Centrafrique : une expédition de scientifiques français à la recherche d'un papillon géant mais invisible
Dans les forêts centrafricaines, le Papilio antimachus, le plus grand papillon de jour d'Afrique, ne se laisse pas voir facilement. Découvert en 1782, il intrigue la science.
Sacré défi pour l'équipe française. Cela fait 240 ans, depuis le moment de sa découverte, que personne n'a jamais réussi à observer ni la chenille ni
la chrysalide du Papilio antimachus, ce papillon vénéneux dont l'envergure peut atteindre 20 à 25 cm. Suspendu aux branches à près de 40 mètres du sol, Nicolas Moulin, l'un des vingt membres de l'expédition, scrute l'horizon. Dans ses jumelles, une mer d'émeraude se déploie à l'infini.
Financée par des fonds privés, la mission scientifique française a pris ses quartiers pendant trois semaines, début décembre 2019, dans l'extrême-sud de la Centrafrique, sur les berges de la rivière Lobaye qui ondule comme un serpent entre les griffes de la forêt.
Du haut de sa vigie, l'entomologiste explique que l'endroit est "un lieu de braconnage, car les mâles viennent boire des sels minéraux sur les rives et sont capturés pour des collectionneurs ou des confections de tableaux." Les mâles qui volent près du sol sont en effet particulièrement recherchés pour leurs grandes ailes orangées zébrées de noir. En Centrafrique, les tableaux en ailes de papillon sont un artisanat réputé qui fait vivre de nombreux chasseurs. A l'étranger, un spécimen d'Antimachus peut se négocier 1 500 euros.
Les données scientifiques très parcellaires concernant le Papilio antimachus remontent aux années 1960. Pas suffisantes pour déterminer son statut de conservation. Les seuls à l'avoir approché souvent depuis sa découverte sont les autochtones qui le chassent. Ce qui fait dire à Philippe Annoyer, le doyen des scientifiques de l'expédition, spécialiste des papillons, que "cette espèce, comme beaucoup d'autres, est en train de se raréfier."
Depuis 30 ans, l'entomologiste tente en vain d'alerter le public sur l'extinction de ses protégés. Aujourd'hui, ce Français natif de Côte d'Ivoire voudrait inciter le développement de l'élevage du rare Antimachus. "L'idée, c'est que les populations locales puissent fournir les collectionneurs et les artisans centrafricains, et limiter la chasse", explique-t-il.
Après trois semaines de longues marches, d'escalades et d'enquêtes dans les villages alentour, toujours aucune trace de la chenille ni de la chrysalide. Les chercheurs ont eu beau scruter, à l'aide d'un drone, fleurs et feuilles du Strophanthus Gratus, une épaisse liane qui serpente entre les arbres, rien n'y a fait. C'est de cette plante que, selon eux, la chenille de l'Antimachus tirerait son venin.
Autour des membres de l'expédition, la forêt est plongée dans un étrange silence désolant. Il n'y a pas un rongeur au sol, pas un primate ni un oiseau sur les branches. Partout, des collets laissés par les braconniers. Et dans chaque creux de ruisseau, des trous laissés par les chercheurs d'or et de diamants, principaux moyens de subsistance pour nombre d'habitants. Pour l'instant, heureusement, les groupes armés qui contrôlent les deux tiers du territoire centrafricain n'ont pas pris pied dans cette région forestière.
L'équipe française doit se rendre à l'évidence. Le succès n'est pas vraiment au rendez-vous. Alors que la chance lui avait quand même souri le jour de la capture d'un Papilio antimachus mâle, une cohorte de fourmis légionnaires en a fait son festin, ne laissant qu'une aile et une maigre patte à ramener au laboratoire.
Au bout du compte, les espoirs reposent sur les prélèvements réalisés par le botaniste, qui permettront peut-être d'identifier la plante utilisée par les femelles pour la ponte. A défaut, l'expédition aura au moins permis de mesurer les ravages causés aux forêts d'un pays en conflit, classé parmi les plus pauvres au monde.
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