Egypte-France : une alliance stratégique minée par les droits de l’homme
C’est l’homme fort d’un pays à deux faces qu’Emmanuel Macron a reçu à l’Elysée le 24 octobre 2017 à l’Elysée.
En visite officielle de trois jours en France, Abdel Fattah al-Sissi est en effet président d’une Egypte stratégique autant proche-orientale qu’africaine, et à ces titres, en butte à l’activisme islamiste sur ces deux fronts.
Un contrat pour l'acquisition de 12 nouveaux Rafale sur la table
A l’occasion de cette première rencontre entre les deux hommes, le quai d’Orsay a annoncé la signature de plusieurs accords entre la France et l’Egypte visant «à accompagner les réformes socio-économiques menées par le gouvernement égyptien… et à renforcer notre coopération au service de la formation de la jeunesse égyptienne».
Des accords pour la création et le développement de l’université franco-égyptienne ou la formation de cadres dirigeants de l’administration ainsi que des conventions de crédit en appui au secteur de l’énergie ou au financement de centres de santé.
Outre ces accords à des fins qu’on pourrait dire civiles, un contrat pour l’acquisition de 12 nouveaux Rafales, fleuron de l’aéronautique française, est également sur la table.
En 2015, le Caire avait acquis pour plus de six milliards d’euros de matériel militaire comprenant 24 avions de combat Rafale, une frégate, deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) porte-hélicoptères de type Mistral et des missiles.
«L’Egypte a été le premier client à l’export du Rafale en 2015, S’il peut y avoir de nouveaux contrats, tant mieux. C’est tant mieux si le régime a les moyens de payer les Rafale. Et c’est normal que Bercy s’assure que le régime égyptien soit en mesure de payer ces commandes d’avion», a déclaré sur Europe 1 le ministre français de l’économie, Bruno Lemaire, pour expliquer les discussions en cours.
Le régime de Sissi accusé d'arrestations massives et d'usage systématique de la torture
Une visite diplomatique et des opérations commerciales juteuses qui interviennent alors que le président Sissi est sous le feu de nombreuses ONG l’accusant d’être responsable de la «pire crise des droits humains qu’ait connue l’Egypte depuis des décennies».
Des rapports d’Amnesty International ou de Human Rights Watch dénoncent en effet régulièrement les arrestations massives, des condamnations à mort, l’usage systématique de la torture et les persécutions d’homosexuels.
Accusé de brader les droits de l’homme au profit des affaires, Emmanuel Macron s’est défendu en insistant sur «le combat commun» de la France et l’Egypte en matière de lutte antiterroriste.
«Je suis conscient du contexte sécuritaire et des conditions dans lesquelles le président Sissi opère», a déclaré le chef de l’Etat français à l’issu de leur entretien à l’Elysée. «Il a un défi : la stabilité de son pays, la lutte contre les mouvements terroristes, la lutte contre un fondamentalisme religieux violent», a-t-il ajouté, expliquant que «la sécurité de ce pays ami, c’est aussi notre propre sécurité».
Pour les deux hommes, la lutte contre le terrorisme doit également être renforcée en Libye, pays frontalier de l’Egypte, qui n’arrive toujours pas à sortir du chaos six ans après la chute du dictateur Moammar al-Kadhafi.
Le combat contre le terrorisme doit «impérativement être mené dans le respect de l'Etat de droit», selon Macron
«Je crois à la souveraineté des Etats et donc de la même façon que je n’accepte qu’aucun autre dirigeant ne me donne des leçons sur la manière de gouverner mon pays, je n’en donne pas aux autres», a plaidé le président Macron.
Pour autant, «la France défend les droits de l’Homme comme étant des valeurs universelles qui ne souffrent d’aucun relativisme», a-t-il ajouté, insistant sur le fait que le combat contre le terrorisme doit «impérativement être mené dans le respect de l’Etat de droit et des droits de l’homme».
De son côté, le président Sissi s’est réfugié dans le déni. Agacé d’être interpellé sur les droits de l’Homme, il a fait valoir qu’il était «responsable de la sécurité de 100 millions de personnes» dans son pays. «Nous sommes contre la violence et pour les droits de l’homme», a-t-il insisté, affirmant que ses forces de sécurité «ne pratiquaient pas la torture».
«Nous sommes dans une région perturbée et ces troubles risquent de transformer cette région en région d’exportation du terrorisme dans le monde entier», a-t-il encore souligné pour expliquer sa politique répressive et s’assurer du soutien des puissances occidentales.
Les déclarations d’Emmanuel Macron ont en tout cas suscité une vive réaction de Human Rights Watch (HRW). «De quel contexte parle le président ? Celui d’une lutte anti-terroriste entachée d’atrocités, utilisée pour réprimer des opposants pacifiques, et au final inefficaces», a déclaré Bénédicte Jeannerod, la directrice de HRW, à l’Agence France Presse, estimant que le président français «tournait le dos au droits humains».
La famille d'Eric Lang, battu à mort dans un commissariat du Caire, exige une enquête sur place
Pourtant, selon son entourage, le président Macron a évoqué avec le président Sissi une quizaine de cas individuels de militants et de journalistes égyptiens opprimés.
Quant à la visite d’Abdel Fattah al-Sissi en France, elle aura permis de relancer l’affaire d’Eric Lang, un enseignant français battu à mort en 2013 dans un commissariat du Caire. Deux ans et demi après une demande de commission rogatoire restée lettre morte, sa famille réclame à la justice française de mener l’enquête sur place.
«Il faut se bouger, il faut aller enquêter sur place, poser les bonnes questions aux bonnes personnes, et en premier lieu à la personne qui a décidé de réenfermer Eric alors qu’il était libre», a exhorté sa sœur Karine Lang, partie civile avec sa mère.
En l’absence de résultat malgré une intervention de l’ancien président français, elle espère que son successeur, Emmanuel Macron, «va faire comme François Hollande et parler d’Eric plutôt que de négocier des Rafale», a-t-elle déclaré.
Début 2016, la mort de Giulio Regeni, un étudiant italien enlevé et torturé dans la capitale égyptienne, avait provoqué une grave crise diplomatique entre Rome et le Caire.
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