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Guinée équatoriale : le pays qui sauva la CAN...

La Coupe d’Afrique des nations (CAN) bat son plein en Guinée équatoriale. Le pays a accueilli à la dernière minute le grand rendez-vous du football africain. Soulagement et inquiétude ont alors traversé les responsables du football africain. Selon les analystes, l’organisation de l’évènement sportif semble plutôt réussie.
Article rédigé par franceinfo
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Les policiers escortent l'équipe de Côte d'Ivoire vers la salle d'une session de formation, le 22 janvier 2015, à Malabo pendant la Coupe d'Afrique des nations en Guinée équatoriale  (AFP / ISSOUF SANOGO)

La Guinée équatoriale a remplacé le Maroc moins de deux mois avant le lancement de la 30e édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Ce petit pays (800.000 habitants), mais grande nation pétrolière d’Afrique de l’Ouest (3e producteur en Afrique subsaharienne), s’est retrouvé sur une liste restreinte de nations capables d’accueillir la compétition panafricaine (17 janvier-8 février) au dernier moment

A la recherche d'un hôte salvateur 
Le Maroc souhaitait que la compétition soit reportée à janvier 2016 pour cause d'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest. La maladie touche plusieurs pays de la sous-région (Guinée, Sierra Leone et Liberia) qui sont qualifiés. La Confédération africaine de football (CAF) lui opposera un refus catégorique et se mettra à la recherche d'un sauveur. Après avoir essuyé quelques refus, elle décidera en novembre 2014 que ce sera la Guinée équatoriale. 

Co-organisateur de la CAN avec le Gabon en 2012, le pays, qui disposait de deux stades aux normes (Bata et Malabo, la capitale équato-guinéenne) sur les quatre requis, n’était pas le premier choix. La CAF pensait plutôt à de grandes nations du football africain. En premier lieu, la Nation arc-en-ciel qui lui a déjà plusieurs fois sauvé la mise. En 1996, les Sud-Africains avaient repris en charge l’organisation de la compétition pour aider les Kenyans empêtrés dans des difficultés économiques. Ce sera de nouveau le cas en 2013, cette fois-ci pour palier la défection des Libyens.

Un agent de santé vérifie la température du corps d'un supporter dans le cadre d'un dépistage Ebola pendant la Coupe d'Afrique des nations et avant le match Cameroun - Côte-d'Ivoire à Malabo le 28 janvier 2015 (AFP / ISSOUF SANOGO)


«Accueillir la CAN, c'est non et non» 
«L’Afrique du Sud avait alors remplacé la Libye qui était dans l’incapacité d’accueillir la CAN après les soubresauts politiques de 2011 et la mort de Kadhafi. Le Nigeria avait, lui, les infrastructures. Quant à l’Algérie, à l’instar des pays du Maghreb, elle jouit de la réputation d’avoir des championnats bien organisés», explique à Géopolis Lise-Laure Etia, journaliste à TV5 Monde qui commente la CAN pour la chaîne francophone. 

Mais ces sauveurs potentiels se sont désistés un à un. «Le Nigeria pour des problèmes de sécurité liés à Boko Haram, l’Algérie parce qu’elle doit organiser dans les prochaines années d’autres compétitions panafricaines. Pour ce qui est de l’Afrique du Sud, c’est son opinion publique qui a été un frein. Les Sud-Africains estiment qu’ils ont très peu bénéficié du Mondial (en 2010)». «Accueillir la CAN, c'est non et non», a même twitté le ministre sud-africain des Sports, Fikile Mbalula.

Obiang dévoué à la jeunesse africaine 
Le président de la CAF Issa Hayatou s'est alors tourné vers Malabo qui a accepté d'être l'hôte de l'évènement sportif. Teodoro Obiang Nguema a affirmé l'avoir fait pour «la jeunesse africaine». Un argument parmi d’autres pour ce régime qui jouit d'une mauvaise réputation au niveau international (pays corrompu et bafouant les droits de l'Homme, selon plusieurs ONG). Teodoro Obiang Nguema est arrivé au pouvoir en 1979 grâce à un coup d’Etat. Trente ans plus tard, son régime reste incontestable. Lors des dernières élections en 2009, il a réuni 95,37% des suffrages.
 
Pourtant, au-delà du fait de redorer le blason de la Guinée équatoriale, l’argument sportif aura été décisif. «La Guinée équatoriale avait été éliminée lors des éliminatoires sur décision de la CAF (ils avaient naturalisé un joueur dans des conditions irrégulières, NDLR). En devenant de nouveau le pays hôte, les Equato-Guinéens ont eu la possibilité de participer à la CAN pour la deuxième fois. C’est un enjeu sportif très important, compte tenu du fait que le seul titre de gloire dont peut se prévaloir la Guinée équatoriale sur le plan footballistique est la victoire de l’équipe féminine en finale de la CAN 2012. L'Argentin Esteban Becker, qui avait été l'entraîneur des footballeuses, a d’ailleurs été embauché au dernier moment pour encadrer la sélection masculine, le Nzalang Nacional. Une équipe qui a été, elle aussi, constituée au dernier moment.»

«Pour beaucoup, la Guinée équatoriale a sauvé l’honneur du continent», poursuit Lise-Laure Etia. «Issa Hayatou n’a d’ailleurs cessé de remercier le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema lors de la cérémonie d’ouverture de la CAN. Il faut savoir qu’il a quand même été envisagé de délocaliser la Coupe au Qatar… C’est dire ! » L’émirat avait indiqué qu'il était prêt «à apporter toute l'aide qu'on lui demandera officiellement pour accueillir la CAN 2015» par la voix du cheikh Hamad Ben Khalifa Ben Ahmed Al Thani, président de la fédération qatarie de football, relayé par l'AFP. C'est sans compter le «preux chevalier» du football africain. «Nous avons sauvé l'honneur de l'Afrique», lance le 30 janvier 2015 le ministre équato-guinéen des Sports, Francisco Pascual Obama Asue, également en charge du comité national d'organisation de la CAN, qui rappelle que son pays est «fier» en dépit des controverses.   


Un supporter burkinabè lors du match entre la Guinée équatoriale et le Burkina Faso à Bata (Guinée équatoriale), le 21 janvier 2015 ( AFP / CARL DE SOUZA)



Foot, CAN et droits de l'Homme
«L’honneur» est sauf, mais le choix de la Guinée équatoriale soulève la controverse, y compris à l’intérieur des frontières du pays. «Il n'y avait pas de problèmes (en 2012) mais cette fois (…), cela génère énormément de conflits, notamment politiques. Des gens ont été arrêtés à Bata parce qu'ils se sont opposés à l'organisation de la CAN (…). On dit que les gens ont des droits dans ce pays (…). Donc on doit m'expliquer pourquoi on oblige les gens à assister aux matches. Les fonctionnaires sont obligés d'aller au stade sinon ils perdent leur emploi. Les entreprises qui n'achètent pas de billets pour leurs employés risquent de perdre leurs contrats avec l'Etat », a confié Ponciano Mbomio, un avocat de l’opposition, à l’AFP dans un entretien publié le 22 janvier.

Le 29 janvier 2015, Washington s’est dit «profondément préoccupé» par l’arrestation de Celestino Okenve, un membre du parti d'opposition Union populaire (UP), d’Antonio Nguema et de Miguel Mbomio. Il leur est reproché «d’avoir distribué ou de posséder des tracts appelant à un boycott public pacifique des matchs de football de la CAN». Amnesty international a également demandé leur libération.

En réponse, le ministre équato-guinéen des Sports a affirmé que les prévenus retrouveraient leur foyer «après la compétition». «Ici, il n'y a pas de prisonnier politique pour raison de football. Si quelqu'un a été arrêté, c'est pour éviter le désordre», a assuré le 30 janvier 2015 Francisco Pascual Obama Asue lors d'une conférence de presse à Bata à laquelle assistait le porte-parole de de la CAF, Junior Binyam, qui a apporté tout son soutien aux autorités équato-guinéennes. 

Outre la question des droits de l'Homme, l'opposition craint que l'organisation de la CAN ne coûte cher à la Guinée équatoriale. Elle «va générer une crise économique pour le pays», estime l'avocat Ponciano Mbomio. 


File d'attente avant le match de football de la Coupe d'Afrique des nations entre le Sénégal et le Ghana au Mongomo Stadium, à Mongomo (Guinée équatoriale), le 19 janvier 2015 ( Mohamed Hossam - Anadolu Agency)



Un hôte «acceptable»
L’engouement populaire que suscite ce grand rendez-vous du foot africain – les stades sont remplis – semble devoir balayer les critiques. A la grande satisfaction d’une organisation qui paraît désormais convenir à la quasi-totalité des participants. «Les professionnels sont plutôt agréablement surpris», souligne Lise-Laure Etia. Les installations sportives de Mongomo (ville natale du président équato-guinéen) et d’Ebebiyin, deux autres sites de la CAN dont l'état préoccupait les dirigeants de la CAF au moment de l’octroi de la compétition, ont été jusqu'ici relativement praticables. Et ce, même si les joueurs algériens ont été très critiques sur la qualité du terrain de Mongomo. Comme pour leur donner raison, les récentes pluies ont mis à mal les pelouses des deux stades. Les deux matchs de quarts de finale qui devaient se jouer les 31 janvier et 1er février 2015, respectivement à Ebebiyin et à Mongomo, ont été relocalisés à Bata, pour le premier, et à Malabo pour le second. 
 
«Nous nous attendions à moins bien, et nous avons eu mieux», a indiqué le 16 janvier 2015 le secrétaire général de la CAF Hicham El Amrani. Et de poursuivre: «Nous avons quatre sites de niveau acceptable». Acceptable, un qualificatif susceptible de contenter Teodoro Obiang Nguema qui a offert 40.000 billets d'entrée à ses compatriotes. A l'instar de la participation du Nzalang Nacional qui a réussi à se qualifier pour les demi-finales en battant la Tunisie 2-1 lors d'un match dont l'arbitrage a été fortement critiqué. Beau parcours pour une équipe qui ne devait pas prendre part à la grande fête du football africain. 
 

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