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De tous temps, les hiéroglyphes ont fasciné voyageurs, philosophes et savants

Il est vrai que l'étude de cette écriture "révèle chaque jour aux spécialistes de nouvelles facettes de ses étonnantes capacités d’expression", raconte l'égyptologue Jean Winand dans The Conversation.

Article rédigé par The Conversation - Jean Winand
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Un plafond d'architrave du temple de Ramsès III à Médinet Habou. (JEAN WINAND, AUTHOR PROVIDED)

Pour les Occidentaux, la première mention des hiéroglyphes remonte à Hérodote (Ve s. av. notre ère), le Père de l’histoire, qui consacra la totalité du livre II de son Enquête à l’Egypte qu’il avait visitée. Hérodote se contentait alors de parler de "caractères sacrés" ; il fallut attendre Clément d’Alexandrie au IIe s. de notre ère pour qu’on parle de caractères hiéroglyphiques, c’est-à-dire de signes sacrés gravés dans la pierre.

Un détail de trois hiéroglyphes en haut relief, pour montrer la finesse de la sculpture (tombe thébaine de la 18e dynastie).  (JEAN WINAND, AUTHOR PROVIDED)

Cette écriture, que tout le monde reconnaît immédiatement, n’est pas la seule à avoir été utilisée en Egypte ancienne. Depuis les premiers temps, les scribes employaient une écriture cursive, dénommée hiératique, tracée avec de l’encre et un pinceau, écriture à laquelle est venue s’ajouter le démotique à partir du VIIe s. av. notre ère, qui en est une simplification. Enfin, à partir du tournant du IIIe -IVe s. de notre ère, les anciennes écritures furent remplacées par une écriture alphabétique, le copte, dérivée de l’alphabet grec.

En dépit de la bonne compréhension du fonctionnement de ces écritures et des textes qu’elles transcrivent depuis le déchiffrement par J.-Fr. Champollion en 1822, les hiéroglyphes continuent à fasciner le grand public. On peut se demander quelles en sont les raisons.

Un graffito hiératique (en rouge) sur un relief provenant du grand temple de Séthi Iᵉʳ à Abydos ; il s’agit d’une inscription laissée par un voyageur. (JEAN WINAND / AUTHOR PROVIDED)

Une écriture omniprésente

Tout d’abord, la lecture des écritures égyptiennes est réservée aux spécialistes. Dans une grande nation égyptologique comme la France, le nombre de personnes capables de comprendre le fonctionnement de ce système complexe demeure très réduit.

Ensuite, les hiéroglyphes sont liés à la civilisation égyptienne, laquelle a laissé une trace archéologique dont il y a bien peu d’équivalents : les monuments qu’on peut voir sur place, souvent très bien conservés (mieux que bien des vestiges grecs et romains, sans parler de ce qui reste des civilisations babylonienne, assyrienne, perse ou hittite), les artefacts de toutes sortes exposés dans les musées font beaucoup pour entretenir l’attrait du public. L’exposition parisienne toujours en cours consacrée à Toutânkhamon est une autre preuve de cette attirance. Mais surtout – et c’est là une particularité de cette civilisation – il n’y a pratiquement pas un objet, si humble soit-il, dénué d’une inscription hiéroglyphique. L’écriture est partout.

Un exemple de néo-hiéroglyphes (tombeau du Sieur Mielemans, église Sainte-Croix à Liège). (JEAN WINAND / AUTHOR PROVIDED)

Et quelle écriture ! Elle est d’une grande beauté esthétique. Les inscriptions offrent une variété de détails, une précision étonnante dans la gravure, souvent rehaussée de couleurs. Elle se démarque ainsi d’autres écritures complexes comme l’assyro-babylonien ou le chinois, qui ne se prêtent guère aux grandes compositions monumentales, même si l’écriture chinoise revêt une dimension esthétique indéniable comme le montre la calligraphie, qui est un art à part entière. La différence essentielle provient sans doute du fait que les signes cunéiformes ou chinois ne parlent pas immédiatement au profane ; au cours de leur histoire respective, ils ont été rapidement stylisés au point de devenir méconnaissables. En l’absence d’un apprentissage approprié, qui peut reconnaître un cheval dans tel signe chinois, une tête humaine dans tel signe cunéiforme, alors qu’un hiéroglyphe est immédiatement identifiable comme représentant une femme assise, un œil ou une étoile ? Mais si l’écriture hiéroglyphique est composée de dessins dont on peut reconnaître facilement un grand nombre, elle reste cependant indéchiffrable pour celui qui n’en connaît pas les codes.

Une fascination ancienne

La fascination pour cette écriture remonte à la tradition classique. Les voyageurs et philosophes de l’Antiquité, puis les humanistes de la Renaissance et les savants de l’époque baroque ont voulu y voir une écriture symbolique, destinée à révéler des mystères que les profanes ne pouvaient approcher. A la Renaissance, on a ainsi composé des inscriptions à contenu symbolique dans ce qu’on appelle parfois des néo-hiéroglyphes, qui n’avaient pas grand-chose à voir avec leur modèle supposé.

Ce type d’interprétation connut son apogée avec les travaux du père jésuite Athanasius Kircher (1602-1680), qui consacra des volumes entiers à l’interprétation des hiéroglyphes, principalement aux inscriptions qui se trouvaient sur les obélisques romains. Kircher y voyait avant tout des manifestations de la théologie chrétienne, dont les prêtres égyptiens auraient recueilli des morceaux et qu’ils auraient cachés aux profanes.

Un extrait d’un livre de l’au-delà (tombe de Thoutmosis III dans la Vallée des rois).  (JEAN WINAND / AUTHOR PROVIDED)

Ce sont les travaux des érudits du XVIIIe s., comme l’abbé Barthélemy en France, qui permirent de sortir de cette ornière épistémologique, ouvrant ainsi la voie à l’intelligence de cette écriture. Pour la première fois, on envisagea sérieusement que l’écriture hiéroglyphique pouvait servir à noter une langue.

L’expédition de Bonaparte en Egypte (1798-1801) eut, entre autres résultats, la découverte de la Pierre de Rosette, une inscription datée de 196 av. notre ère portant un décret touchant à la fiscalité des temples. Cette inscription contient un texte en trois versions : grecque, égyptien de tradition (en écriture hiéroglyphique) et démotique (en écriture démotique). En comparant soigneusement les versions égyptiennes à leur équivalent grec, on parvint progressivement à isoler certains principes fondamentaux de l’écriture hiéroglyphique. Il devait toutefois revenir au génie de Champollion de franchir le pas décisif en réalisant que l’écriture hiéroglyphique était un système complexe, résultant d’une combinaison de notations idéographiques, phonologiques et sémantiques.

Un défilé de génies représentant le Nil, haut en couleurs (temple de Ramsès II à Abydos).  (JEAN WINAND / AUTHOR PROVIDED)

Le déchiffrement des hiéroglyphes et les progrès rapides réalisés dans la compréhension des textes auraient pu casser la fascination pour cette écriture, dès lors qu’elle était largement dépouillée de son mystère. Il n’en a rien été. D’une part, les découvertes archéologiques ont très régulièrement remis l’Egypte ancienne sur le devant de la scène médiatique. La redécouverte d’Amarna, la capitale éphémère du roi Akhénaton, et du fameux buste de Néfertiti en 1912, la découverte du tombeau de Toutânkhamon en 1922, les travaux de sauvetage menés sous l’égide de l’Unesco lors de la construction du grand barrage d’Assouan dans les années 1960, dont la réalisation la plus spectaculaire fut le déménagement et la réinstallation des temples d’Abou Simbel, les controverses récentes sur la présence de cavités secrètes dans la grande pyramide de Chéops à Gizeh ou d’une chambre dissimulée à l’arrière du tombeau de Toutânkhamon, peut-être liée à la reine Néfertiti, relancent continuellement l’attention du public.

Egyptomanie

A cela se mêle une tradition tenace sur l’Egypte ancienne, mère de toutes sagesses. Le côté supposé mystérieux de cette civilisation, en partie porté par son écriture, est régulièrement exploité par un puissant courant d’égyptomanie dont on retrouve des traces dans la littérature (il suffit de penser aux nombreux romans de momie), l’opéra (Aïda de Verdi reste la référence), l’architecture décorative (les grandes expositions universelles de Paris en 1867 et 1900, ou de Liège en 1930 avaient des pavillons égyptiens dans un style pharaonique très accusé, sans parler du pavillon des girafes du zoo d’Anvers réalisé en 1856), la bande dessinée (Astérix et Cléopâtre, Le mystère de la Grande Pyramide, Les Cigares du pharaon, etc.), le cinéma ou la publicité.

L’égyptomanie a encore été très présente dans l’art funéraire occidental, notamment au XIXe s. Il n’est pas rare dans les cimetières urbains un peu anciens, comme le Père Lachaise à Paris, de voir des pyramides, des sphinx, ou des obélisques, dont certains portent comme motifs décoratifs des emblèmes égyptiens ou des signes hiéroglyphiques.

Le pavillon des girafes au zoo d’Anvers. (JEAN WINAND / AUTHOR PROVIDED)

Enfin, il faut encore faire la part de l’Egypte ancienne dans certains mouvements ésotériques ou éphilosophiques, comme la franc-maçonnerie. Tout d’abord, parmi les nombreuses obédiences, il en est une, dont le nom seul est évocateur – Memphis-Misraim (Misr étant le nom de l’Egypte en arabe) – qui se réclame directement des anciens mystères égyptiens. Dans l’obédience majoritaire en France et dans les pays latins, le Grand Orient, les allusions à l’Egypte ancienne sont récurrentes dans le décor des temples dont certains prennent des allures pharaoniques. Ce lien de la maçonnerie avec la civilisation de la vallée du Nil est très ancien. Il suffit de penser à la Flûte enchantée de Mozart (1791) et aux décors qui en ont été réalisés pour des représentations aux tout débuts du XIXe s.

Pour terminer, signalons encore que certaines religions revendiquent directement un héritage de l’Egypte ancienne. Le cas le plus connu reste la religion des Mormons. Selon son fondateur, Joseph Smith, le Livre de Mormon serait la traduction de plaques en or découvertes dans le comté d’Ontario dans l’Etat de New York portant un texte gravé en caractères égyptiens anciens.

Au-delà de toutes ces manifestations, souvent superficielles, du goût pour l’Egypte ancienne et ses mystères supposés, l’étude de l’écriture hiéroglyphique révèle chaque jour aux spécialistes de nouvelles facettes de ses étonnantes capacités d’expression. En cela sans doute réside la véritable fascination pour une écriture dont il n’existe pas d’équivalent.The Conversation

Jean Winand, Premier vice-recteur et professeur d'égyptologie, Université de Liège
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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