de vie est de 61 ans. Emporté par ce choc, Sifelani Jabangwe a alors réduit ses effectifs de 400 à 150 salariés et recentré son activité sur les produits d'exportation, à destination du Mozambique, du Malawi, du Kenya et du Rwanda, notamment.
 
Du vainqueur des élections, il espère un redémarrage de l'activité. «Quand toute l'économie fonctionne et que chacun a les moyens d'acheter ce qu'il veut, nous en profitons tous», note le chef d’entreprise, par ailleurs président de la Confédération des industries du Zimbabwe. «La normalisation de nos relations avec le reste du monde est vitale», poursuit-il.

Robert Mugabe (alors président du Zimbabwe) à l'université de Harare, capitale du pays, le 17 novembre 2017. (REUTERS/Philimon Bulawayo)

A quand «des dirigeants visionnaires, créatifs et compétents»?           
Les sanctions imposées par l'Occident pour punir la répression de l'ancien régime ont achevé de ruiner le pays. «Nous titubons depuis des années sous l'effet de nos propres fautes économiques», déplore Shingi Munyeza, qui dirige dans son pays la chaîne de cafés sud-africaine Mugg&Bean.

«Les élections à venir constituent une occasion en or pour notre économie», estime-t-il. «72,5% des Zimbabwéens vivent à ce jour sous le seuil de pauvreté. (...) Il faut relever le défi de les sortir de cette situation dramatique.»
 
«J'espère que nous en avons fini avec cette classe politique qui maintenait sa domination aux dépens de l'économie et des droits des citoyens. Il nous faut des dirigeants visionnaires, créatifs et compétents», poursuit l'entrepreneur.
 
Depuis qu'il a repris les rênes du pays, Emmerson Mnangagwa, 75 ans, s'efforce de convaincre les entreprises étrangères d'y revenir. Pendant sa campagne électorale, il a même promis de faire entrer le Zimbabwe dans la catégorie des pays à revenus intermédiaires.

Son principal rival, le chef du Mouvement pour un changement démocratique (MDC) Nelson Chamisa, 40 ans, n'est pas en reste. En cas de victoire, a-t-il dit, il se fait fort de multiplier le PIB du pays par plus de cinq en dix ans pour atteindre la barre des 100 milliards de dollars annuels.

Des engagements qui laissent perplexes les observateurs. Lesquels insistent sur l'énormité des défis à relever. «La relance de l'économie nécessite beaucoup d'investissements. Pour cela, il faut changer le climat des affaires qui reste pour l'heure très hostile», souligne l'économiste zimbabwéen John Robertson en évoquant le cadre législatif et la corruption. «Il va aussi falloir faire revenir nos fermiers. Pour l'heure, leurs titres de propriété ne sont pas garantis et ils en ont besoin pour obtenir de l'argent des banques», ajoute-t-il.

Sous des affiches électorales, une jeune femme vend quelques produits dans la rue à Harare le 6 juillet 2018. Un exemple parmi des centaines de milliers d'autres de l'importance de l'économie parallèle dans un pays où le chômage atteindrait entre 85 et 90% de la population. (REUTERS/Philimon Bulawayo)
«Je veux croire…»
Malgré tous ces obstacles, Abel Kapodogo veut y croire. Au chômage depuis sept ans, ce diplômé en sociologie survit en vendant des fruits dans le centre de Harare. «En 2013, le parti au pouvoir (Zanu-PF) nous avait promis de créer 2 millions d'emplois. Je m'attendais à en avoir un. Je n'ai rien vu, le gouvernement m'a laissé tomber. Cela fait très mal», rappelle-t-il.

Mais le trentenaire en est sûr, ce scrutin va changer la donne. «C'est une chance unique pour les jeunes qui ont été trompés par le parti au pouvoir si Nelson Chamisa est élu, cela va attirer les investisseurs (...). Je veux croire que, cette fois, je trouverai un emploi», explique-t-il.

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