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En Erythrée, la population attend toujours les retombées de la paix avec l'Ethiopie

En juillet 2018, l’Erythrée et l’Ethiopie signaient une "déclaration conjointe de paix et d’amitié" après des décennies d’hostilité. Les Erythréens attendaient beaucoup de ce tournant. Mais la situation de la "Corée du Nord des sables" n’a guère évolué.

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Vue générale d'Asmara, capitale de l'Erythrée, le 21 juillet 2018. (REUTERS - TIKSA NEGERI / X03719)

Il y a un an, les photos du Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, aux côtés du président érythréen, Issayas Afeworki, faisaient le tour du monde. Les dirigeants de ces deux Etats ne s’étaient pas rencontrés depuis le conflit frontalier de 1998-2000 qui a fait plus de 80 000 morts. Mais aujourd’hui, la situation n’a guère évolué. Et les citoyens érythréens continuent à émigrer en masse pour essayer de trouver un avenir meilleur ailleurs. Depuis septembre 2018, 60 000 d’entre eux ont été enregistrés comme réfugiés en Ethiopie, rapporte The Economist.


Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed (à gauche), aux côtés du président érythréen, Issayas Afeworki, à Addis Abeba le 16 juilet 2018 (REUTERS - TIKSA NEGERI / X03719)

En juillet 2018, "la promesse qu’offrait la paix était tentante. Les lignes téléphoniques et aériennes fonctionnaient à nouveau. Deux mois plus tard, la frontière était rouverte", poursuit l’hebdomadaire britannique. La population érythréenne (environ 6 millions d’habitants) espérait alors la fin du système de la conscription à durée indéterminée, lequel contribue à la réduire "en esclavage". Dans la foulée, en novembre, l’ONU votait une levée des sanctions internationales, notamment sur les armes. Et en janvier 2019, le représentant de l’Erythrée au Conseil des droits de l’Homme à Genève expliquait que "le rapprochement entre l’Erythrée et l’Ethiopie a créé un sentiment d’espoir pour les peuples de la Corne de l’Afrique".

Les dividendes de la paix tardent à venir

Mais l’espoir s’est largement dissipé depuis. Sans explication, les autorités érythréennes ont à nouveau fermé la frontière, "mettant fin à un essor éphémère du commerce transfrontalier", constate The Economist. Autre signe de cette crispation : l’Erythrée est le seul pays du continent à ne pas avoir signé l’accord de libre-échange continental africain (Zlec), intervenu le 7 juillet 2019. L’Ethiopie, qui espère pouvoir trouver un débouché sur la mer Rouge en utilisant les ports érythréens, attend toujours.


Scène de rue près d'Asmara, capitale de l'Erythrée, le 21 juilet 2018 (REUTERS - TIKSA NEGERI / X03719)

Dans le même temps, la situation des droits de l’Homme dans le pays n’a pas changé. Dirigée d'une main de fer par le président Issaias Afeworki depuis son indépendance en 1993, l'Erythrée figure systématiquement dans les dernières places des classements internationaux en matière de libertés politiques et de droits de l'Homme.

"Les dividendes de la paix (avec l’Ethiopie) ne profitent pas encore aux Erythréens ordinaires et il n'y a aucun signe en ce sens", a regretté la rapporteure spéciale de l'ONU sur les droits de l'Homme dans le pays, Daniela Kravetz, le 2 juillet 2019. Selon elle, les violations et les abus dans ce domaine se poursuivent massivement. "Les autorités érythréennes restent fermées à toute expression de contestation", a-t-elle jugé, en rappelant que "des centaines de personnes continuent de fuir le pays chaque mois".

Arrestations de chrétiens

Daniela Kravetz a en particulier souligné les restrictions visant les communautés religieuses. Elle a ainsi révélé qu’elle avait reçu des informations "troublantes" sur des arrestations de chrétiens, dont des femmes et des enfants, dans Asmara et autour de la capitale pendant des prières. Cinq prêtres orthodoxes auraient également été arrêtés au monastère Debre Bizen.

A la mi-juin, les autorités "ont saisi tous les établissements de santé gérés par l'Eglise catholique dans le pays", a-t-elle indiqué. Soit au total 21 cliniques et centres de santé qui soignaient les communautés rurales. Selon la représentante onusienne, les autorités ont expliqué que depuis un règlement datant de 1995, les institutions religieuses n'ont pas le droit d'exercer des activités autres que religieuses. Evoquant le service militaire illimité, "l'une des principales raisons de l'émigration" des Erythréens, elle a appelé le régime à le limiter à 18 mois.

L'ambassadeur de l'Erythrée auprès de l'ONU, Gerahtu Tesfamichae, a rejeté le rapport de Daniela Kravetz en le qualifiant d'"inacceptable". Il l'a accusée d'avoir uniquement cherché à "dénigrer, isoler et déstabiliser" son pays.


En attendant le bus à Asmara, capitale de l'Erythrée, le 20 février 2016... (REUTERS - THOMAS MUKOYA / X90150)

Critiques du régime

De son côté, l’Economist signale quelques velléités de protestation contre le régime d’Issaias Afeworki, malgré la répression. Les citoyens n’hésitent plus à se plaindre ouvertement et même à demander la démission du dictateur. On voit apparaître des graffitis sur les murs, voire "des pamphlets séditieux imprimés en Ethiopie". Pour autant, les observateurs ne croient pas à des mouvements de rue. "Un coup d’Etat est davantage probable, même si Issaias est capable de s’accrocher", estime l’hebdomadaire britannique.

Pays parmi les plus fermés au monde, la "Corée du Nord des sables" n’en entretient pas moins des liens étroits avec l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis. En 2015, le comité de l'ONU sur l'Erythrée et la Somalie avait rapporté qu'Asmara avait conclu un accord militaire avec la coalition arabe l'autorisant à utiliser "ses terres, son espace aérien et ses eaux territoriales" pour la guerre contre les Houthis au Yémen. "Dans le cadre de cet accord, l'Erythrée a reçu une compensation des deux pays, dont de l'argent et un approvisionnement en pétrole", précisait le rapport onusien. Ceci explique cela…

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