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Rougier: fin de la saga africaine d'un exploitant de bois français?

Le négociant en bois tropicaux Rougier, l’un des principaux acteurs de l’exploitation forestière dans le bassin du Congo, a déposé son bilan, a annoncé le tribunal de commerce de Poitiers le 6 mars 2018. Implantée à Niort (Deux-Sèvres), cette entreprise presque centenaire emploie plus de 95% de ses 3000 salariés en Afrique. Explications.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min

En février, l’entreprise «en péril» avait appelé à la rescousse Francis Rougier, 70 ans. Elle avait alors opéré «un recentrage stratégique» pour tenter de redresser la barre. En 2017, elle avait en effet affiché un chiffre d’affaires en baisse de 7,5% sur les 149,4 millions de 2016. Avec des pertes atteignant 6,3 millions d’euros, deux fois plus qu’en 2015. Selon le groupe, sa branche française, qui représente «25% environ du chiffre d'affaires», n'a pas de problèmes de rentabilité ni de pérennité. Contrairement à ses affaires africaines.

Rougier mène trois activités principales dans 50 pays: exploitation de forêts, transformation et commercialisation du bois (avec sa filiale Rougier Afrique International) ; importation et distribution en France ; plantations.

«Difficultés persistantes au Cameroun» 
Le groupe possède six usines de sciage en Afrique: trois au Gabon (à Mevang, Ivindo et Mbouma), deux au Cameroun (à Djoum et Mbang) et une, depuis peu, en République centrafricaine (à Moualé) ainsi qu'une usine de déroulage de contreplaqué au Gabon. L’entreprise a arrêté «temporairement» ses activités au Cameroun où ses 700 employés se retrouvent «au chômage technique»

Comment en est-on arrivé là? Le groupe explique qu’il «fait face à des difficultés persistantes au Cameroun». Il invoque ainsi «l'engorgement chronique» du port de Douala (capitale économique du pays) qui a «profondément perturbé les activités des filiales camerounaise, congolaise et centrafricaine». Résultat: des stocks «significativement grossis du fait de la non-évacuation des expéditions d'un port complètement saturé qui ne fait l'objet d'aucun investissement et qui par ailleurs est considérablement ensablé, ce qui gêne les bateaux pour aller jusqu'aux quais prendre les colis à expédier.» Rougier s’en prend directement autorités de Yaoundé qui ne se sont pas, selon lui, impliquées «pour améliorer cette situation». Ces perturbations gênent le fonctionnement des autres activités de Rougier sur le continent depuis plusieurs mois.


Une situation qui «a provoqué des tensions de trésorerie persistantes, accentuées par le retard des remboursements des crédits de TVA des filiales opérationnelles africaines». Les Etats du Cameroun, du Congo et du Gabon lui devraient ainsi plus de 15 millions d’euros.

«Choix stratégiques audacieux»
Pour autant, ces retards de paiement et les problèmes du port de Douala ne suffisent pas à expliquer à eux seuls toutes les difficultés du groupe. Un concurrent, «acteur historique du secteur, qui ne souhaite pas être identifié, évoque également des choix stratégiques audacieux», rapporte Usine Nouvelle. Notamment «l’expansion des surfaces exploitées dans des zones très enclavées comme le nord du Congo et la Centrafrique, qui ne disposent pas d’infrastructures de transport adéquates pour valoriser suffisamment les parcelles exploitées».

On notera que cette source n’évoque pas les problèmes de ces pays: le Congo Brazzaville, miné par une crise politique, et la Centrafrique, «pays en plein chaos, livré aux violences des groupes armés», comme l’écrivait Géopolis en octobre 2017.

Le concurrent pensait «que Rougier avait accru ses surfaces à ce point pour valoriser un patrimoine avant de se vendre, éventuellement, à un groupe asiatique». Tout un symbole dans une région où l’Asie place ses pions et où les pays européens sont à la peine…

La fin d’une histoire centenaire ?
Peut-on parler de la fin d’une histoire presque centenaire? Difficile à dire pour l’instant tant l’avenir du groupe apparaît assez incertain. Quoiqu’il en soit, cette histoire a débuté à Niort en 1923 avec la création, par une famille de bûcherons, de Rougier SA, «producteur de boîtes à fromage en bois pour l’industrie laitière poitevine avec une usine de déroulage à Niort», comme le raconte le site de la société. Dès 1930, ses responsables décident de s’implanter en Afrique, comme l’ont fait nombre d’entrepreneurs français.


Ils construisent alors une seconde unité de production spécialisée dans la fabrication de contreplaqués à partir de bois d’okoumé venu du Gabon. En 1952, Rougier acquiert ses premiers permis d’exploitation forestière dans le même pays, avant de s’installer 17 ans plus tard au Cameroun. A la même époque, dixit son site, il est «le premier producteur européen de panneaux contreplaqués exotiques et de panneaux de particules». A partir de là, il cède la majeure partie de ses activités en France pour se développer en Afrique. «L’aménagement durable des concessions africaines devient l’un des piliers de la stratégie du groupe», poursuit la même source.

Résultat: en 2011, celui-ci disait détenir 2,1 millions d’hectares de concessions forestières sur le continent. En 2016, il avait été accusé par l’ONG Survival International de «déboiser une vaste zone de forêt tropicale au sud-est du Cameroun», détruisant ainsi l’habitat de populations pygmées bakas après les avoir expulsées. «Rougier est un groupe familial (…) respectueux aussi bien de l’environnement que des populations qui vivent dans et en périphérie des concessions forestières qui lui ont été légalement attribuées par les Etats», avait alors répondu l’entreprise.

Le développement du groupe a retenu l’attention des pouvoirs publics locaux. En 2012, l’Etat gabonais avait ainsi acquis 35% du capital de Rougier Afrique international. Il s’offrait ainsi «une minorité de blocage au sein de l’un des principaux acteurs de l’exploitation forestière» dans le bassin du Congo, observait alors Jeune Afrique. Une preuve de la volonté des autorités gabonaises d’être actives dans la gestion des ressources naturelles nationales. Une preuve sans doute aussi de leur volonté de fixer dans le pays l’activité (rentable) de la production de bois brut, souvent transformé à l’extérieur.

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